Les B-52 de la chanson
« 52 artistes, parmi lesquels Etienne Daho, Johnny Halliday, Diam’s et Charles Aznavour, se mobilisent contre le piratage sur le net dans un appel intitulé "Ne pillez pas nos œuvres", publié dans Le Journal du dimanche ».
On les comprend. Moi-même, j’aimerais bien recevoir une rémunération au prorata des connexions à mes notes, billets, articles. Mine de rien et depuis sept ou huit ans que je fréquente le net, même à 10 centimes d’euro le coup d’œil, je me serais constitué un petit pécule plutôt confortable.
Mais ça ne marche pas comme ça. On échange gratos ce qu’on sait faire, et basta.
Il y avait bien la combinaison a priori gagnant-gagnant de la licence globale* soutenue par la gauche parlementaire, mais les majors de l’audiovisuel n’en ont pas voulu et les artistes gros engrangeurs de royalties non plus, pour lesquels la mécanique, pourtant pas fondamentalement différente du principe de la répartition dévolue à la Sacem, manquait évidemment d’attraits. Les droits d’auteurs sur la diffusion, c’est sympa comme bonus, mais ça ne vaut pas de bonnes grosses ventes bien juteuses de CD qui ne coûtent rien à presser et rapportent bonbon.
Il n’y a que les mal-lotis du show-biz pour ne pas s’en plaindre, puisque par définition on les pille peu et qu’une taxe prélevée à la source, même modeste, ça permet de survivre quand on n’est plus au goût du jour.
Demandez à Higelin père et fils : Jacques, qui est bourré de talent, mais out, n’a pas signé la motion, tandis qu’Arthur, intéressante voix de Tom Waits à la french, mais par ailleurs strictement rien à dire de pertinent sur le monde, paraphe volontiers.
Pareil pour les Dutronc : Thomas est concerné, Jacques s’en fout.
Faut admettre qu’il n’est pas évident pour des créateurs très majoritairement – et la plupart du temps de leur plein gré – estampillés à gauche de soutenir le projet de loi de Mme Albanel, ministre de la Culture d’un certain Nicolas Sarkozy, pas réputé pour ses sympathies à propos de la chanson engagée, en dehors de celle produite par les amis Smet, Barbelivien et, bien sûr, Carla.
C’est pourquoi, il est choquant de trouver les noms de Cabrel, de Bashung, de Souchon, de M. Eddy et même de Bernard Lavilliers au rang des signataires**.
Pour Renaud, passons, le gaillard, quoique doué, nous a toujours semblé aussi ficelle qu’un chouïa démago, mais Lavilliers, qui chante le prolo avec tant d’empathie ?
Je l’ai récemment entendu en concert dégommer le Sarko. Au lieu de mettre dans sa poche à peu de frais une salle acquise d’avance, il aurait peut-être mieux fait de plaider pour le téléchargement de ses œuvres payant à toc et pour la sévère punition des contrevenants. Associée au tarif du ticket d’entrée pas vraiment réservé aux revenus modestes, voilà une prise de position qui n’eût pas manqué de séduire son public, sans grand risque pour le baladin puisque ses fans ne sont globalement plus assez verts pour faire volontiers le coup de poing.
Si un artiste à succès estime naturel de vivre comme un nabab au prétexte qu’il en a bavé dans sa jeunesse, on ne voit pas en quel honneur il reprocherait quoi que ce soit à tous ceux qui tirent d’une façon ou d’une autre leur épingle du jeu économico-social.
Ca n’a pas toujours été facile pour Lavilliers ? Pour Noël Forgeard non plus et pourtant on n’avait jusqu’à présent pas cru comprendre que le premier soutenait objectivement le second.
Parce que c’est la seule chose dont il est question : l’argent. M. Souchon peut bien faire aveu de paresse – qu’on ne lui reproche pas un instant – et sortir un album tous les cinq ans, en attendant, il faut que cela rapporte, et beaucoup, en se brutalisant le moins possible.
Aucun des signataires ne semble s’être posé quelques questions élémentaires : ce que je produis ne coûte-t-il pas trop cher au consommateur ? Est-il justifié de rouler sur l’or en composant ou interprétant quelques chansons pas forcément aussi géniales que du Rimbaud, qui ne vécut jamais de son art ? Dois-je faire cause commune avec des maisons d’édition qui me jetteront comme un malpropre lorsque je dévisserai des charts ? Est-ce qu’au fond je n’adore pas un système que, lorsque je ne le combats pas explicitement, j’affecte de considérer avec indifférence, ironie ou, plus classe, avec la distance du poète pas vraiment de ce monde, sauf pour posséder la clé de la Porsche ? Est-ce que je vaux mieux que François Béranger ou Môrice Bénin et pourquoi ?
Et que penser de l’absence à ce grand soutien à la politique libérale sarkozienne de gens aussi brillants que Jacques Bertin ou Gérard Manset, le premier radicalement inconnu du grand public, le second depuis toujours attentif à ne jamais se compromettre avec le business ? Jean Ferrat, qu’en dit-il ?
Est-ce seulement parce qu’on ne les pirate pas assez qu’ils n’en ont rien à battre ou ont-il un autre avis sur la question ?
On aimerait bien les entendre.
**Evidemment, tout ce qui précède vaut a fortiori pour l’industrie cinématographique, où il paraît bien établi et pour toujours que le cachet de la vedette comme le coût de la place à l’orchestre pour le spectateur ne sont jamais assez élevés.
Les signataires de l’appel :
Etienne Daho, Christophe Maé, Kery James, Sinik, Francis Cabrel, Patrick Bruel, Jean-Jacques Goldman, Jenifer, Stanislas, Raphaël, M Pokora, Keren Ann, Thomas Dutronc, Eddy Mitchell, Isabelle Boulay, Maxime Le Forestier, Martin Solveig, Marc Lavoine, Calogero, Gérard Darmon, Pascal Obispo, Jacob Devarrieux, Elie Seimoun, Alain Bashung, Bernard Lavilliers, Rachid Taha, Bob Sinclar, Psy4delarime, Abd Al Malik, Anis, André Manoukian, Charles Aznavour, Alain Souchon, Mademoiselle K, Soprano, Arthur H, BB Brunes, Liane Foly, Emmanuelle Seigner, Ridan, Renan Luce, Zita Swoon, Johnny Hallyday, Empyr, Kenza Farah, Shine, Camaro, Diam’s, Renaud, Romane Cerda, Cali et la Grande Sophie.
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