Les électeurs à l’heure du choix
Alors que la campagne prend dangereusement une tonalité assez médiocre, essentiellement basée sur des caricatures personnelles, il me semble utile de rappeler quelques éléments de fond sur lesquels les électeurs devront réfléchir avant de glisser leur bulletin de vote dans l’urne. En effet, la place de troisième homme de Bayrou rend à l’élection présidentielle sa bipolarisation. Prenons-en acte au moins jusqu’aux législatives.
Le 6 mai se décidera un projet pour la France. C’est une date capitale et j’aimerais partager avec vous, de droite comme de gauche, mon sentiment sur les enjeux de cette élection. Ne pouvant parler de tout dans ces rubriques nécessairement limitées en place, je vous propose d’aborder ci-après le thème de la notion de service public, thème bipolaire par excellence.
D’un côté nous avons une inclinaison plutôt de droite qui consiste à penser que souvent (pas toujours) la gestion privée d’une activité génère forcément une meilleure efficacité de ce service pour un coût identique, voire moindre, qu’un service public. Cette conviction est en général assise sur quelques exemples éloquents de désastres financiers ou industriels où la gestion étatique a brillé par ses incohérences et plus généralement sur l’idée selon laquelle les collectivités publiques ne sont pas les meilleurs gestionnaires d’entreprises.
De l’autre côté de l’échiquier politique nous avons une pensée selon laquelle le service public, au contraire, est la garantie d’une gestion puriste et désintéressée dans laquelle n’interfèrent pas les intérêts des actionnaires et/ou d’une caste dirigeante. Le service public serait ainsi le garant d’une certaine éthique dans la gestion des affaires et aussi dans l’exécution même du service concerné.
Ces deux convictions reposent, de mon point de vue, sur deux erreurs. Je crois que les libéraux ferment les yeux sur la vicissitude de la nature humaine qui est inéluctablement tentée par le fait de faire passer des intérêts personnels avant l’intérêt général. De l’autre côté, je crois que les « publicistes », eux, ferment les yeux sur la vicissitude de la nature humaine qui est inéluctablement tentée par le fait de faire passer des intérêts personnels avant l’intérêt général.
Par cette boutade je souhaite exprimer mon idée selon laquelle ces deux conceptions de la vie économique sont néfastes lorsqu’elles ne sont pas assorties de contre-pouvoirs efficaces et pertinents. Et aussi que ces deux conceptions sont sources d’effets positifs et non pas seulement négatifs. Le secteur privé sera plutôt source de dynamisme, d’adaptation, et, je crois, d’économie. Le secteur public sera plutôt source d’équité, d’humanisme et, je crois, de désintéressement.
Et là, vous dites, « il est gentil, Icks Pey, mais il caresse tout le monde dans le sens du poil ».
Mais non, car au-delà de cette alternative privé/public se pose en réalité la question des contre-pouvoirs. Or, aujourd’hui, ces contre-pouvoirs existent-ils ? Le secteur privé est extrêmement réglementé et je crois qu’il est possible de lutter contre ses effets pervers. Par exemple, quoiqu’on dise, les licenciements économiques sont très encadrés, même si des anormalités existent encore. Quoiqu’on dise, il n’est pas possible de faire n’importe quoi avec ses produits, avec ses services. La collectivité publique que nous sommes est en mesure de profiter pleinement des avantages d’une gestion privée (adaptation, dynamisme, création de richesse, innovation ...) tout en se protégeant du pire du libéralisme.
L’inverse ne me semble pas toujours vrai. Force est de constater que les services publics n’appartiennent plus à la collectivité nationale mais aux syndicats qui, d’ailleurs, ne représentent qu’une partie minoritaire des fonctionnaires. Il n’y a plus aucun contre-pouvoir à l’administration en France. La preuve, c’est que des ministres de gauche comme Christian Sauter et Claude Allègre se sont eux-mêmes cassés les dents sur le leur (Finances et Éducation Nationale).
Je donne un exemple : la notation des fonctionnaires est depuis longtemps une chimère. Pour avoir la paix sociale, les chefs de service évaluent tout le monde à d’excellentes notes qui ne se différencient que par quelques dixièmes. C’est de notoriété publique. Ainsi, les souhaits initiaux d’équité, qui étaient louables, se sont transformés au fil de l’eau en égalité forcée, voire même parfois en source d’inégalité selon que vous avez votre carte du parti ou pas (par exemple chez EDF à une époque). Or, cette situation bride les énergies, empêche les évolutions positives et casse les tentatives d’amélioration. L’absence de « carotte et bâton » conduit à un nivellement par le bas : lorsque la compétence, la performance ou le sens de l’initiative ne sont pas récompensés, et bien , il est inéluctable que certains fonctionnaires soient enclins à baisser les bras et je serai le dernier à leur jeter la pierre dans ces conditions-là.
Je souligne que je crois profondément aux vertus du service public. Il reste avant tout un concept économique sain et généreux mais la réalité s’impose à nous : il est devenu un État dans l’État. L’administration publique est au service du public et non de ses fonctionnaires. Et je crois que les syndicats de fonctionnaires ne se rendent pas compte qu’ils tuent, petit à petit, l’attachement que les Français ont pour le service public. Et au final, mon intime conviction est la suivante : les ultralibéraux qui vomissent l’idée même de service public et qui voudraient tout privatiser se nourrissent des positions dogmatiques et sclérosantes des syndicats de fonctionnaires. Il n’y a pas mieux qu’une grève générale de la RATP pour jeter par poignées des électeurs dans l’idée selon laquelle le service public n’est source que de maux. C’est la notion même de service public qui est aujourd’hui en danger, à cause de lui-même.
Or, qui est aujourd’hui en mesure de reprendre la main ? Qui est en mesure de remettre les services publics au service de la collectivité et non au service de je ne sais quel intérêt catégoriel ? Je sais bien qu’il est tabou de parler de mérite, de performance, de récompense, mais cela reste pourtant une condition de la survie du service public. Sans reconnaissance du mérite, de la performance et sans récompenses, le service public se jettera tôt ou tard dans des visions ultraprivatisées des choses.
L’égalitarisme de gauche est une notion généreuse et jolie sur le papier. Dans la réalité des choses et surtout des natures humaines, l’égalitarisme détruit les motivations, les compétences et les innovants. Au final, l’égalitarisme n’arrange que les planqués. Il est impératif à mes yeux que le service public retrouve le chemin de l’efficacité et de la performance sans quoi il sera appelé à disparaître. C’est aussi cela la défense du service public.
Bien cordialement,
Icks PEY
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