Les jeux sont faits, rien ne va plus, démocratie foutue
La crise est là, avec une ampleur et une durée indéterminée. Mais quelques précisions. Selon le LEAP, institut dont on parle beaucoup en ce moment, une crise géopolitique se profile à l’horizon, avec des catastrophes nationales et sociales. Et dans le dernier numéro de Books, les propos d’un sociologue qui serviront de fil conducteur à cette tribune
Pendant ce temps, un « excité » envoie des balles à des personnalités politiques. Et notre Président continue à parler et se déplacer. Les politiques sont pris d’une étrange frénésie législative. Serait-ce le signe d’une sorte de croyance envers une conjuration possible des problèmes par l’accumulations de textes dont les décrets sont souvent oubliés ; si bien que les lois ne sont pas appliquées, et que si elles le sont, on ne peut que rarement évaluer leur efficacité ? Bon, les politiciens, c’est comme les constructeurs automobiles, ils se croient obligés de fourguer des modèles nouveaux de loi aux citoyens qui ne l’ont pas demandé. Mais les politiciens, contrairement aux constructeurs, ne sont pas sanctionnés par le marché. Juste par des élections. Au cours desquelles les débats portent sur des tas de choses mais pas celles essentielles. Tandis que les électeurs n’iront jamais scruter le travail effectué par les Parlementaires. Ils ont une mémoire politique de 3 mois. Ce qui tombe bien puisque pendant la période des élections, il n’y a pas de lois fâcheuses votées. Ça sert à faire vivre la démocratie. Les camps s’étripent sur des oppositions n’ayant pas de contrepartie sociale mais qui sont spécialement construites par les agents de communications.
La démocratie est-elle morte ? Non, mais elle ne sert plus au rôle qui lui a été assigné pendant ses glorieuses heures. C’est ce que dit le sociologue britannique Colin Crouch dans une passionnante entrevue accordée à la non moins passionnante revue Books qui en est à son troisième numéro (en kiosque depuis le 2 mars) Selon Crouch, on assiste à un déplacement du politique vers l’économique et plus exactement, de la prise en charge des grandes questions par des instances ayant une relative autonomie par rapport au politique. Est-ce anti-démocratique ? Non dit Crouch, c’est juste que c’est à côté de la démocratie, méta-démocratique si on veut, ou post-démocratique. Ça pourrait le devenir si ces instances jouaient leur propre intérêt contre l’intérêt du peuple. Mais les citoyens sont-ils vraiment informés ? Ou bien manipulés par de nombreuses propagandes mettant en scène des acteurs non gouvernementaux, mais aussi quelques politiciens et surtout les incontournables spin doctors.
Rappelons un principe fondamental. Si le peuple élit un gouvernement pour qu’il agisse au nom de l’intérêt collectif, il faut que les citoyens soient capables de connaître quels sont ces intérêts ; puis de le faire savoir ; puis d’évaluer les pratiques délétères et partisanes des politiciens au pouvoir afin de les éjecter pour trahison démocratique. Les citoyens ne savent plus faire et les Parlementaires, dont c’est le rôle, n’ont peut-être pas les clés pour lire le monde et quand bien même ils auraient quelque emprise sur la critique, leur propos serait un prêche, non pas dans le désert mais sur l’écume des vagues de propagandes engendrées par les élites.
Si la démocratie ne fonctionne plus comme avant, selon Crouch, ce n’est pas parce qu’elle est délaissée ou fatiguée mais parce que les conditions de son exercice vertueux et droit ne sont plus réunies. Autrement dit, nous ne sommes plus dans l’heureuse parenthèse des années 1960-1980. Cette hypothèse mérite d’être discutée. Car les conditions de l’exercice démocratique, elles tiennent certes aux dispositif politique, aux structures complexes, aux interconnections en réseaux, à la surcharge en information, au déploiement planétaire des marchés, transferts et technologies. Mais la démocratie est aussi une affaire de Sujet politique. Deux éléments s’entremêlent dans une conscience citoyenne, d’une part les affects, émotions et passions et d’autre part, la représentation adéquate. Sans aller jusqu’à un spinozisme strict, on peut raisonnablement penser qu’il faut maximiser les représentations conformes, les connaissances adéquates utiles à l’action démocratique pour des projets dont l’horizon est clairement conçu et partagé, élaboré dans un contexte vertueux, avec patience, persévérance, sens du long terme. Et qu’à l’inverse, on minimisera les affects pouvant troubler l’âme citoyenne. Or, la tendance est à l’inverse. Les émotions, les peurs prennent l’ascendant sur les Sujets politiques, avec les informations diffusées, alors que les éléments pour jauger avec raison le système se font de plus en plus incertains. Le trouble est suscité. Certes, dans les débats à la télé, on voit souvent des experts livrer des points de vue opposés mais n’est-ce pas là une transposition médiatique des joutes entre spécialistes se déroulant dans les institutions du savoir, à l’écart du peuple ?
Les jeux sont faits sans doute, pour les vingt ans à venir. Les élites ont le système en main, les citoyens peuvent exprimer leur colère, utiliser Internet pour diffuser quelques réflexions alternatives ; mais le système est sur sa lancée et la propagande a sans doute obscurci les esprits pour longtemps. Les multinationales se préparent à la croissance verte ; les bureaucrates réfléchissent aux moyens de taxer le carbone, les peurs écologiques servent à masquer les peurs économiques et la « vertitude » se présente comme vertu. Les élites avides de gloire peuvent suivre les pas de Hulot et al Gore. Les élites disent au peuple que la croissance verte va moraliser le capitalisme et remettre la croissance sur des hauteurs vertigineuses. Mais c’est le même système qui est maintenu. Cela ne fera qu’accentuer le mal être. Les gens ne vivront pas mieux. La planète ne sert qu’une minorité en priorité. Les jeux sont faits, rien de va plus. Le processus ira à son terme mais on ne sait où. Nul ne peut prédire ce que peut être un système qui a perdu sa démocratie et qui court se précipiter dans une sorte de totalitarisme écologiste, sécuritaire et hygiéniste. Un système qui ne répond plus aux besoins fondamentaux d’une société civile mais qui sert les intérêts particuliers, élites, profiteurs, experts, scientifiques, think tankeurs, stars, politiciens, énarques, bureaucrates, financiers. Les jeux sont faits, rien ne va plus, rendez-vous fin 2009 pour le résultat de l’expérience systémique planétaire.
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