Les pauvres sont-ils cons ?
La réponse à cette question est éminemment politique : les gens de gauche disent non, ceux de droite aussi, mais pour des raisons différentes.
Pour les libéraux qui se targuent de scientisme, la réponse va de soi : « Les hommes naissent libres et égaux en droits », ensuite chacun exprime ses talents personnels pour accéder à la position qu’il mérite. C’est la voie royale de la formation d’une élite, Les dominants ne peuvent qu’avoir des capacités supérieures aux autres puisque telle est la règle du jeu.
Pour déterminer l’aptitude d’un individu, il est possible d’utiliser des mesures de Quotient Intellectuel (QI) proposées dès 1905 « L'idée fondamentale de cette méthode est l'établissement d’une échelle métrique de l'intelligence. Cette échelle permet, non pas à proprement parler la mesure de l'intelligence, — car les qualités intellectuelles ne se mesurent pas comme des longueurs, elles ne sont pas superposables, — mais un classement, une hiérarchie entre des intelligences diverses » En d’autres termes, la mesure du QI ne permet que de classer les candidats en fonction de leur aptitude à réussir l’examen. Les tests de QI montrent que les hommes sont plus performants que les femmes, les blancs meilleurs que les noirs : les plus riches sont plus intelligents que les pauvres. Des groupes sociaux à peu près homogènes peuvent donc différer par leur QI moyen. Les pauvres montrent-ils cette même propension à être moins performants ?
Des tests de vocabulaire ont été faits sur des enfants issus de parents très éduqués, moyennement éduqués ou peu éduqués. Les enfants issu du groupe favorisé surclassent les autres aux USA, au Royaume-Uni et au Canada, mais ce dernier pays montre moins d’inégalités entre les uns et les autres. D’autres études vont dans le même sens.
Dans les classes préparatoires aux grandes Écoles, il y a 10 fois moins de jeunes issus du milieu ouvrier que ceux provenant de familles professions libérales et cadres supérieurs. Ouvriers et employés représentent la moitié des actifs mais seuls une vingtaine de pourcent d’entre eux possèdent un diplôme (et dans ce cas au maximum le certificat d’études primaires). Le milieu scolaire est sélectif mais personne ne conteste vraiment son impartialité. La « reproduction sociale » fait que les fils d’avocats sont plus souvent avocats qu’ouvriers tandis que les fils d’ouvriers restent ouvriers. Dans tous les sens que l’on prendra le problème, il semble acquis que le QI est influencé par les gènes, au moins autant que par les facteurs externes.
Doit-on parler de race des seigneurs ?
L’enchevêtrement entre les apports génétiques et environnementaux sur les QI est tellement inextricable qu’il est plus aisé de suivre un autre chemin pour déterminer la part de détermination génétique des groupes sociaux ; les formes d’intelligence étant innombrables, il est beaucoup plus simple (et exact) de prétendre que chacun est unique et possède sa propre valeur indépendamment de toute espèce d’évaluation. La mesure du QI est une tentative de quantification de l’humain dans un cadre théorique donné, mais on peut se passer des théories presque tout le temps. Vous pouvez choisir de faire du vélo en ignorant ce qu’est l’effet gyroscopique, vous serez en peine d’en faire avant un âge avancé si vous essayez de maîtriser parfaitement la théorie avant de pratiquer. Les théories peuvent ne servir à rien : les pommes tombent sans la gravité, l’eau augmente de volume en gelant sans les liaisons hydrogènes, le rouge est rouge sans les longueurs d’ondes etc… Une théorie donne une vision partielle mais cohérente d’un fragment de réalité, mais permet surtout d’échanger avec autrui pour en discuter, pour en construire d’autres plus générales, moins fausses. Ainsi le verbe devient pouvoir : ceux qui détiennent un savoir « guident » ceux qui ne l’ont pas.
Personne ne s’étonne que les producteurs soient invariablement sous la coupe d’autres qui n’ont pas leur compétence. Les dominants n’ont pas besoin de savoir produire, ils se concentrent sur une autre activité : celui de créer des liens, de tisser des réseaux, organiser des meetings… en d’autres termes engendrer un entre-soi. Et cet entre-soi aura une influence décisive dans tous les domaines de la société, société qu’il modèlera donc presque complétement.
« Être plus » que les autres est une caractéristique de toutes les espèces plus ou moins animales. La volonté de puissance s’exerce même pour l’anodin dès que l’on n’est plus seul : on prendra à gauche plutôt qu’à droite, on restera chez soi ou on sortira, on repeindra ou pas le couloir, la cuisine… Vouloir avoir raison, le dernier mot, est la forme la plus commune de la domination. Le talent, le mérite ou la sagesse ne sont que très rarement les premiers ressorts d’une prise de décision, ce qui compte c’est avoir raison quitte à égratigner ses proches ou écraser ses adversaires. L’essentiel alors est de ne jamais faire d’erreurs, du moins d’erreurs visibles, car le chef, le commandant, le leader ont sous leur coupe une plus ou moins grande multitude qui pourrait le faire chanceler en cas d’erreur trop criante. Les pauvres sont ceux qui perdent ces innombrables combats : ils ne savent pas sauter d’un jet dans l’autre pour vendre des armes à un prince héritier saoudien, ils ne savent pas ne rien dire avec cette courtoisie et cette élégance qui ravissent ceux qui connaissent le latin, ils ne savent pas flatter les puissants pour obtenir des marchés, ils ne savent pas se constituer des cours d’obligés contents de festoyer avec les miettes des festins… Les pauvres sont cantonnés dans le faire que l’on peut juger d’un regard alors que le faire faire des dominants est hors de portée de presque tous.
Un pauvre n’est pauvre que dans le regard des autres. Un regard de mépris ou de condescendance d’un nanti vers un démuni va conduire ce dernier, par rétroaction, à un comportement qu’il n’aurait pas eu sans ce regard. Le mépris va engendrer une aversion inextinguible chez ceux qui la subissent effaçant un raisonnable normé qu’ils avaient pu acquérir par l’éducation vers des mouvements affectifs, déraisonnables par essence.
Et le démuni devient un pauvre, mot qui ne rime avec aucun autre !
Pour accéder à des responsabilités, le pauvre doit devenir quelqu’un d’autre, l’un de ceux qu’il déteste, l’un d’entre eux. Il doit avoir autant de diplômes qu’eux, autant de connaissances qu’eux, lu autant de livres qu’eux, fait preuve d’autant d’esprit de répartie qu’eux, savoir dire les niaiseries qui siéent sous la forme la plus plaisante pour la galerie… Le dominé, pour ne pas le rester, doit abandonner tout ce que son père, sa famille, ses amis d’enfance lui ont transmis : la récompense est une négation de lui-même. Le dominant en construction peut lui copier ses pères pour accéder au pinacle en utilisant d’inégalables renforcements positifs plutôt que les médiocres renforcements négatifs utilisés par le pauvre.
De l’enfance à l’âge adulte, la façon de penser et de s’exprimer change sous l’effet de l’éducation : l’émotion fait plus ou moins place à la Raison : moins d’éducation c’est donc moins de Raison. Mais si l’émotion dépend quasi-exclusivement de réactions instinctives neutres quant à l’imbibition idéologique ou sociétale, il n’en est pas de même de la Raison. Il n’existe pas de Raison universelle qui poserait les fondations du Bien et du Mal, elle ne peut se construire qu’au sein d’un substrat construit par un micromilieu plus ou moins vaste. Même les rebelles au système n’échappent pas à cette nécessité : la déraison est aussi idéologiquement marquée. La Raison permet de bâtir un argumentaire plus ou moins achevé pour dominer mais n’est que très rarement utilisée pour discerner le vrai du faux.
La Raison est donc pour l’essentiel destinée à la parole, à la faconde, au bagou : « Les mots exercent un pouvoir magique : ils font voir, ils font croire, ils font agir… Les mots contribuent à faire le monde social. » Les dominants bâtissent un monde avec leurs règles, leurs interdits, leurs obligations qui respecte leur intérêt personnel. Il ne peut pas (plus) exister de mondes superposés qui auraient des façons d’agir différentes mais compatibles, une fonction publique et un secteur privé par exemple.
Le propre du sentiment de puissance est qu’il grise d’autant plus que la puissance augmente, il est inutile d’attendre sagesse ou justice de sa part : ceux qui savent parler exerceront aussi longtemps que possible leur tutelle sur ceux qui ne savent que « faire » en postulant qu’un chef dès son enfance doit savoir faire souffrir les autres.
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