Les enfants de la paix et du courage
Ils n’ont parfois que dix ou douze ans, parfois un peu plus, parfois un peu moins, et pourtant ils se jettent déjà à corps perdu, du haut de leurs trois ou quatre pommes, dans la tourmente, s’il n’ont la chance de connaître un jour la pleine reconnaissance, que leur apportera leur engagement militant, voire leur activisme politique naissant.
Car ce sont bel et bien des enfants qui, en raison de circonstances politiques, économiques ou autres, au lieu de pouvoir mener une vie d’enfant normalement faite de rires insouciants, de jeux, d’imaginaire merveilleux et d‘apprentissage, décident avec une incroyable force de caractère, une conviction inébranlable et une extraordinaire volonté, de prendre en main non seulement leur destin, mais également celui des autres, et de se mettre totalement au service d’une cause dans laquelle ils placent tous leurs espoirs et pour laquelle ils sont prêts à s’oublier, parfois même se sacrifier, avec la naïveté et la foi propres à ceux, trop peu nombreux, qui cultivent la certitude que l’on peut encore changer le monde car un monde meilleur reste à notre portée.
Placés depuis leur plus jeune âge sous les feux des projecteurs médiatiques, peut être pour certains poussés par des adultes demeurant confortablement dans l’ombre, sans nul doute portés par cette candeur naturelle qui leur fait ignorer en partie le danger, même s’ils ont conscience des risques, et oublier la crainte, portés également par leur sensibilité intacte qui leur fait ressentir de manière plus intense et refuser de façon plus catégorique toute forme d’injustice, ces gamins hors du commun suscitent de part le monde l’admiration et une certaine forme de respect, mais peu d’entre eux, semble-t-il, pourront véritablement atteindre leur but ultime tant il est commun qu’un enfant, aussi mûr soit-il, aussi convaincant soit-il, ne sera jamais entièrement pris au sérieux par les adultes. Dans certains pays ou à certaines époques, il ne sera parfois même pas épaulé ni même secouru. Son discours n’est jamais réellement entendu, du moins sur le long terme, et même si l’on admet que son combat est plein de bon sens et de vérité, comment la petite voix d’un enfant de huit, dix ou douze ans pourrait-elle marquer de façon significative les esprits au point d’ébranler de façon durable un ordre bien établi, de modifier en profondeur des comportements, là où des adultes, parfois illustres, n’ont réussi -et c’est déjà beau- qu’à corriger sur le court terme, et de façon localisée, certaines injustices de leurs temps ? Et pourtant… Les enfants sont naturellement porteurs d’une sagesse naturelle qu’il serait peut être temps d’écouter.
Certains sont parvenus à faire bouger quelques montagnes, à défaut de pouvoir les déplacer vraiment, et cela suffit à donner un sens à leur engagement remarquable et désintéressé. Mais s’ils ont cherché à aller plus loin, s’ils se sont attaqués à des intérêts férocement protégés et qui les dépassaient, ils ont alors provoqué, en raison du charisme dont ils étaient dotés en tant qu’enfant et de leur extraordinaire force de conviction, de telles craintes chez les mafias qu’ils combattaient parfois, les profiteurs de tous poils, voire chez les pouvoirs en place, qu’ils y ont laissé la vie. Perdant tout à coup leur statut d’enfant à protéger, ne représentant plus qu’une menace dont il fallait coûte que coûte se débarrasser, ils sont soudain considérés au même titre que les adultes comme des gêneurs, des empêcheurs de tourner en rond, des symboles forts qu’il faut faire taire avant qu’ils ne soient devenus de futurs, si ce n’est actuels, meneurs influents derrière lesquels les foules vont se rassembler pour ensuite se mettre en marche vers plus de justice et de liberté.
C’est ce qui est arrivé très récemment au petit Hamza Ali Al Khateeb, treize ans, arrêté parce qu’il avait participé à une manifestation contre le régime de son pays, la Syrie, puis torturé à mort en raison du symbole qu’il représentait. Ils se sont acharnés comme des sauvages sur un enfant de treize ans.
Victime de la cruauté et de la folie des adultes alors qu’il ne souhaitait que faire entendre sa voix, c’est ce qui est également arrivé au petit Iqbal Masih que personne, espérons le, n’a jamais oublié. Iqbal est né au Pakistan en 1983. Vendu comme esclave dès l’âge de quatre ans par sa famille lourdement endettée, il doit trimer douze heures par jour dans une fabrique de briques, puis comme tisserand. Il est enchaîné jour et nuit, battu, corrigé par le fouet dès qu‘il commet la moindre erreur. Inimaginable au vingtième siècle, croit-on, et pourtant… Iqbal, avec son corps frêle affaibli par les mauvais traitements et la malnutrition, parvient à s’enfuir à l’âge de neuf ans et se lance l’année suivante, aidé par un avocat rencontré lors de sa fuite, dans un engagement militant contre l’esclavage moderne et le travail des enfants.
Engagement exceptionnel d’un gamin malgré tout ordinaire, où comment un enfant de dix ans peut, par son immense courage et sa détermination, en remontrer aux adultes eux mêmes.
Les média du monde entier vont relayer le combat d’Iqbal, qui est vite propulsé sous les feux des projecteurs. Le monde va faire de lui un mini-symbole, presque une curiosité. Le gamin raconte son expérience personnelle lors de nombreux discours en Europe et aux Etats Unis, et va lancer un poignant cri d’alerte afin de sauver les autres enfants esclaves. Mais le 16 avril 1995, Iqbal, alors âgé de douze ans, est froidement assassiné alors qu’il regagnait son domicile à vélo.
Son combat courageux aura permis de faire fermer de nombreux ateliers de fabrique de tapis au Pakistan et libérer des milliers d’enfants de l’esclavage. Il aura également laissé des traces sur le plus long terme, notamment sous la forme associative, ou avec le « Prix Iqbal Masih pour l'éradication du travail des enfants », mais fallait-il en arriver là, fallait-il vraiment qu’un enfant soit assassiné pour qu’on se décide enfin à changer les choses ? Et qu’en est-t-il réellement du combat d’Iqbal sur le long terme ? Qu’en est-il aujourd’hui, alors que le vingt et unième siècle est déjà bien entamé ? L’esclavage moderne existe toujours, le travail des enfants dans les pays du tiers monde aussi. Il revenait pourtant aux adultes de prolonger le combat d’Iqbal en montrant que sa mort avait provoqué une véritable prise de conscience, un électrochoc. Il revenait aux pouvoirs en place d’abolir immédiatement, et irrévocablement, toute forme d’esclavage moderne, toute forme de travail des enfants, et aux pays ayant les moyens de le faire de décider de donner aux pays pauvres les ressources nécessaires pour envoyer à l’école les enfants prisonniers du travail forcé. Au lieu de cela, le monde a été ému durant un temps par la mort d’Iqbal, profondément et sincèrement ému, et puis l’émotion est retombée et la Terre a continué de tourner.
L’espoir viendra peut être des enfants eux-mêmes, ne peut-on s’empêcher de penser en lisant une autre histoire, celle de Craig Kielburger, un jeune Canadien aujourd’hui âgé de vingt neuf ans qui fut si bouleversé par l’annonce, dans le journal Toronto Star, de la mort d’Iqbal Masih qu’il créa immédiatement avec onze copains de son école, et alors qu’il n’avait que douze ans à l’époque, une première association pour sauver les enfants du travail forcé. « Free The Children », à qui il continue aujourd’hui de consacrer sa vie, est désormais implantée dans de nombreux pays et soixante pour cent des fonds collectés pour l’association le sont par les jeunes eux-mêmes.
On n’a pas oublié non plus la petite Samantha Smith, jeune écolière américaine née en 1972, dont l’action n’a certes pas été héroïque comme a pu l’être celle du petit Iqbal Masih et qui n’a fort heureusement pas subi le même sort, mais qui a réussi, par la spontanéité et la sincérité de son engagement, à attirer de façon inédite l’attention du monde sur les problèmes de son temps. La lettre qu’elle envoya en novembre 1982 à Youri Andropov, le dirigeant de l’URSS, pour lui demander comment il comptait éviter une guerre nucléaire entre les USA et l’URSS, a marqué les esprits de l‘époque.
Cette lettre, à la naïveté touchante, celle d’une enfant de dix ans s‘adressant personnellement au dirigeant de l‘un des pays les plus puissants de la planète, aurait pu faire sourire ou ricaner, mais elle fut prise très au sérieux dans les deux camps, qui avaient pour habitude de se regarder en chien de faïence sans jamais vraiment communiquer. Les deux grandes puissances se mirent alors à communiquer par l’intermédiaire de Samantha. Récupération politique et médiatique ? Il y a sans nul doute une part de propagande dans la médiatisation qui fut faite de cette action, et il est évident que ce n’est pas l’intervention d’une enfant comme Samantha Smith qui aurait pu mettre un terme à la guerre froide, toujours est-il que le dirigeant soviétique répondit personnellement à la fillette, qui fut invitée à effectuer un voyage officiel derrière le rideau de fer. Samantha fut nommée « plus jeune ambassadrice des Etats Unis », et s’engagea ensuite de façon plus intense dans la promotion de la paix dans le monde avant de mourir durant l’été 1985, à l’âge de treize ans, dans un accident d’avion. Son décès, qui n’est pas lié à son activisme selon certains et orchestré selon d‘autres, émut le monde entier et marqua symboliquement les esprits. Mickael Gorbatchev envoya un message de condoléances à l’occasion des funérailles de la fillette.
Acte extraordinaire d’une jeune écolière malgré tout ordinaire, où comment il est possible à chacun de contribuer à changer, ne serait-ce que de façon infime, la face du monde. Aux adultes d’y croire vraiment aussi, et de prendre ensuite la relève avec la même foi, sans craindre le combat perdu d‘avance.
Les ONG sont évidemment nombreuses de part le monde, qu’elles défendent l’environnement, qu’elles œuvrent pour la paix ou qu’elles mettent en place des actions humanitaires ou médicales. Elle semblent cependant n’exister que pour jouer le rôle de béquilles soutenant un monde malmené par l’égoïsme et la soif de pouvoir de quelques uns, et l’inconscience, si ce n’est l’indifférence, de bien d’autres, et l‘empêcher de s‘écrouler totalement. Leur action est bien réelle, les personnes qui y travaillent, que ce soit en bénévolat ou non, sont toutes sincères dans leur engagement et ces ONG sauvent des milliers de vies ou protègent de la destruction tant de beautés sur cette Terre, mais on a presque le sentiment que l’espoir d’éradiquer définitivement la pauvreté, en finir une bonne fois pour toutes avec l’injustice, que la volonté de bâtir un monde meilleur s’éteignent peu à peu. Ne lève-t-on pas ponctuellement des fonds pour venir en aide à telle population en détresse, ne répare-t-on pas les dégâts à tel ou tel endroit de la planète qu’en attendant le cataclysme ou l’acte irresponsable suivants, qui causeront autant de pertes et détruiront autant de vies ? Quand un enfant, lui, s’empare d’une cause, et aussi jeune soit-il, il engage lui aussi toute son énergie, toute sa volonté, mais il s’engage avec l’idée fixe et la conviction inébranlable que non seulement son action sera un pansement sur les plaies à vif, mais qu’elle mettra finalement un terme aux maux de ce monde, et il y croit dur comme fer. On se demande même où et comment des êtres que l’on considère d’ordinaire comme si faibles et si vulnérables peuvent tirer une telle énergie, une telle volonté, une telle force.
Quelle force a ainsi pu pousser le petit Omar Castillo Gallegos, un enfant mexicain tout juste âgé de huit ans, à entreprendre en 1985 une marche de plus de mille deux cents kilomètres afin de rejoindre la forêt primaire de la province de Chiapas et attirer l’attention sur sa destruction ? Fort de cette expérience partagée avec son père, il parvint à obtenir une audience auprès du Président mexicain après avoir marché sept jours et six nuits autour de la place centrale de Mexico. L’année d’après, Omar organisa un rassemblement de plus de cinq mille enfants à Cancun dans le but de sauver un lac menacé puis reprit, cette fois à vélo, sa campagne à travers le Mexique afin de sensibiliser les gens qu’il rencontrait en chemin aux problèmes de pollution des mers, des rivières et des lacs. Omar reçut le prix Global 500 Roll of Honour des Nations Unies pour son action, et fit des émules, notamment en Amérique Latine, parmi lesquelles la petite Janine Licare, qui fonda en 1999, alors qu’elle n’avait alors que neuf ans, sa propre ONG, Kids Saving The Rainforest, pour sauver la forêt du Costa Rica et mettre en place des programmes d‘éducation.
Retour en situation de conflit. On retiendra notamment l’organisation pacifiste PostPessimits, fondée en 1995 par deux adolescents de quinze ans : Ivan Sekulovic, Serbe du Kossovo, et Petrit Selimi, Albanais du Kossovo. Les membres de cette ONG ont entre huit et seize ans. A l’époque de sa création, les enfants serbes et albanais étaient séparés au point qu’ils ne fréquentaient même pas les mêmes écoles… Les appels qu’ils lancèrent furent relayés par les radios serbes et albanaises, alors même que ces médias s’affrontaient traditionnellement. Les PostPessimists ont réussi à prouver que la cohabitation des groupes ethniques différents était tout à fait possible.
Action exemplaire de deux gamins que tout semblait vouloir séparer, ou comment des jeunes peuvent donner l’exemple aux adultes au point de leur pointer du doigt la voie qu’il convient de suivre.
Marqué par le conflit que connaissait son pays, la Colombie, par le spectacle à la télévision de la mort d’une fillette, victime d’une mine antipersonnel, puis par l’annonce de la mort de deux de ses amis, eux aussi victimes de mines antipersonnel, le jeune Gerson Andrés Flórez Pérez écrivit en 1997, à l’âge de onze ans, une chanson et décida de reverser tous ses droits d’auteur aux associations venant en aide aux enfants colombiens victimes de ces mines. Il commença ensuite à parler au nom des enfants de Colombie, écrivit en 1998 un appel à la paix intitulé « Enfants de la Paix » qui fut à l’origine du « Mouvement des Enfants pour la Paix », approuvé par référendum par des milliers d‘enfants colombiens. Gerson Andrés Flórez Pérez participa en 1999 au premier Appel Pour La Paix de La Haye, pour lequel il leva des fonds importants en vendant des “pins”. Il est à noter que le combat de Gerson Andrés Flórez Pérez ne fut pas toujours perçu de façon positive par les adultes, ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre son action pour l’éradication des mines antipersonnel en Colombie.
Il existe un prix, le Global Youth Award for Peace and Tolerance, pour récompenser les jeunes ayant œuvré pour la paix dans le monde. Gerson Andrés Flórez Pérez en a été l’un des lauréats en 1999.
Iqbal Masih, Samantha Smith, Omar Castillo Gallegos, Janine Licare, Gerson Andrés Flórez Pérez et tant d‘autres… Il y a des moments où l’on aimerait que, de temps en temps, le Prix Nobel de la Paix lui-même revienne de droit à des enfants comme ceux là. On y viendra peut être un jour, Gerson Andrés Flórez Pérez ayant été nominé une fois pour ce prix prestigieux. Il n’est pas interdit de penser que les enfants croient plus en la paix que les adultes eux-mêmes, et l’on souhaiterait même que ce prix soit parfois accordé, pour certains d’entre eux, à titre posthume.
Le mot de la fin, lui, reviendra de droit à Gerson Andrés Flórez Pérez : « Beaucoup d’adultes ne croient pas aux enfants. Ils pensent que nous sommes seulement le futur, mais nous sommes aussi le présent.
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