Les excès du capitalisme reposent sur une escroquerie idéologique
Les années 1960 ont montré qu’un capitalisme équilibré permet d’élever le niveau matériel de toutes les catégories de population. Ce constat est avéré mais il doit être amendé dans la mesure où il concernait une minorité de l’humanité, plus précisément les pays avancés. Après la chute du mur, les pays émergents sont passés au stade industriel. Si on voit le verre à moitié plein, on parlera de Vingt Glorieuses pour traduire le développement des pays comme la Chine, le Brésil, l’Inde etc. Ce qui n’empêche pas la pauvreté de rester largement présente dans ces pays figurant parmi les plus peuplés. Enfin, beaucoup de pays ne parviennent pas à décoller, notamment en Afrique. Et dans les pays les plus avancés, on voit se dessiner un décrochage des classes moyennes, une paupérisation des classes inférieures, le tout, accentué actuellement par une récession. On aurait envie de poser une question. La faute à quoi, à qui ?
Le capitalisme est-il vraiment en cause ? Un analyste strictement marxiste répondrait affirmativement. Pourtant, revenir sur le principe du capitalisme et de la production de masse, c’est refuser l’élévation matérielle des populations. Refuser le capitalisme, c’est refuser le progrès. Car le capitalisme est efficace. Tandis que l’économie planifiée est largement inefficace, comme cela fut montré par la fin de l’expérience soviétique. Sans doute faudrait-il différencier le capitalisme, comme superstructure productive, permettant d’investir, de produire, de payer ses travailleurs, de rémunérer le profit, de son usage. Ce sont en effet les excès des dirigeants qui semble-t-il, ont conduit le système vers son évolution actuelle. Il existe plusieurs manières de pratiquer le capitalisme qui, comme tout réseau neuronal, est d’une grande plasticité. Le capitalisme s’adapte selon les règles et les pressions appliquées par les gouvernants et les groupes d’intérêts. Un peu à l’image d’un véhicule dont on peut adapter les suspensions, la motorisation et les pneumatiques en fonction du terrain où il se déplace. En raisonnant de cette manière, on commence à dévoiler ce qui a infléchi le capitalisme dans le sens qu’on lui connaît.
Dans les années 1990, des mouvances anti-mondialistes ont vu le jour, avec des tas d’associations, la plus connue étant Attac. Ensuite, des mouvances se sont désignées comme altermondialistes. Ce qui fut une décision sage. Se réclamer anti-mondialiste, n’est-ce pas refuser aux pays pauvres la capacité de se développer en faisant du commerce avec leurs partenaires ? La gauche en général n’a cessé, au sein de ces mouvances mais aussi à l’intérieur des partis, de dénoncer le néo-libéralisme, l’ultralibéralisme, croyant à tort ou à raison que l’étatisation de l’économie permettrait de résoudre les inégalités. En fait, le mot ultralibéralisme ne signifie rien de plus, par rapport à la conception classique d’une économie concurrentielle de marché dont les prix sont fixés par l’offre et la demande, alors que les capacités productives sont aux mains d’agents privés.
Ce qui s’est passé après la chute du mur, c’est le développement de pratiques particulières avec une idéologie spéciale qui s’est insidieusement infiltrée dans nos sociétés en se servant de la chute du mur comme cheval de Troie. Il n’y avait plus d’ennemi idéologique ont déclamé les penseurs libéraux. Le système du profit est le seul possible. Alors, allons-y pour le plus de profit possible. Et c’est à ce niveau que tout c’est joué. Au lieu de faire tourner le profit autour de l’économie réelle, peu à peu, le système du profit a opéré une révolution copernicienne en faisant tourner l’économie autour du profit, autrement dit, en organisant, voire en déformant l’économie pour qu’elle obéisse au désir de siphonnage des agents les mieux placés.
C’est à ce niveau qu’une double escroquerie idéologique s’est dessinée. En premier lieu celle qui consiste à affirmer que le profit le plus élevé est corrélé au dynamisme économique et finit par développer l’industrie tout en servant les populations. Dans la réalité des faits, c’est l’inverse, car le siphonnage excessif, la défiscalisation, les hauts revenus, les paradis fiscaux, ont asséché l’économie réelle depuis vingt ans. Il a fallu le naufrage bancaire et la récession pour voir les effets et commencer à comprendre comment ce capitalisme de siphonnage est responsable des inégalités et ce, depuis deux décennies. Les médias dominants et les gouvernants se sont bien gardés de mettre en question ce système qui a fonctionné en trompe-l’œil, avec le voile du crédit laissant croire que tous seraient propriétaires, le crédit à la consommation pour pallier le dumping salarial, et le travail précaire pour compenser les déficiences du système. Tout ce système vient d’imploser. Et c’est sans doute la moitié de l’idéologie dite néo-libérale qui vient de s’effriter. A noter, la différence entre l’idéologie et le système capitaliste, précision renouvelée ici pour éviter les contresens.
Et pour finir, le second volet de l’idéologie des années 1990 et 2000, le culte de la réussite, du mérite, des meilleurs. Cette idéologie a été poussée à un tel niveau que la pratique des stocks options, des parachutes dorés, des salaires mirobolants, des retraites toutes aussi mirobolantes, est devenue habituelle. Toute une construction morale et idéologique sur le mérite, sur la création de richesse, sur les résultats, a été élaborée comme un mythe rationnel. Le mythe de ceux qui créent des richesses, alors que d’un point de vue rationnel, un haut revenu ne fait que tirer des richesses. Et les gouvernants de se coucher face au chantage de l’argent et de promettre force avantages fiscaux à ceux qui ont l’argent. Du coup, la concurrence fiscale marche et les fortunes se déplacent là où la fiscalité est la plus intéressante. De ce mécanisme, l’économie sombre et se délite lentement. Ceux qui ont des hauts revenus n’ont jamais créé de richesses, ils les ont prises. Pourtant, c’est la doctrine idéologique inverse que propagent les promoteurs du système, sans que les médias n’offrent quelque grande résistance, puisque ceux qui officient ont une part convenable dans le profit. Et c’est ainsi qu’une société se délite lentement.
Une idéologie du mérite et de la création de richesse et de la noblesse de l’argent a été subrepticement plaquée sur le système capitaliste et la société. Cette idéologie comme toute idéologie recèle sa part de morale. Ici c’est la morale du fric. Un type qui fait du fric est honorable. Il est dans l’axe du bien. Il dynamise l’économie. Il crée des richesses. Il est bénéfique à un pays. Cette idéologie est une perversion de l’ancienne idéologie, plus rigoureuse et vertueuse, des capitaines d’industrie dans l’ancien 20ème siècle. Maintenant, le système est happé par les Meissier et les Pérol. Des aventuriers devenus parvenus qui n’ont rien créé mais se sont positionnés, par on ne sait quel miracle, sur des dispositifs industriels et financiers. A vrai dire, ce sont des opportunistes que l’idéologie a tenté de faire passer pour des créateurs, des innovateurs. Bien qu’ils ne l’avouent pas, leur modèle c’est Bernard Tapie. Celui qui a fait croire à la vertu de l’entrepreneur alors qu’il n’a fait que dealer des industries mais avec un talent tel qu’il a ébloui tonton Mitterrand.
Ce culte de l’individu créateur de richesse fonctionne avec l’idéologie de l’employabilité. Quoi qu’on en dise, Jacques Chirac a préparé la voie à la doctrine Sarkozy. Mais est-il le seul responsable ? Il n’a fait que suivre la machine idéologique en marche, médiatique, avec ses spin doctors. Les élites ont pour vocation à élever le monde ou à le dominer et en profiter. C’est la seconde option qui a été choisie depuis deux décennies. Les mauvais esprits diront que cette idéologie ressemble un peu au nazisme. A la différence près que la race n’est plus l’objet de la sollicitude mais que l’individu employable et performant fait l’objet de la sollicitude du pouvoir tandis que les autres fragiles ou indociles deviennent des parias. Avec la conformité de l’égalité des chances et de la diversité. C’est une belle ruse. Laisser croire aux parias des banlieues que quelques-uns seront sauvés en entrant à Science Po.
Science Po, parlons en justement. Il y a peu de temps, les étudiants de cette vénérable institution, dont les anciens ont suivi mai 68, sont devenu les chiens du système, bien dressés, aboyant contre ceux qui contestent leur légitimité. Le mythe des races est en œuvre. Décliné en mythe du mérite. Ces jeunes ont la fibre dominatrice, que le système leur a inculquée. Ils sont les managers de demains, les créateurs de richesse. C’est ce que le bourrage de crâne leur a décliné, c’est le mythe qu’ils ont intégré avec un lavage de cerveau digne des sectes. Du coup, quand la société civile vient à leur rencontre, la réalité les surprend et nos futures élites même pas républicaines, nos apprentis parvenus et profiteurs, se rebellent, telles ces élites en révolte, à l’âme décomposée, déculturée, vénales, arrivistes, décrites par Lasch il y a 20 ans aux States.
Finalement, ça ressemble à du nazisme financier (et gestionniste), ce culte des gens qui dominent le monde tout en régentant l’ordre économique et industriel et qui passent pour des gens méritant. Le mot est un peu rude. Mais s’il est avéré que les gens dorment, alors ce mot est légitime. Il faut bien réveiller le citoyen qui dort. Sinon, la démocratie risque de virer au cauchemar.
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