Les œufs, la bouffe industrielle, remarques et ébauche de proposition
Traçabilité : consommateur captif et aveugle.
La "crise" (ou le scandale) des œufs au fipronil recèle, ou plutôt révèle, met au jour, trois problèmes à résoudre pour les « pouvoirs publics », c’est-à-dire pour l’autorité de l’Union européenne et pour nos propres gouvernants.
Le premier concerne la traçabilité des produits alimentaires transformés. Autant en France est maintenant respecté l’étiquetage des produits frais (végétaux, poisson, fruits de mer, etc) et des produits carnés (viandes, volailles, œufs, etc), autant le consommateur est captif et aveugle et sourd en ce qui concerne les produits transformés (il y a de gros progrès pour les vins bien que les vins du négoce ne rappellent que l’origine si IGP et l’embouteillage), notamment ceux qui sont issus de l’industrie agroalimentaire.
Le scandale des lasagnes aux "minerais" d’origine surprenante, du cheval dans ce cas, aurait dû conduire l’autorité européenne (Commission) à réagir fermement, et enfin promulguer une Directive sur la traçabilité et l’étiquetage des produits transformés en même temps qu’étaient décidées des sanctions contre les filières contrevenantes (tromperie sur la marchandise). Le mot minerai, à lui seul, a de quoi inquiéter, choquer même, le consommateur que nous sommes… car il met au même niveau une matière consommable, issue du vivant, destinée à l’alimentation humaine et une matière inerte, généralement minérale, destinée à des process de transformation industrielle et au cours marchand sans cesse remis en question.
Evidemment liée à cette aspect traçabilité, il est vraiment nécessaire que les États membres de l’UE, au nom des citoyens consommateurs, aient la connaissance des circulations des produits, des matériaux alimentaires, des… minerais, qui vont être assemblés, incorporés, usinés, et que les services sanitaires compétents puissent opérer les contrôles indispensables avant même l’élaboration des produits transformés. L’exemple des œufs présents dans nombre de préparations et produits alimentaires (des pâtes alimentaires aux pâtisseries en passant par les biscuits) est emblématique.
Sur ces aspects, j’ai pu entendre Périco Légasse, chroniqueur gastronomique bien connu, et plus largement du "bien vivre", et rédacteur en chef dans ce domaine à l’hebdomadaire Marianne, expliquer que ce n’est même plus l’industrie agroalimentaire de sa propre volonté mais bien l’aval, la grande distribution, qui tire vers le bas : [ https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-14-aout-2017 ]
Quant à l’extension au sujet "la malbouffe", une lecture très récente : https://www.causeur.fr/etats-unis-fayon-economie-numerique-146120?utm_source=Envoi+Newsletter&utm_campaign=6f1e6ec505-Newsletter&utm_medium=email&utm_term=0_6ea50029f3-6f1e6ec505-57404505
Quels types, quel modèle d’agriculture, voulons-nous ?
Un deuxième problème à résoudre est celui du contrôle des traitements sanitaires des animaux et des pratiques de désinfection des locaux à l’aide de biocides dont certains sont d’ailleurs à base de substances phytopharmaceutiques ou, en termes plus triviaux, de pesticides. Si l’usage agricole de ces derniers est de mieux en mieux contrôlé, les usages industriels et/ou vétérinaires le sont nettement moins. Ainsi, même si aux doses relevées le fipronil ne semble pas poser problème (encore que l’exposition réelle des consommateurs soit en l’occurrence mal cernée, notamment "depuis combien de temps ? "), son interdiction dans le traitement des poux des gallinacées n’est pas respectée.
Au passage, une anecdote : il y a une quinzaine d’années, un haut fonctionnaire me racontait qu’il avait eu à connaître (en seconde main) de pratiques d’apiculteurs amateurs qui pour lutter contre les acariens suceurs de l’hémolymphe des abeilles et de leurs nymphes et notamment contre Varroa destructor, plaçaient à l’entrée de leurs ruches des papiers buvard imbibés soit d’un néonicotinoïde (imidachlopride du Gaucho), soit de fipronil, tous deux vendus à l’époque pour le traitement anti puces et anti tiques des chiens et des chats. Ensuite, les mêmes protestaient contre l’emploi agricole de ces insecticides soupçonnés de contribuer à l’affaissement des populations d’abeilles mellifères…
Bien que les décisions soient d’ordre politique, on était là sur des aspects techniques, du moins à résoudre techniquement. Mais, le troisième problème soulevé, qui nous concerne non plus de façon passive mais en tant que citoyens appelés à dire, à exiger… et à voter ; et qui doit passer par de vrais débats au Parlement européen en même temps qu’au Conseil de l’Europe, et c’est là une question DE FOND, totalement politique : quels types d’élevage et de modèle de production agricole voulons-nous ? Une telle question qui nous interpelle réellement dépasse le seul aspect "consommation" mais concerne l’aménagement du territoire et la ruralité, le fonctionnement social de nos campagnes, la sauvegarde de la biodiversité, la maîtrise des flux d’effluents et de déchets agricoles…
Gouvernance : élaboration de la réglementation et missions régaliennes de contrôle.
Le deuxième problème évoqué plus haut m’amène à une réflexion critique sur la répartition des responsabilités des Pouvoirs publics dans l’action.
Dans les années 80, les questions sanitaires concernant les productions végétales et animales relevaient de la Direction de la Qualité du Ministère en charge de l’agriculture (dont le nom varie sous chaque nouvel hôte de l’Élysée… quand ce n’est pas suite à un remaniement ministériel). La Direction de la répression des fraudes et du Contrôle de la qualité en fut détachée (vers l’Économie et les Finances à travers tel ou tel Secrétariat d’État ou sous-ministre, de la consommation entre autres), rejoignant ainsi les Douanes. Mais les services vétérinaires, qui eux aussi ont des missions de contrôle non seulement à la production et à la première transformation (abattoirs) mais encore sur les étals, dans les cuisines, sur les marchés, restaient ministériellement rattachés à cette direction (d’ailleurs dirigée par un Vétérinaire, haut-fonctionnaire assisté par un "agronome" pour ce qui relevait des productions végétales).
La création d’une Direction générale de l’Alimentation (DGAL) au sein de ce ministère, ministère en charge en outre de l’agroalimentaire, puis en services déconcentrés de Services régionaux de l’Alimentation (SRAL) au sein des Directions régionales de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt (DRAAF) fait que ce département ministériel s’occupe des producteurs, des transformateurs, des produits, de notre sécurité alimentaire (au sens sanitaire du terme) en même temps qu’il s’occupe du territoire, de la voirie rurale et forestière, de l’assurance maladie des agriculteurs et salariés agricoles (tutelle de la MSA), de l’enseignement et de la formation (le "savoir vert") en agriculture et foresterie, voire -selon les gouvernements-, de la pêche et d’une partie des affaires maritimes…
On imagine bien le vaste champ d’action des lobbies sur un tel secteur ministériel, allant de la fourche… à l’assiette !
La RGPP(révision générale des politiques publiques) mise en place sous Nicolas Sarkozy et, sous un autre nom, poursuivie durant le quinquennat de François Hollande, a eu l’intelligence de créer dans les départements des pôles organisés en directions interministérielles. Alors que les anciennes DDAF (Directions départementales de l’Agriculture et de la Forêt) s’occupaient des producteurs, de l’équipement rural et forestier (génie rural), de la police de l’eau, des coopératives agricoles, des services vétérinaires départementaux, etc, les nouvelles directions ont nettement séparé ce qui relève de la "protection des populations" de ce qui relève des "territoires" (et de la mer pour les départements côtiers).
Que ce soit via un département ministériel en charge de la consommation, que ce soit via la santé publique, l’Alimentation (en terme générique) devrait, de mon point de vue, être indépendante du ministère en charge du territoire agricole et de la production alimentaire, mais imposer à ce dernier des normes qu’une Direction générale… de la Qualité (alimentaire) aurait à faire appliquer. De son côté, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) qui, justement a des comptes à rendre à plusieurs départements ministériels [*] serait encore plus à l’aise pour la réalisation de certaines missions telles que, au hasard ( !) l’évaluation des pesticides en vue de leur mise sur le marché…
Ce ne serait pas un "arrachement"… Il y eût une époque où au sein du Ministère de l’Agriculture opérait une Direction de la Protection de la Nature. Devenue depuis ministère à part entière sous différents noms comportant environnement et/ou écologie, ce qui semble tout à fait logique aujourd’hui.
[*] L’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire de l’Alimentation) était beaucoup plus culturellement dépendante du Ministère de l’Agriculture. La fusion avec l’AFSSET (…de l’Environnement et du Travail) a justement élargi ce champ d’action et rendu l’organisme beaucoup plus "interministériel" en termes de relations institutionnelles.
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