Les gènes, la violence et les religions expliqués aux enfants
Ce qui est bien en démocratie, c’est que les questions les plus idiotes peuvent donner lieu de débattre. J’aurais trop peur d’être discourtois en mentionnant qui m’a inspiré ce texte, mais je ne voulais pas laisser le monopole de la pédagogie aux professeurs des écoles. Après tout, j’ai enseigné moi aussi à l’Université, et je passe encore une grande partie de mes journées à expliquer simplement ce que je sais être complexe. Que les savants qui commenteront cette tribune veuillent bien m’excuser de dire ici ce qu’ils savent déjà, d’autant que si c’est compréhensible, c’est obligatoirement que c’est un peu faux ! Ne vous donnez pas la peine de me détromper.
Les gènes sont les unités d’information situées dans l’ADN de nos chromosomes dont l’ensemble constitue le génome, sorte de programme d’une incroyable richesse contenant toute l’information nécessaire à l’élaboration de notre organisme. Nous tenons ces informations pour moitié de chacun de nos deux parents, distribuées au hasard parmi une multitude qui aurait été possible. Chaque cellule de notre organisme contient la totalité de ce programme bien qu’aucune ne l’utilise totalement : les cellules qui fabriquent les ongles n’ont que faire de la technique qui permet de synthétiser les enzymes du foie. Néanmoins nous gardons notre plan de fabrique toute notre vie, identique à lui-même, dans chacune de nos cellules, et sa complexité fait qu’il n’y en a pas deux pareils : c’est pourquoi si on trouve deux cellules qui ont le même ADN, on est sûr qu’elles proviennent du même individu. Toutes les polices le savent. Tout cela pour dire qu’aucun événement de notre vie ne vient modifier ce plan initial, et quelle que soit la culture qu’on reçoit, l’expérience qu’on acquiert, les études qu’on suit, la religion qu’on nous donne, rien de tout cela ne modifie notre génome que nous transmettrons tel quel à nos enfants ! On l’ignorait autrefois, mais c’est un des piliers de la biologie moderne : « L’acquis ne se transmet pas. » C’est dire que la multitude de gènes qui peuplent les chromosomes de l’ensemble de l’humanité sont strictement les mêmes que ceux qui équipaient déjà nos ancêtres de Cro-Magnon. Leurs proportions relatives ont sans doute changé car, sélection oblige, certains plus efficaces se sont reproduits davantage, mais que les conditions changent et ceux qui s’étaient raréfiés redeviendront les plus nombreux. C’est le même processus que pour nos anticorps qui se mettent à proliférer par sélection naturelle quand on a besoin d’eux, mécanisme décrit par Gerald M. Edelman et qui lui a valu le prix Nobel de médecine. Vous allez me dire qu’il y a aussi les mutations qui expliquent l’évolution des espèces, mais cela ne joue que sur des longues périodes de temps, une tous les 100 000 ans environ, ce qui est grosso modo l’âge de l’humanité. C’est donc parfaitement négligeable. Nos gènes ont été triés, mais pas renouvelés.
Voyons maintenant d’où vient l’agressivité, c’est-à-dire la propension à la violence : est-ce un caractère acquis, c’est-à-dire culturel et non transmissible, ou un caractère génétique, c’est-à-dire propre à notre espèce depuis la nuit des temps ? C’est un trait de caractère génétique ! Il n’y a pas un gène de la violence, mais toute une panoplie de caractères innés qui y contribuent. La raison en est simple : l’agressivité, que nous partageons avec les animaux, est un facteur essentiel à la survie des espèces, pour lutter contre les prédateurs au départ, puis contre la concurrence ensuite. La préhistoire avait la même loi que la jungle. L’humanité est née avec la barbarie, et seuls les plus violents ont survécu. Vous me direz : « L’homme n’est pas un animal, c’est son intelligence qui l’a fait devenir le maître du monde ! » Pour devenir le maître du monde, je vous l’accorde, mais c’est la société humaine qui domine le monde par son intelligence, pas l’homme. Au début, pour survivre dans la jungle, son intelligence ne pesait pas bien lourd : combien d’hommes ont inventé un outil, combien ont su maîtriser le feu, et au bout de combien de générations ? Un homme nu ne sait pas voler, il se noie dans l’eau, il monte aux arbres sans agilité, il ne sait pas creuser de terrier, il a des dents petites et fragiles, pas de griffes et il court sur deux pattes comme une poule, alors qu’il n’a même pas de plumes et presque pas de poils pour résister au froid de l’hiver. La meilleure preuve que notre survie était bien improbable, c’est que parmi nos plus proches cousins, les singes, de multiples espèces ont survécu. Parmi les homininés, une seulec et pas une de plus ! Toutes se sont éteintesc faute d’être bien adaptées, toutes intelligentes qu’elles aient pu être par rapport à leurs cousins des forêts. A-t-on localisé les gènes de la violence ? Formulée ainsi, cette question n’a pas beaucoup de sens, car la violence est un concept et les gènes servent à fabriquer des protéines, pas des concepts. Mais le comportement violent est le résultat d’une multitude de facteurs déterminants complexes, qui impliquent le cerveau à de multiples étages (il n’y a pas un centre de la violence) et un ensemble de produits chimiques actifs qu’on appelle des hormones. Certaines sont de véritables drogues toxiques que sécrète notre organisme comme les catécholamines dont la célèbre « adrénaline ». D’autres s’apparentent à la cortisone, d’autres encore dilatent les vaisseaux, accélèrent le cœur, et tout cela fonctionne en synergie pour répondre à des agressions de façon efficace et coordonnée. Bien difficile d’isoler des gènes dans un mécanisme aussi complexe, mais pourtant on connaît au moins un coupable : le chromosome Y ! C’est le plus petit de nos 46 chromosomes : c’est le seul que la femme n’ait pas, et il détermine le sexe masculin. Il est responsable entre autres du développement et du fonctionnement des glandes sécrétant les hormones mâles, notamment la testostérone. Ces hormones mâles sont parmi les facteurs déterminants de la violence. Elles développent les muscles - c’est pourquoi l’homme est plus fort que la femme - et agissent sur le cerveau et les autres glandes pour transformer l’homme en guerrier. Et voilà pourquoi les guerres se font essentiellement avec les hommes ! Je ne dis pas que la femme ne puisse pas être méchante et cruelle, loin de là : elle est de la même espèce que l’homme, la pire de toutes, parce qu’à la simple insouciance au sort de ses proies que lui dicte l’instinct de survie, s’est ajouté le raffinement intellectuel du sadisme et de la cruauté que lui autorise son cerveau ! Cependant elle est moins violente, et il suffit de comparer le nombre respectif de femmes et d’hommes condamnés pour meurtres pour en être convaincu.
Une édifiante page d’histoire illustre bien ce propos : parmi les plus efficaces barbares que la Terre ait jamais portés, les Mongols de Gengis Kahn sont ceux qui conquirent le plus vaste empire de tous les temps. Leur philosophie de guerre était simple : pour éviter que les peuples vaincus ne se rebellent, ils tuaient systématiquement tous les hommes, à l’exception de quelques-uns qu’ils n’avaient pas empalés, brûlés ni écorchés vifs, mais seulement torturés et mutilés, pour qu’ils aillent répandre la terreur alentour. Femmes et enfants étaient gardés comme esclaves. Une femme proche de Gengis Kahn lui suggéra alors de laisser les hommes continuer à travailler la terre afin d’en confisquer les revenus. C’est ainsi que, grâce à une femme, l’esclavage des hommes a marqué un important progrès de l’humanité...
La culture, elle, n’est pas innée : c’est, au contraire, tout ce qui n’est pas programmé par le génome et que l’homme reçoit, entre sa naissance et sa mort, du milieu qui l’entoure. Presque rien au début : les conseils de ses parents et son expérience propre qu’il accumule pendant sa courte existence. L’homme sans culture est totalement démuni et c’est un miracle que quelques-uns aient survécu. Mais peu à peu, la société collecte les expériences de chacun, les accumule, et la culture se crée sous forme d’un bagage commun qui deviendra vite le principal conditionnement de ses membres qui n’en sont que les cellules. C’est à l’intérieur de la société que les performances de notre cerveau prennent toute leur importance : ce qui était sans intérêt chez l’animal humain est devenu langage chez l’homme social, permettant de communiquer et d’accumuler le savoir, mais aussi les croyances, les superstitions, les rites, les traditions. Cette culture sociale fait l’originalité du groupe, son facteur d’unité et de cohésion, elle détermine ses règles et inspire ses lois. Tout ce fatras hétéroclite induit une vision particulière du monde en réponse aux interrogations existentielles des hommes. La recherche de cohérence oblige à donner des explications naïves que permettent les acquis culturels et l’imagination des hommes. Ainsi sont nés les mythes, explications fantaisistes et surnaturelles destinées à compenser l’ignorance des hommes. Toutes les sociétés se sont construites sur des mythes, qui sont à l’origine des religions. Ils constituent le fondement des civilisations, non seulement primitives, mais encore d’aujourd’hui. Ces mythes fondateurs ne survivaient pas à leur civilisation : les vaincus adoptaient les dieux des vainqueurs, et les nouvelles religions tenaient compte du savoir acquis et des expériences passées. Elles progressaient en connaissances matérielles, ce qui les rendait plus efficaces, mais aussi en matière de valeurs, de rapport à l’autre tout aussi nécessaire à la solidarité et à la cohésion interne. C’est parce qu’il était social que l’homme s’est distingué de la bête. La stabilité du groupe commandait que se développe la civilité grâce à l’empathie qui nous pousse à reporter sur nos semblables la déférence attentive que notre instinct de survie accorde à notre propre personne. C’est parce qu’il était social que l’homme a découvert la notion abstraite de valeur : ce qui est bien , ce qui est mal, les bases la morale. Mais ce qui est bien ou mal dans une société se réfère à sa culture, à ses croyances, à ses mythes. Avant tout, il est bon que survive le groupe, il est bon qu’il se débarrasse de ses ennemis. La solidarité communautaire a pour corollaire la xénophobie et le racisme. L’amour des siens, la haine des autres, telle est la base de la survie des sociétés primitives. Avant que l’amour ne s’étende hors de l’espace restreint des proches parents, il y aura encore bien du chemin à faire : La domination des chefs était plus naturelle, et c’est là que les mythes, habilement présentés, sont devenus des instruments de pouvoir. Quand on n’a pas les moyens de mettre un gendarme derrière tout citoyen, il est évidemment pratique de passer le relais à une divinité omniprésente ! Personne ne doute plus que les religions primitives n’aient été des superstitions issues de l’ignorance de l’humanité. Mais l’influence culturelle est tellement ancrée au plus profond de notre être que chacun est persuadé que toutes les cultures reposent sur des superstitions, à l’exception de la sienne propre.
A supposé qu’un esprit scientifique puisse encore prêter le moindre crédit à ces « révélations » invraisemblables et à tout le folklore qui les entoure, les progrès des archéologues et des historiens apportent tous les jours des arguments qui montrent que les trois grandes religions monothéistes, pour ne citer qu’elles, ne sont rien d’autre que de géniales impostures ! La première a rassemblé tout un peuple autour d’un dieu unique et donc autour de son roi de l’époque, Josias. La deuxième était une petite secte récupérée par l’Empire romain pour se doter d’une divinité crédible capable de légitimer le pouvoir temporel, et de le renforcer. La troisième est la seule dont on soit à peu près sûr que le principal intéressé ait vraiment existé. C’est sans doute la plus efficace incitation à faire la guerre jamais inventée, en promettant aux combattants « martyrs » une éternelle félicité dans l’au-delà. Bien que toutes les religions aient été utilisées comme instruments de pouvoir, la dernière est la seule à avoir été conçue par un chef militaire rusé et sanguinaire, dans le but manifeste de l’efficacité guerrière. Elle était si efficace, que les barbares de l’époque n’ont pas tardé à se convertir : les redoutables Mongols dont on a déjà vanté les exploits et les Turcs qui ont pris le relais des Arabes . C’est aussi celle où la femme est le plus assujettie, ce qu’il faut peut-être rapprocher de la violence toute masculine qui la caractérise.
Néanmoins, les religions ont eu un rôle déterminant dans l’évolution de l’humanité : en ritualisant certains comportements et en fixant des lois quelque peu « modernisées » par rapport à la barbarie, elles ont contribué, à des degrés divers, à faire avancer les civilisations. Les religions n’ont pas inventé la violence, elles l’ont utilisée. La violence est intrinsèque à l’homme. Elle résulte d’une détermination génétique indélébile qui nous vient de très anciennes espèces animales dont nous gardons des traces dans une partie de notre cerveau appelé le cerveau reptilien. Elle est très fortement liée aux chromosomes sexuels qui dérivent de proto chromosomes, apparus il y a 300 millions d’années et qu’on appelle aussi les chromosomes reptiliens. Le développement de la culture, incluant les religions, n’a été qu’un long et laborieux effort pour libérer l’homme de cette violence destructrice qui l’habite. La valeur d’une civilisation se mesure peut-être à l’efficacité avec laquelle elle peut contenir notre violence naturelle, mais qu’on ne s’y trompe pas, celle-ci est ancrée en l’homme et n’attend que le moindre prétexte pour exploser de nouveau. Pour les doux idéalistes pacifiques qui croient être totalement débarrassés de cette violence, qu’ils regardent leur comportement sexuel, celui que commande notre cerveau reptilien, et au-delà des rites symboliques par lesquels leur culture a essayé de le dompter, ils verront que ce comportement-là reste profondément imprégné de la violence de l’animal immonde qui nous habite pour toujours !
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