Le président, le stylo, le texto et... l’orthographe
Il y avait déjà l’allure, voici aujourd’hui le langage : notre président qui marche comme un cow-boy bien mieux que W.Bush lui-même, parle aussi comme un charretier ou un agriculteur texan. On pourra faire le bilan, dans les années à venir, des dégâts qu’il aura pu commettre pour abaisser la fonction présidentielle, on retiendra ce jour l’impact auprès des jeunes et le discrédit total qu’il apporte au sens de la politique pour les jeunes générations : un président ne peut être au-dessus de la mêlée s’il ne se distingue pas du plus bas étage, à savoir de celui dont le niveau de langage est relâché, étant donné qu’il n’entend autour de lui que cette langue et ne pratique que cette dernière.
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Pour les plus vieux électeurs, c’est déjà autre chose, les jeux sont faits, les sondages n’en changent plus : un président n’a pas à jouer dans la cour des people, pour une raison simple : de "leur" temps, ça n’existait pas, on parlait des vedettes du spectacle, devenu plus tard vedettes du show-biz, quand l’anglais à commencé à envahir, à leur grand regret, leur univers, où l’on échangeait encore en bon François. Un président n’a pas a étaler sa vie privée en public, pour cette génération aujourd’hui à la retraite, qui n’a pas connu pareilles frasques, sauf peut-être avec l’épisode des diamants de Bokassa sous Giscard d’Estaing, épisode bien caché au départ. Pour les plus jeunes, c’est autre chose : le président, désormais, pour eux aussi, est un homme ambigu, qui présente un double langage et cache sa vraie personnalité derrière des discours écrits par des nostalgiques d’un époque révolue, alors qu’il manipule ostensiblement ce qui est devenu leur moyen de communication privilégié, à savoir le téléphone portable.
En à peine neuf mois d’exercice, par une simple attitude et l’étalage d’un mode de vie, un président français aura réussi une prouesse extraordinaire, celle de se couper des deux franges de population qui l’ont porté au pouvoir : les plus vieux, pour qui il représentait une certaine forme de tradition, et une partie des plus jeunes, qui admiraient en lui le côté dynamique et branché.
Mal conseillé, on le sait aujourd’hui, par des hommes ou des femmes passéistes, essentiellement nostalgiques de leur époque, notre président annonçait récemment que l’étude du français dans les écoles devait être revue, car on martyrisait trop, selon lui, l’orthographe et la grammaire : "L’orthographe, par quoi notre langue se tient debout ; la grammaire, qui est le commencement de toute pensée, qu’il faut débarrasser de l’invraisemblable charabia dans lequel on l’a enveloppée et qui l’a rendue presque aussi incompréhensible pour les enfants que pour les parents"... Un discours haineux à l’égard des penseurs qui se sont penchés ces dernières années sur l’apprentissage de cet orthographe, et qui en arrivent toujours à la même conclusion, à savoir qu’une simplification de l’orthographe française s’impose, celle qu’a réussie à faire l’allemand ces dernières années, mais qu’aucun homme politique n’a osé faire en France, par peur de lui voir tomber dessus la frange la plus conservatrice des intellectuels, dont l’inévitable Académie Française, le temple de la sclérose intellectuelle en France. Un langage qui n’évolue plus, alors que de l’autre côté de l’Atlantique nos voisins canadiens nous montrent la voie en inventant le mot "clavardage" pour dire qu’ils "chattent", mot que la commission chargée d’élaborer des pendants aux anglicismes nouveaux n’a jamais été fichue d’imaginer, en se contraignant à garder le mot anglo-saxon, ou en ne proposant qu’un inutilisable "bavardage en ligne". La réforme de l’orthographe n’a jamais été faite, car elle a toujours été le refuge d’un mandarinat, qui a imposé aux autres ce distingo élitiste. "La Compagnie (l’Académie) préfère l’ancienne orthographe, qui distingue les gens de Lettres d’avec les Ignorants, et est d’avis de l’observer partout, hormis dans les mots où un long et constant usage en a introduite une différente" dit d’emblée l’Académie Française créée par Richelieu. A partir de là, ça ne changera plus jamais. Toute tentative de réforme sera rejetée au principe qu’il ne faut pas mélanger le bas peuple avec l’élite. C’est un principe de base conservateur qui prévaut encore aujourd’hui en 2008. Au début du siècle, un réformateur comme Paul Meyer le constate amèrement : "Le grand obstacle à toute réforme, c’est l’Académie Française." Juste avant guerre, Albert Dauzat et Jacques Damourette reprennent les travaux de l’Abbé C. Voile et de Charles Beaulieux pour simplifier l’orthographe, mais rien n’y fait. En 1944, René Capitant aidé de Hubert Pernot et Charles Bruneau, deux professeurs de la Sorbonne, tente un nouvel essai de réforme à l’école. Avec des institutrices et des professeurs de secondaire, ils forment la Commission Langevin-Wallon qui rédige, en 1947 une proposition de réforme cohérente. Elle deviendra elle aussi lettre morte. En 1950, nouvelle tentative, qui se heurte aux mêmes défenseurs de l’orthographe traditionnelle : Paul Caudel et Le Figaro en particulier, qui n’ont pas assez de mots pour fondre sur la proposition novatrice. La droite ne souhaite pas que le peuple s’en mêle.
En janvier 1960, un espoir survient avec un changement radical d’état d’esprit : 70 membres de l’Académie des Sciences envoient au Secrétaire perpétuel de l’Académie Française et au ministre de l’Instruction publique une lettre qui exprime un "vœu en faveur d’une réforme restreinte de l’orthographe française" qui reprend en fait toutes les propositions précédentes et le travail de la commission Beslais, demandé par Christian Fouchet, alors ministre de l’Education. Un homme se distingue dans cette commission : René Thimonnier, qui rédige une grande partie du projet jusqu’en 1972, où ses propositions définitives sont remises au ministre de l’Instruction publique, Joseph Fontanet, qui les adresse alors à l’Académie... qui remet les modifications à plus tard, trop occupée à rédiger sa huitième version de son célèbre dictionnaire, qui ne change rien à l’édition précédente... à un mot près. Il faudra attendre 1990 pour que certaines de ces recommandations deviennent effectives, soit 30 ans après leurs premières formulations. On retient le trait d’union pour les chiffres et la soudure des mots, le pluriel simpifié des mots composés (un pèse-lettre, des pèse-lettres), la généralisation du procédé de l’E accent grave pour noter le son E ouvert du radical dans l’ensemble des verbes en -eler et en -eter (ex. : il étiquette, il étiquète), le participe passé des verbes pronominaux, et diverses anomalies dont les noms en an et on quand on crée des néologismes ou des dérivés (avec un seul "n" désormais). A peine sortie, la proposition se fait tancer sévèrement par... Le Figaro mais aussi par François Bayrou, devenu subitement chantre de l’orthographe traditionnelle, qui va jusqu’à créer une association Le Français libre pour défendre ses idées... traditionalistes ! L’Académie, elle, proposant d’entériner le choix mais comme "expérience" seulement ce que les éditeurs de dictionnaires, toujours aussi frileux, font également, bloquant tout espoir de modification réelle.
L’orthographe est bien un enjeu politique, et plus on est de droite et plus on ne souhaite aucune modification. Et plus le mandarinat perdure... à en faire faire des fautes à un président de la République comme aux élèves de CM2.
Manque de chance en effet pour notre bon président, lui-même "ne se tient pas debout", selon les propos qu’il a lus, ou plutôt ahanés, tant il a de mal parfois à lire des discours qu’il n’a pas pour sûr feuilletés avant de les prononcer (le plus bel exemple étant sa découvert de l’allusion surprise à Thierry la Fronde dans un discours sur l’audiovisuel, une référence typique d’un cinquantenaire comme Guaino, qui commence par un "j’en ai marre qu’on donne l’exemple de la BBC" !). Un présentateur de Canal, enjoué et facétieux, a révélé au grand public que notre président n’avait pas de leçons d’orthographe à donner aux autres : lui-même, sur une seule ligne sans même faire de phrases, il arrive à faire des fautes inimaginables en 6e (laissons-lui l’honneur du niveau du CM2, auquel il songe pour d’autres desseins). Le Canard enchaîné avait déjà noté le fait, en effectuant un agrandissement du manuscrit qu’il était en train de rédiger, présenté en photo dans Paris-Match : là encore, le texte était truffé de fautes. Passe encore, diront certains, un président ne peut pas être parfait partout. Même problème sur la question "usage du stylo", ou simple affaire d’éducation quand notre président joue les récupérateurs de Mont-Blanc roumain, à en faire pâlir le moindre VRP en goguette, qui n’aurait jamais osé faire de même.
Attitudes et propos désinvoltes, certes, mais en démarche intellectuelle encore il y a pire : lors de ce même discours, écrit par un conseiller, cette fois Guaino, pour sûr, tant le texte est passéiste, notre homme s’en prend à ce qui pour lui est la tare de notre époque. "Sans parler de la pratique du langage texto, je suis terrifié lorsque j’en reçois un. Il faut voir ce qu’est la langue texto pour le français. Si on laisse faire, dans quelques années on aura du mal à se comprendre." Là, on peut effectivement parler de double langage absolu, le président étant bien le premier des présidents français à être adepte forcené du téléphone portable, et bel et bien du texto, selon des sources journalistiques dont nous saurons bien un jour si elles étaient fiables ou non. Surpris en plein G7 à montrer à Poutine un affichage sur son téléphone, à la grande surprise du chef d’Etat russe, surpris à abandonner le pape Benoît XVI quelques minutes pour compulser son téléphone, surpris en pleine visite lénifiante d’un nouveau TGV en train de jeter subrepticement un œil sur son portable, alors qu’il n’écoute pas ce qu’on lui dit en mauvais élève cabochard.... notre homme est un "texto-addict" véritable, qui ne peut en l’état actuel des choses pratiquer l’imparfait du subjonctif et envoyer un SMS à son Premier ministre parlant de "l’anticonstitutionnalité de lois rétroactives", à moins de posséder un écran de 13 cm de large, ce qui est plutôt rare chez les téléphones portables. On ne peut être juge et partie : on ne peut se plaindre d’un relâchement textuel dû à une nouvelle technologie et en même temps utiliser de façon journalière cette même technologie.
Le texto n’est pourtant qu’un niveau de langage supplémentaire : on n’a pas à lui faire la chasse, mais à l’accepter, contraint et forcé, en établissant simplement un lien entre les autres niveaux de langage écrit existants. Lors de l’apparition dans les cours d’école de ce qui était alors perçu comme un fléau, un seul professeur l’avait compris, il était italien, et avait demandé à ses élèves de rédiger une rédaction au thème bien classique : "racontez-moi vos vacances", mais en langage... texto. Une fois notés, les élèves se sont aperçus que ce n’était qu’un moyen de transcription de plus d’une réalité, et la semaine suivante le professeur pouvait demander la même en italien classique, sûr d’avoir un travail acceptable de la part de ses élèves. Un petit ouvrage drôle et très bien fait était paru en France à la même époque, avec sur les pages paires un petit roman et sur les pages impaires sa transcription intégrale en texto ! Efficace, et très formateur, dans la dimension de la série "Pour les Nuls" dans laquelle doit bien exister un exemplaire sur le SMS et son usage...
En rajoutant un chapitre texto aux livres de français, en établissant un parallèle entre différentes façons de s’exprimer, on ferait comprendre qu’il existe des lois en tout : le texto a des règles, qui sont tout aussi complexes que celles de l’orthographe : la preuve, les adultes ne savent pas écrire en texto sans faire de... fautes !
Prendre le problème par le petit bout de la lorgnette n’a jamais rien résolu, et celui de l’usage en cours du texto, ou plutôt grâce aux directives Darcos, de son rejet effectif, est symptomatique d’une génération entière qui se coupe de sa jeunesse. Ce qui n’est jamais bon pour un pays : un gouvernement rétrograde prend des dispositions éducatives qui vont dans le mauvais sens et qui ne s’adaptent pas à la réalité. L’âge d’or de l’orthographe ne reviendra plus, il conviendrait plutôt de se poser plus sérieusement la question de son adaptation à la vie réelle, en proposant des règles nouvelles simplificatrices. Simplifier n’a jamais voulu dire édulcorer, ni oublier, ni martyriser. Des générations entières seraient moins traumatisées et surtout clouées au pilori de la recherche d’emploi si l’on acceptait de faire un pas vers elles, au lieu d’en revenir à grands coups de bottes de sept lieues à une génération précédente, voire deux.
L’écriture donc, l’usage immodéré du téléphone portable... et la parole, littéralement dévastatrice en qualité de leader désireux de montrer aux plus jeunes générations la voie à suivre. L’usage de la langue que fait notre président est essentiellement a-grammaticale. Dans toutes ses interventions en direct, il manque l’usage fondamental de la négation. Nicolas Sarkozy dit constamment "je fais pas" à la place de "je ne fais pas". Passent les accords ratés et les inventions de mots, dont il n’est pas le seul dépositaire, on arrive très vite chez lui à l’invective. Un président qui doit être le garant de la paix dans le pays donne régulièrement l’image d’un bretteur toujours prompt à dégainer, jusqu’aux poings parfois, ou en tout cas jusqu’à la joute oratoire du même niveau que celle de l’émetteur, à savoir sans aucune hauteur de vue à lui opposer. Un président ne peut être un homme de la rue et parler comme lui. Un chef véritable se reconnaît à son pouvoir de persuasion par l’usage de son vocabulaire, qui doit nécessairement allier langage recherché et langage maîtrisé, sans jamais devoir condescendre à utiliser un langage relâché. C’est le problème psychologique présidentiel essentiel, qui, par un souci avant toute chose d’empathie, pense qu’en parlant comme l’interlocuteur son message passera mieux. C’est faux, n’importe quel psychologue vous le dira : l’autre en face doit sentir une dimension supérieure pour après la respecter, ce qui ne doit pas venir d’un quelconque sentiment mais d’une reconnaissance naturelle d’autorité supérieure, liée à des connaissances supplémentaires reconnues et acceptées.
Avec Nicolas Sarkozy, cette dimension supérieure du chef d’Etat n’existe plus, et c’est ce qui est déplorable. Tous ses interlocuteurs le disent : c’est un homme au langage de caméléon, qui parle en phase directe avec celui qui est en face mais sans jamais élever le débat par l’usage d’un langage différent de l’interlocuteur. Cela plaît, évidemment, à ceux qu’il reçoit, qui sortent du palais de l’Elysée rassurés, mais ça n’est en rien le travail d’un président que de passer sa vie à abaisser son niveau pour pouvoir simplement avoir une conversation avec un individu. L’épisode du marin breton avait déjà révélé cette façon de faire, allant jusqu’à la jouer petit bras en menaçant d’en découdre physiquement, et hier encore, on a eu le sommet de cette pratique déplorable consistant à parler comme un charretier à ceux qui, justement, n’ont aucune empathie envers lui. Le "casse-toi, pauvre con" que l’on a pu entendre est donc extrêmement révélateur d’un parler qui ne peut être celui d’un président, contraint par ce genre de saillie grossière à ne plus savoir s’élever au-dessus de la masse. Pour ceux qui auraient pu croire que c’est un simple instant de relâchement et non une coutume présidentielle, il faut noter que les gens qui l’accompagnaient ont bien tenté de faire remarquer "qu’on est filmé, là"... prouvant par l’exemple qu’il y a bien deux discours présidentiels : celui écrit, par un conseiller, truffé de noms d’hommes politiques de tous bords ou de héros de la télévision sous l’ORTF, aux circonvolutions lexicales pas toujours très bien venues, et que le président a visiblement du mal à lire parfois, et le langage réel d’un président qui parle comme un véritable charretier.
Un charretier peut-il conduire un pays ? A part à sa perte, par défaut de reconnaissance de l’autorité naturelle, je ne vois pas où il peut aller.
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