Le temps des geigneurs
Fruit de l’essor fulgurant des sciences
et techniques au cours des deux dernier siècles, les mass-médias
occupent désormais dans notre vie quotidienne une place essentielle.
Sculpteurs de la réalité aux talents discutés, ils génèrent de nouveaux modes de pensée et de comportement.
Toute notre vie, nous sommes en quête d’informations et agissons en fonction des informations obtenues. Que cela soit un simple commérage ou un communiqué national, toute information nous façonne et décide de notre lendemain. Si toutes les informations pouvaient se trouver à notre connaissance, le hasard serait enfin vaincu, mais à quel prix : celui de notre libre-arbitre ! Heureusement, l’Homme ne connaît jamais toutes les causes de ses actes et cette ironie du destin fait de lui un être a priori libre.
Durant l’essentiel de son histoire, l’être humain vécut dans un espace et dans un flux d’information très limité : de la grotte au village, de quelques congénères à quelques dizaines de connaissances, sa vision du monde fut aussi restreinte que ses moyens de locomotions et d’information. Puis soudain, en deux siècles, une véritable révolution s’opéra, les découvertes s’enchaînèrent aux découvertes, les limites du possible et du savoir reculèrent merveilleusement. Radio, télévision, satellite, portable, internet : les mass-médias étaient nés.
Dire que les mass-média ont une influence sociologique est un euphémisme. Auparavant, l’homme pouvait répondre à la plupart des informations reçues car la plupart concernaient un territoire qui lui était accessible. Journaux du coin et bouche à oreille : les informations étaient limitées mais parlaient d’un monde qu’il connaissait et sur lequel il pouvait agir. Les mass-média ont changé cet état des choses. Aujourd’hui, l’homme vit dans un flux d’information bien plus important, illimité s’il le souhaite, mais une part importante des informations qu’il reçoit ne le concerne pas ou ne lui permet aucune possibilité d’action. Une autre part importante est en accord avec ses intérêts et ses possibilités d’action mais il lui est impossible de répondre à toutes et il doit donc effectuer des choix.
Une information inutile est toujours une information désagréable : l’homme a perdu du temps à s’en instruire et en espérait un profit. Une information utile auquel il ne peut répondre l’est davantage. Une information utile auquel il pourrait répondre s’il ne devait effectuer un choix l’est encore davantage. Tous ces désagréments représentent avec plus ou moins de force le sentiment de dépit.
En somme, toute information auquelle l’homme ne peut répondre lui apporte chagrin et colère. A l’heure des mass-médias, ce dépit devient une habitude car nous recevons beaucoup d’information involontairement ou contre notre gré : les affiches publicitaires sont l’exemple évident. Mais il y a aussi toutes les informations sur lesquelles nous pouvons exercer un contrôle. Regarder un divertissement télévisuel est naturel : cela détend, apporte du plaisir. A l’inverse s’informer des actualités est souvent une expérience désagréable : les informations sont souvent négatives et dépassent nos possibilités d’actions. Pourquoi s’en informer, alors ? Par curiosité et par orgueil : pour l’espoir d’une bonne nouvelle et pour les plaisirs direct et indirect de la connaissance : direct quant à notre croyance en la supériorité (quantité et/ou qualité) de notre savoir, indirect quand cela nous sert à informer, instruire, autrui. Evidemment, curiosité comme orgueil sont choses naturelles, bien qu’aussi irrationnelles.
Dans cette optique, nous remarquons la possibilité d’un comportement en forme de cercle vicieux : un individu peut rechercher les informations désagréables pour satisfaire sa curiosité et son orgueil. L’humeur triste mais l’ego comblé, ce comportement avide d’information ne permettant aucune réaction concrète ne peut que tendre vers une vaine pitié et un idéalisme sentencieux.
Concrètement, ce comportement possible semble correspondre à une certaine réalité. Aujourd’hui, beaucoup, sans le savoir, sont moroses moins à cause de soucis personnels ou d’ennuis concrets mais par trop plein d’informations négatives sur lesquelles ils ne peuvent rien, en premier lieu celles des actualités. Pourtant ils apprécient ce genre d’information qui leur permet de penser et de parler de choses dépassant de beaucoup leur possibilité d’action, leur pouvoir de décision, ce qui flatte l’orgueil. Critiques de canapés et idéalistes de salon, cette forme de contestation, essentiellement dénuée d’action, est particulièrement visible sur internet, lieu d’information illimité et exutoire cathartique idéal.
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