Le privé, une machine de guerre contre l’École publique
On n’enseigne pas la liberté, et en premier lieu la liberté de conscience, quand l’enseignement repose sur un dogme prétendant détenir à lui seul la vérité absolue. Et on n’enseigne pas l’égalité quand c’est l’argent qui fait la différence de l’accueil ; au service des élites et des gens fortunés.
L’actuel secrétaire général de l’enseignement catholique, Éric Mirieu De Labarre, ex-président de l’UNAPEL[1], au sein de laquelle il condamna le PACS, confirme que nous sommes bien au-delà du débat scolaire et bien en-deçà d’une supposée mission de service public d’éducation. Affirmant au lendemain du discours du Latran en 2007, que « la laïcité positive[2]n’ (était) pas étrangère à l’enseignement catholique »[3], il poussait l’avantage jusqu’à prétendre, au congrès des chefs d’établissement du privé en mars 2008, qu’« étendre la contractualisation avec l’État aux établissements publics pourrait permettre d’éteindre définitivement les derniers brûlots de la guerre scolaire … ».
Quand le secrétaire général de l’enseignement catholique, fait ce « rêve », d'établissements publics sous contrat avec l'État[4] – contrat qui implique nécessairement, dans une logique d’autonomie accrue, une diminution de l’intervention de l’État – ce dessein a partie liée bien davantage avec l’idéologie libérale qu’avec la revendication traditionnelle d’un enseignement dit catholique. Et Éric Mirieu De Labarre d'enfoncer le clou : « Le moment paraît venu de donner un second souffle à la loi Debré... Aujourd'hui, l'essentiel est d'organiser une relation contractuelle entre l'État et les établissements publics et privés, qui permette d'innover et de respecter les principes de la République. »
L’on est, de fait, en train d’appliquer, aujourd’hui, ce que Guy Bourgeois, ex-président de l’association « Créateurs d’écoles », préconisait en 2002 : « Un contrat global et unique (logique de recentralisation) entre le ministère et le secrétariat général de l’enseignement catholique pour toutes les écoles …. Cela maintiendrait un fort clivage entre enseignement public et privé et les mettrait franchement en concurrence. » Ce n’est donc plus « le triomphe de l’équivoque », c’est, derrière l’alibi pédagogique et les prétendues réussites, le triomphe de la compromission libérale de l’enseignement catholique et le triomphe de la compromission catholique des tenants de l’éducation libérale.
Et si l’enseignement catholique occupe aujourd’hui la majeure partie du terrain de l’enseignement privé, rien ne peut garantir qu’il en sera de même, demain :
« Les intentions, parfois généreuses, parfois intéressées, des responsables de l’enseignement catholique font le jeu d’un enseignement privé qui demain n’aura plus besoin d’une étiquette confessionnelle pour accroître le démantèlement du service public. Car, dans l’ombre, des hommes imprégnés d’idéologie libérale et américaine guettent leur heure pour introduire la rentabilité dans l’enseignement. Et cette heure risque de sonner sans bruit, petit à petit, sans déranger la bonne conscience de ceux qui, croyant travailler à vivre l’Évangile, ont, une fois de plus dans l’histoire, fait le jeu des intérêts égoïstes. »[5]
Ceux qui ignorent ou feignent de ne pas voir la différence entre les deux systèmes apportent aujourd’hui de l’eau au moulin des pouvoirs publics qui se servent de l’enseignement sous contrat pour désengager l’État et privatiser le service public d’éducation. L’enseignement catholique entretient toutes les contradictions : il prétend jouer le rôle de complément du service public en s’inscrivant dans une logique de concurrence. Alors que chaque établissement est en réalité une entité de service commercial, la volonté pastorale sert de paravent au désir de conservation et de conquête des parts du marché scolaire.
C’est ainsi que s’institue une école à deux vitesses où le privé, avec un financement à l’élève, échappe à toutes contraintes. L’école privée génère de multiples ségrégations, y compris sociales, et obtient encore plus que l’illégitime « parité » des moyens qu’elle revendiquait. Elle s’exonère ce faisant, de toutes les obligations qui pèsent sur le seul service public laïque de l’éducation. Le service public laïque est le seul à accueillir toutes et tous, le seul à assurer la cohésion par la laïcité, fondement du vivre ensemble au-delà des différences de conditions des uns et des autres tant démographiques, géographiques que sociales….
Au regard de la pratique religieuse, l’enseignement catholique, 96% des écoles sous contrat, est pourtant surreprésenté : seuls 10% des élèves qui fréquentent ces établissements, invoquent des motivations confessionnelles. Le privé est surtout « victime » d’un « succès » et d’une bonne image en réalité, tout relatif, savamment entretenus grâce à des classes à faibles effectifs et des établissements de petite taille[6]. Cet enseignement n’accueille que 11,7% de boursiers tandis que le public en accueille 26,7%.
Les statistiques relatives aux catégories sociales des parents, soulignent les mêmes disparités sociologiques : les enfants des classes les plus favorisées se retrouvent majoritairement dans le privé alors que ceux issus des foyers les plus démunis vont dans le public. Aussi, la hiérarchie catholique redoute-t-elle la prise de conscience d’une opinion publique qui rejette majoritairement une société éclatée en communautés. Elle préfère, en revanche, profiter d’un climat conjoncturel pour s’inscrire dans la logique de marché de ceux qui visent à déstabiliser le service public d’éducation pour le désinstitutionnaliser. Ceux qui opposent au « vivre ensemble », le « libre choix » d’un regroupement par affinités, demandes ou désirs individuels, participent à une fragmentation de la nation en de multiples communautés, de laquelle l’école devient partie prenante. Les mêmes, favorisent de ce fait la discrimination sociale. Toutes les statistiques officielles le prouvent.
« Nous ne sommes pas arrivés à un terme »
Le 17 décembre 2009 à la Sorbonne, le secrétaire général de l’enseignement catholique, Éric Mirieu de La Barre [7]conclut un colloque[8] commémoratif de la loi Debré, à l’intitulé provocateur, « Liberté d'enseignement et participation aux politiques publiques d'éducation », par cette belle exhortation : « La France a inventé un mode d'organisation (…) de la liberté d'enseignement qui n'a guère d'équivalent à l'étranger, sauf peut-être en Belgique et aux Pays-Bas. Serons-nous capables à l'avenir de transformer cette exception française en modèle. (…) En tout cas ce qui est certain c'est que nous ne nous sommes pas arrivés à un terme mais que l'histoire est devant nous. »
Éric Mirieu De Labarre encore lui, saluait la loi Carle de 2009, qui instituait l’ébauche d’un chèque éducation, comme « un bon compromis à un instant T ». « Exception française », souligne-t-il ; c’est en effet, peu dire. Parmi les structures de 27 pays qui composent le « Comité européen de l’enseignement catholique », notre République laïque, se taille la part du lion : 27 % du total des élèves, 29% des établissements. A contrario, « avec 4,5 %, la France est aujourd’hui le pays catholique où la pratique dominicale est la plus basse », note pourtant Denis Pelletier, historien à l’école pratique des hautes études[9]. À l’exception de la France, où l’enseignement catholique sur financé par la puissance publique représente plus de 17% en moyenne, la plupart de ces pays appliquent ce principe : « À école publique, fonds publics ; à école privée, fonds privés. » La Pologne, l’Italie et le Portugal ne sont en rien comparables, relativement à leur rapport à la laïcité et à une école dite laïque, à notre République. Soulignons néanmoins que, dans ces trois pays, l'enseignement catholique privé, en l’absence de financement public, représente respectivement 0,90%, 3,80% et 3,70%. La constitution de la République italienne de 1947, à l’article 33, stipule que « les collectivités ou les personnes privées ont le droit de fonder des écoles et des instituts d’éducation », mais le texte ajoute bien : « sans charge pour l’État ». L’État n’est donc pas tenu de les aider financièrement.
Eddy KHALDI
http://www.la-republique-contre-son-ecole.fr/
[1] UNAPEL : Union nationale des parents d’élèves de l’enseignement libre, aujourd’hui dénommée APEL
[2] Ichtus septembre 2008 « opportunité de la laïcité positive » : « Sans avoir le ridicule de le prendre pour un appel à la croisade, et sans se faire non plus d'illusions sur les motivations profondes de Nicolas Sarkozy, nous ne pouvons rester indifférents à cet appel à la mobilisation des laïcs catholiques, lequel semble faire écho à l'insistance de l'Église et aux différentes exhortations de ses pontifes incitant les fidèles à évangéliser toutes les institutions sociales. » à commencer par l’enseignement. La loi Debré ouvrait également la voie à une "laïcité positive", nous dit ce site de l’enseignement catholique :http://ens-religions.formiris.org/
[3] La loi Debré ouvrait également la voie à une "laïcité positive", nous dit ce site de l’enseignement catholique :http://ens-religions.formiris.org/
[4] AEF, dépêche n°90436, 24 janvier 2008.
[5] Guy Goureaux Guy, et Jacques Ricot, Autopsie de l’école catholique, Éditions du Cerf, Paris, 1975
[6] Voir document relatif aux statistiques en annexe
[7] Secrétaire général de l'enseignement catholique
[8] « Liberté d'enseignement et participation aux politiques publiques d'éducation »
[9] Selon une enquête IFOP « Le catholicisme en 2009) réalisée pour La Croix, les Français restent Selon une enquête IFOP « Le catholicisme en 2009 » réalisée pour La Croix, les Français restent pour les deux tiers attachés à une identité catholique mais la messe du dimanche ne rassemble plus qu’une toute petite minorité.
Si deux tiers encore des Français se déclarent catholiques, rares sont ceux qui pratiquent : en effet, 4,5 % seulement de nos concitoyens disent fréquenter une église chaque dimanche, 15 % y allant régulièrement, de l’ordre d’une fois par mois environ.
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