Les révolutions arabes et nous
Les réactions dans la presse après le discours du général Sissi demandant aux Egyptiens de descendre massivement dans la rue pour lui accorder, de fait, un mandat qui permette de faire obstacle au "terrorisme", témoignent en général d'une singulière naïveté. On souligne qu'une telle démarche est un peu surprenante, qu'elle rappelle un procédé de l'affreux Mobutu ou que, de toute façon, ce tropisme césariste n'a pas grand chose à voir avec la démocratie.
Cela procède d'une conception de la démocratie pour le moins simpliste : quand ceux qui sont au pouvoir ont été régulièrement élus, et quoi qu'ils puissent faire par la suite, ils seraient fondés à y rester jusqu'à la fin de leur mandat. Dans cette perspective, ceux qui ont résisté aux nazis dans l'Allemagne des années 30 auraient été tout à fait condamnables puisque la politique du Führer avait disposé d'un large soutien des masses. Soyons sérieux : ce qui se mettait en place dans l'Egypte de Morsi, ce qu'on peut voir dans la Tunisie actuelle après l'assassinat - le jour anniversaire de la République !-, de Mohamed Brahmi n'a pas non plus un très grand rapport avec l'idéal démocratique. On a souvent fait remarquer que dans la conception des islamistes, le processus démocratique pouvait servir à parvenir au pouvoir. Ensuite, on passait à un tout autre système. C'est qu'on chercherait en vain dans les propos d'un Prophète du VIIe siècle, quelque chose qui ait un rapport avec nos conceptions politiques modernes.
L'évolution des choses au nord de l'Afrique, ces dernières années, n'a cessé de nous surprendre, mais on peut sérieusement douter que les Egyptiens, s'ils devaient voter actuellement, se prononceraient encore en faveur des Frères musulmans. Gilles Kepel, s'exprimant récemment sur France Culture, ne disait pas autre chose. Mais on peut douter aussi que les Frères ayant une fois presque réussi à imposer leur système, et désavoués in extremis par le peuple, renoncent définitivement à leurs ambitions comme le leur commanderait l'exigence démocratique dont ils paraissent se réclamer depuis qu'on les a privés du pouvoir. Comme tous les fanatiques, les islamistes n'ont aucune difficulté particulière à recourir à la violence. Nasser n'a pu si longtemps gouverner l'Egypte et la rapprocher de la modernité qu'en organisant d'abominables persécutions et en recourant à des méthodes que nos bonnes âmes d'aujourd'hui auraient certes raison de ne pas approuver. Peut-être serait-il bon de se rappeler aussi l'assassinat de Sadate par des membres d'un Jihad islamique issu des Frères. Pour endiguer la violence fanatique, un certain autoritarisme devient vite nécessaire, mais il produit aussi des explosions tout à fait imprévisibles. De là vient que dans l'opinion, beaucoup d'autruches pensent que le meilleur moyen, au fond, d'éviter la violence des islamistes, c'est de leur accorder tout ce qu'ils demandent. Un certain extrémisme démocratique -si j'ose dire - conduit à consentir à la terreur. Plutôt rouge que mort, disaient déjà certains crétins, à l'époque de la guerre froide. Mais là, de toute façon, il ne s'agit que d'Egyptiens, de Turcs, de Tunisiens. Comme le sage de Lucrèce, on se flatte de contempler du bord le naufrage. Cela ne nous fait ni chaud ni froid, à nous autres démocrates, toutes ces révolutions lointaines. Ce que nous ne supporterions pas, nous ne voyons pas d'inconvénient à ce qu'ils s'en accommodent.
Après l'espèce de récent coup d'état de l'armée, on entendait partout les bonnes âmes expliquer - encore une fois très naïvement ! -, qu'il n'y aurait pas de bonne démocratie en Egypte sans la participation de quelques Frères musulmans dans le futur gouvernement. C'est vouloir, au fond, un système qui ressemblerait à celui qu'on peut voir à l'oeuvre actuellement en Tunisie, où plusieurs ministères régaliens sont occupés par des gens qui ne sont pas membres d'Ennahda.
Mais les Tunisiens, ce soir, regardent ces ministres qui ont fait le jeu des islamistes, et Marzouki lui-même, comme de véritables faux-culs, lesquels n'auront servi qu'à cautionner les agissements d'un parti religieux de plus en plus détesté. Dans un gouvernement égyptien « démocratique » et qui correspondrait au moins vaguement à notre conception de la laïcité, où quelques places seraient réservées à des représentants des Frères, ce sont eux qui apparaîtraient vite comme des traîtres à ceux qui ne jurent que par la charia. Ces sortes de rôles de figuration sont acceptables pour des politiciens ambitieux, pragmatiques et opportunistes comme le sont la plupart des nôtres, mais certainement pas pour des fanatiques religieux.
Ce n'est donc pas demain que la démocratie égyptienne ressemblera à la nôtre. Aussi longtemps qu'il existera un fanatisme religieux, aussi bien en Egypte qu'on Tunisie – on a vu cela en Algérie il y a vingt ans – la violence, très vite, refera surface. Et pour la combattre, il faudra recourir à de sales procédés, comme ceux de Nasser ou de Bourguiba. Tout ce qu'on peut espérer, c'est qu'au lieu d'en être réduit à persécuter et emprisonner de pauvres bougres enfermés dans des idéologiques pernicieuses d'un autre temps, au lieu de faire la guerre au terrorisme, comme disaient les Américains, on fasse plutôt la guerre à l'obscurantisme, c'est-à-dire à un islam dont les musulmans ordinaires sont les premières victimes. Guerre des idées avant tout, donc. La seule qu'on puisse oser gaiement déclarer.
Cela nous ramène à la situation en France où de parfaits imbéciles nous bassinent avec leur refus de ce qu'ils appellent « islamophobie » et voudraient qu'on tolérât – comme à Trappes récemment – ce qui est tout à fait abject et abominable. Quand je vois se traîner dans les rues de Paris de pauvres femmes empaquetées des pieds à la tête et réduites à la condition d'objets sexuels cachés/exhibés, j'hésite entre la colère et la pitié. De quoi auront-elles l'air si demain les Tunisiennes, les Turques, ou les Iraniennes, enfin libérées de la tyrannie des barbus, viennent se gausser ici de leur esclavage volontaire dans un pays qui écrit le mot LIBERTE au fronton de tous ses édifices publics ? On n'a pas hésité, ces derniers temps, à insulter les catholiques réticents sur la question du mariage homosexuel. Mais des abrutis, même parmi les politiques, justifient encore la burka et, par voie de conséquence, justifient et encouragent l'oppression dans tous les pays du Moyen-Orient. En Turquie, le port de la burka est encore interdit dans les lieux publics, et Erdogan – qu'on ne verra bientôt plus ! - se plaignait naguère que ses filles fussent obligées de faire leurs études dans des pays occidentaux plus tolérants. Nous sommes de fait plus tolérants, nous autres. Mais tolérer l'intolérable, c'est le propre des lâches et surtout des imbéciles. Et cela ne fait qu'ajouter grandement au malheur universel.
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