Le sectarisme et les sectes
Une réaction à la déclaration de Mme Mignon.
Les différentes définitions du mot secte à l’occasion de la récente déclaration de Mme Mignon peuvent laisser un sentiment d’incompréhension voire de méconnaissance inquiétante. Je reprendrai à titre d’exemple les termes de l’interview de Nathalie Luca chargée de recherche au Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux à l’École des hautes études en sciences sociales publié dans Le Monde du 25 février 2008 et déjà cité dans un précédent article.
« On peut dire qu’un groupe devient sectaire lorsqu’il se ferme. Il y a plusieurs niveaux sur lesquels un groupe peut se fermer : le mariage, d’abord. Lorsqu’un groupe tout jeune, qui vient d’être fondé, refuse le mariage, les relations sexuelles, il a le plus grand mal à se développer sur le long terme, ce qui peut l’amener à dériver parce qu’il voit qu’il n’a pas d’avenir. Lorsqu’un groupe se ferme sur tout échange économique avec la société, il refuse l’argent, il préfère cultiver ses propres légumes plutôt que d’en acheter, dans ce cas, le groupe empêche ses adeptes de pouvoir se réadapter facilement à la société le jour où ils désirent en sortir. Enfin, le plus grave certainement : lorsqu’un groupe utilise un langage qui n’est compréhensible que de lui seul, alors il n’y a plus d’échange intellectuel possible entre lui et son environnement social. On constate que les groupes qui se ferment sur ces trois niveaux - le mariage, l’économie, le langage - sont ceux qui ont connu les dérives les plus dramatiques. La plupart du temps, les groupes ne se ferment que sur l’un ou l’autre de ces niveaux. Cela leur permet de rester liés avec la société. »
Cette définition est intéressante car elle différencie secte et groupement ou dérive sectaire. Le terme de secte s’applique en effet à des groupements différents impliquant diverses disciplines (sociologie, histoire, droit, politique et culture) en fonction de la définition utilisée de ce terme et du pays dans lequel ils se trouvent.
Dans tout groupement humain la dérive sectaire est possible et de fait existe à plus ou moins grande échelle. En France, la Commission d’enquêtes parlementaires sur les sectes devant la grande difficulté de définir le concept a décidé de reprendre les critères observés par les Renseignements généraux, qu’elle considère comme « un faisceau d’indices, dont chacun pourrait prêter à de longues discussions. » :
Dangers pour l’individu :
- la déstabilisation mentale ;
- le caractère exorbitant des exigences financières ;
- la rupture induite avec l’environnement d’origine ;
- les atteintes à l’intégrité physique ;
- l’embrigadement des enfants.
Dangers pour la collectivité :
- le discours plus ou moins antisocial ;
- les troubles à l’ordre public ;
- l’importance des démêlés judiciaires ;
- l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ;
- les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.
D’un autre point de vue, les sectes s’opposent aux religions sur de nombreux points, mais elles leur ressemblent aussi. La religion s’efforce de relier l’homme à Dieu. Dans toute religion, l’intervention d’un homme est prédominante. C’est le fondateur (Moïse, Jésus, Mahomet) ou le réformateur (Luther, Calvin). Le lien de cet homme avec Dieu est privilégié. Cependant, certains fondateurs de sectes s’affirment aussi messagers du divin. Dès lors, où placer la limite entre sectes et religions ?
- le nombre d’adhérents ?
- l’organisation ?
- la personnalité du fondateur ?
- les critères de dangerosité ?
- le coût demandé, la liberté de quitter le mouvement, etc. ?
Bien évidemment, c’est à chacun, avec un peu de lucidité de jugement, d’exercer sa liberté de choix et penser ce qu’il voudra des mouvements suivants dont la liste est loin d’être exhaustive : Moon, Scientologie, Science chrétienne, Méditation transcendentale, Hare Krishna, Témoins de Jéhovah, Temple solaire et combien d’autres. Il faudrait ajouter à cette liste sommaire les mouvements ou dérives de faible importance numérique, mais qui oeuvrent et font preuve d’un prosélytisme important. A cette première difficulté, s’ajoute le fait que certains de ces mouvements sont considérés comme religions dans certains pays et non en France.
La franc-maçonnerie, que l’on ne peut taxer de sectaire, connaît aussi dans certaines de ses obédiences ou certaines loges ou de ses rites, des systèmes quasi sectaires (rites égyptiens, rite de Memphis Misraïm, certaines loges axées sur une interprétation trop stricte des théories de René Guénon).
Les grandes religions traditionnelles connaissent aussi des dérives du même type. Le communisme n’est-il pas sectaire quand il veut supprimer les riches ? Enfin, d’autres organisations moins traditionnelles sont traversées par les mêmes dérapages. Ce sont les gourous qui mettent en place des modèles d’action isolant l’individu soit dans l’entreprise, soit dans certaines associations caritatives.
Les sectes et les dérives sectaires sont donc bel et bien un problème grave sur lequel les pouvoirs publics doivent agir. Mme Mignon a donc mal évalué le non-problème. C’est au gouvernement de mettre en garde les citoyens contre les dangers de ces mouvements où fondamentalisme et intégrisme s’associent pour mettre au point des doctrines qui peuvent tenter et séduire, mais sont dangereuses. Une approche prudente et éclairée ne peut-être que conseillée.
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