Le procès de la démocratie représentative
La démocratie représentative, que nous préférons nommer "oligocratie", est une forme d'organisation sociétale, dont Sieyès est l'un des plus éminents fondateurs, et qui sévit aujourd'hui dans la quasi totalité des pays de la planète. Il convient de rappeler que l’oligocratie (mode de gouvernement par un groupe retreint) est l’un des trois modèles-souches de gestion de la collectivité humaine avec la monocratie (gouvernement par un seul homme) et la démocratie (gouvernement par l’ensemble des citoyens). Il n'est pas inutile non plus de rappeler que ce système présente la caractéristique perverse de vouloir en permanence se faire passer pour son concurrent direct, la démocratie, alors qu’il a lui même organisé son assassinat après la chute de la monocratie.
Ce putsch institutionnel permanent initié en 1789, fut naturellement réédité en 1848, après que la monocratie ait été provisoirement réinstallé à suite de la débâcle de Waterloo. De la même façon qu’au siècle précédent, le mouvement révolutionnaire aspirant à l’installation de la démocratie fut alors berné et manipulé par les tenants de l’oligocratie, qui sous l’apparence d’adhérer aux idées démocratiques, imposèrent un système radicalement contraire, c’est à dire un mode de gouvernement par une minorité soi-disant élitaire, qui réduisait le peuple à un rôle de simple faire valoir.
Même le suffrage universel, outil apparemment spécifique de la démocratie, fut manipulé par les oligocrates au point que l’un de ses plus éminents représentants Alexis de Tocqueville put alors déclarer tranquillement : « Je ne crains pas le suffrage universel, les gens voteront comme on leur dira. »
Cette stratégie du mensonge et de la duplicité est une constante historique de l’oligocratie, qui préfère d’ailleurs qu’on la nomme, plus pudiquement, « démocratie représentative ». Cet abus de langage présente naturellement le double avantage pour elle de toujours faire apparaître le terme démocratie, d’une part, et de pouvoir aisément faire oublier le terme « représentative » chaque fois que nécessaire, dans le but malin de se faire passer pour ce qu’elle n’est pas, à savoir un parfait garant de vertu républicaine.
Cette installation de la démocratie représentative en 1789 fut donc une belle mystification qui permit de faire croire au peuple qu’il avait repris le pouvoir d’entre les mains de la monarchie. Sous l’apparence d’établir le pouvoir « du peuple, par le peuple et pour le peuple », ainsi qu’annoncé dans le préambule de la nouvelle constitution, l’oligarchie économico-financière, certes naissante à cette époque mais néanmoins en grand devenir, entreprenait en réalité d’installer son propre pouvoir pour le long terme.
Cette analyse n’a rien d’hétérodoxe, puisque Marx lui même avait convenu du caractère bourgeois de la révolution de 1789, ainsi d’ailleurs que de celle de 1848, et en avait conclu que le peuple devrait songer à instaurer sa gouvernance d’une autre manière…..
Historiquement, force est constater que le peuple s’est fait voler sa victoire et politiquement berné par deux fois, et que c’est, encore aujourd’hui, le système décrit et prôné par E.J. Sieyès en septembre 1789 qui prévaut. Ce système est couramment dénommé « démocratie », mais à la nuance près que les lois, décrets, arrêtés et règlements qui contraignent notre vie quotidienne sont imaginés et décidés par une infime minorité de citoyens, généralement même pas élus.
Bien que né d’une supercherie historique, ce système fonctionne néanmoins depuis plus de deux cent ans. C’est à la fois peu et beaucoup, mais la réalité constatable à l’œil nu, c’est qu’il arrive aujourd’hui à bout de souffle et se trouve contesté de toutes parts.
Le plus frappant est que cette remise en cause n’est pas tant due à son caractère usurpatoire déjà indiqué, mais bien plus à une défiance grandissante du peuple vis à vis de sa mécanique interne, c’est à dire de la délégation de pouvoir des citoyens envers leurs mandataires.
Si Sieyès avait pu, en 1789, présenter l’option représentative comme une évidence au prétexte que l’individu de base ne possédait ni le loisir, ni l’instruction nécessaire pour participer à l’élaboration de la loi publique, ce succédané d’argument n’est même plus plausible aujourd’hui, à une époque où la durée de travail hebdomadaire de l’individu moyen va bientôt descendre à 32 heures, et où la circulation de l’information est supposée donner à tout le monde un niveau de connaissance jamais atteint par le passé.
Il ne reste donc plus que l’argument de la confiance pour justifier la délégation par le peuple de son pouvoir législatif entre les mains d’une infime minorité d’individus. Mais il s’avère que cet argument de la confiance a lui aussi fait long feu, et que le peuple, pour tout une série de raisons, rechigne de plus en plus à l’accorder à ses représentants pour élaborer la loi et conduire les affaires publiques. La preuve en sont les contestations incessantes pour de nombreuses lois existantes, ou même systématiques pour chaque projet en cours.
Ces conflits, qui constituent en terme stricts de véritables violations de la constitution, sont néanmoins présentés comme justifiés par la nécessité d’instaurer des contre-pouvoirs, eux-mêmes destinés à améliorer le fonctionnement de la démocratie. Pourquoi pas ? Mais alors, il conviendrait de l’écrire noir sur blanc dans la constitution et d’affirmer, une bonne foi pour toutes, que la loi s’élabore dans le cadre d’un rapport de force entre quelques salariés de l’Etat (ministres par exemple) désignés par le président de la république, et certaines minorités corporatistes agissantes, susceptibles de mobiliser une capacité de nuisance ponctuelle mais significative vis à vis du reste de la population.
Ce flou juridique dans le processus d’élaboration de la loi témoigne d’une grave crise du concept même de « légitimité ». Car c’est bien la légalité qui doit procéder de la légitimité et non pas l’inverse. De fait, si quelque chose de légal est considéré comme illégitime, ce quelque chose doit être aboli. A contrario, si quelque chose s’impose comme étant légitime, il devrait acquérir de facto force de loi. Cette confusion entre le légal et le légitime est la source de la plupart des errements politiques et convulsions sociales que nous constatons aujourd’hui.
Le fait que l’ensemble des groupes activistes quelque soit leur obédience (casseurs contre la loi travail, ZADistes contre l’aéroport de NDDL, taxis contre VTC, agriculteurs contre la PAC, routiers barrant les routes, syndicats bloquant les raffineries, etc…) se réclament d’une action légitime au regard de leur éthique propre, quoique illégale au regard du code pénal dénote une gravissime crise du concept même de légitimité. Autant dire d’ailleurs que la légitimité constitutionnelle n’existe plus aujourd’hui, et que les lois ne se déterminent qu’au terme d’affrontements plus ou moins ostensibles entre forces contraires, mais jamais dans le cadre serein de l’exercice d’une légitimité statutaire, écrite, claire, évidente et acceptée par tous.
Ce constat signe tout bonnement la faillite de l’oligocratie et du système représentatif qui en est l’expression constitutionnelle. Après deux cent vingt cinq ans à peine de fonctionnement, ce système oligocrate montre qu’il n’a pas été en mesure de construire une véritable légitimité, au contraire du système monocrate qui a perduré, lui, sans contestation populaire significative pendant plus de vingt siècles.
La raison en est que les oligocrates usurpateurs des révolutions des dix huitième et dix neuvième siècles, se sont crus dispensés d’écrire une définition claire de leur légitimité, pensant imprudemment qu’un hold-up sémantique hâtif sur le terme de démocratie suffirait à régler la question..
Dans le système monarchique, cette légitimité, bien que naturellement exécrable, était néanmoins clairement définie comme étant celle de la parole du prince, elle même étant l’émanation de la volonté de Dieu. Cette définition ne se prêtait pas à une diversité d’interprétation et, à défaut d’être juste socialement, elle s’imposait par sa limpidité.
A l’opposé, le système représentatif de l’oligocratie apparaît flou, ambigu et en perpétuel changement. Les règles de majorité et les modes scrutin sont sans cesse modifiés, les découpages électoraux souvent remis en question, la place des consultations populaires directes (tel que le référendum) mal précisée au sein du millefeuille électoral et, pour parachever ce cloaque politique, la fonction législative dissoute dans la fonction exécutive.
Si la monocratie repose sur une légitimité claire, mais socialement arbitraire, tandis que l’oligocratie repose sur une légitimité plus sociale mais mal définie, la vraie démocratie, elle, c’est à dire la démocratie directe, apporte une réponse à la fois claire et sociale à la question de la légitimité en confiant la fonction législative au peuple.
Cette dévolution s’entend dans son toute son intégralité et sa rigueur, c’est à dire que les trois étapes de la construction législative que sont « l’initiative, le débat et la votation » sont du ressort unique des citoyens bénévoles, à l’exclusion de tout représentant, mandataire ou professionnel rémunéré de la vie publique.
En fin de processus, la légitimité de la loi votée se définit par son caractère majoritaire incontestable. A l’axiome monarchique : « la loi est la règle décidée par le roi » est alors substitué l’axiome démocratique : « la loi est la règle exprimée par la majorité des citoyens ».
( Extrait du livre "Vers la démocratie directe" )
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