Les salades afghanes
Le schéma expliqué par le Gardian dans cet article choc signé Aram Roston défie tout simplement l’entendement : ce sont les contractants américains, des mercenaires, qui, dans un accord "grotesque" précise le journal, ont recours à des talibans reconnus, des chefs de guerre répertoriés, pour protéger leurs convois, et ce, avec l’accord tacite des soldats US ! Les talibans qui s’y prêtent étant grassement rémunérés, et les mercenaires se croisant alors les bras, leur service assuré sans même avoir à bouger le petit doigt. A l’origine de ce montage odieux, la manne financière accordée par le Pentagone à l’approvisionnement de Kaboul ou des villes majeures d’Afghanistan où sont installé les bases militaires. En résumé, pour qu’à Bagram, les soldats américains puissent manger leur indispensable hamburger et leur Kentucky Fried Chicken qui les rend obèses et incapables de courir, il faut que des Talibans se chargent de "surveiller" les routes qui leur acheminent leurs plateaux repas ! Cela, ou l’approvisionnement des "supermarchés du combattant" comme il en existe au milieu de chaque base US ! Le Kentucky Fried Chicken, le second symbole US après Mac Donald ! Ou ça et la dinde de Thanksgiving qui ne devrait plus tarder à arriver ! Encore un symbole !
A propos de ces symboles purement américains, tout est bon, aussi, pour faire de la propagande avec ce fameux KFC, tel celui "inauguré" à Faloujah, selon certains journalistes véritables lécheurs de bottes ! Profitez-en en regardant cette tranche mémorable d’info matinale US pour vous remémorer le nom du présentateur de FoxNews auteur de cette désinformation manifeste : l’homme est désormais connu. C’est celui qui le petit matin, dans les télés américaines, est venu un jour nous parler des "races pures". Brian Kilmeade, dont il ne faudra donc pas oublier le nom, au cas où il se retrouverait un jour ailleurs. L’eugénisme au saut du lit, ça n’est pas très fréquent à vrai dire ! Et c’est ce genre d’état d’esprit nauséabond qui soutient autant cette guerre et ses absurdités journalières !
Des hamburgers ou des poulets congelés livrés, ceci grâce à des contrats mirobolants, comme les six décrits par le journal anglais, dont le montant peut atteindre jusqu’à 360 millions de dollars pour le plus élevé. Et au total arriver à à la somme faramineuse de 2,2 milliards de dollars ! Et ce, pour deux années de contrats seulement, ce qui représente 10% du PNB afghan ! A la tête de l’organisation afghane qui se charge du contrat, on trouve NCL, la "National Construction and Logistics", firme de "logistique et de sécurité" (de mercenaires donc) dirigée par le dénommé Hamed Wardak. En fait, le propre fils du ministre de la défense afghan Abdul Rahim Wardak ! Et le vice-president de l’"Afghan-American Chamber of Commerce" (AACC) ! Or, Hamed Wardak est aussi l’un des cousins de la famille Karzaï ! Car au royaume de la corruption sans bornes, les fils de ministre sont évidemment les bienvenus... souvent, en effet, dans les pays corrompus, des fils de personnes bien placées apparaissent en haut lieu. Le népotisme a toujours fait excellent ménage avec la corruption.
Un homme qui n’hésite pas non plus à se vanter d’avoir été à la tête d’une société de logistique, le "Managing Director" "d’International Operations" au sein de "Technologists, Inc", et d’y avoir gagné de 2004 à 2005, pas moins de 44 millions de dollars de contrats en Afghanistan "grâce à USAID et au Département de la Défense US"... le roi du container, en quelque sorte... or on sait à quoi ils servent, les containers, et ce qu’ils cachent : d’autant plus qu’à la tête de la CUSAP, ( la "Campaign for a US-Afghanistan Partnership"), l’organisation de la Chambre de Commerce afghane, on trouve à côté de Wardak Junior un dénommé Milt Bearden, retraité de la Central Intelligence Agency depuis 1994, après avoir passé trente années dans les services secrets américains ! Un homme qui, dans les années 80, se chargeait du dossier Nigerian ou du Soudan, à Kartoum... à l’époque où un dénommé Ben Laden y sévissait (*1) . En 1985, notre homme s’était illustré en rapatriant clandestinement en Israël les derniers juifs Falasha d’Ethiopie, lors de l’opération Moïse. Depuis, ils ont été confrontés sur place... au racisme, rappelons-le ! La fameuse notion de "terre promise" a des revers insoupçonnés.
Aujourd’hui, l’homme constate dans les journaux que "les américains ont mis des années pour fabriquer la route joignant Kaboul jusque Kandahar, mais qu’elle n’est pas sûre", dit-il : à se demander si ce n’est pas ironique, chez lui ! Car Bearden est un cas à part, à vrai dire. Il apparaît en effet en bonne place dans le fameux film d’Adam Curtis , intitulé "The Power of Nightmares" ; où il décrit par le détail le soutien US aux Moudjahidine, annonçant en particulier que c’est bien la CIA qui leur avait fourni les missiles Stinger (contre avions !) et des millions de dollars ! C’est bien pourquoi aussi il a été aussi critique sur la notion bushienne de guerre au terrorisme : Ben Laden, il sait très bien à qui et à quoi il a servi, en qualité de membre de la CIA au Soudan ! Il et aussi bien positionné pour parler magouilles : ce sont celles, justement qu’il a exposé dans "Power of Nightmares" ! Celles qui font de Ben Laden la créature pure et simple de la CIA !
Les firmes concurrentes, telles Afghan American Army Services, une firme américaine, une subdivision de Wens, ayant été évincées de cette poule aux œufs d’or, sont toutes prêtes désormais à révéler les magouilles et les extorsions de fonds des chefs de guerre talibans. C’est ainsi que le plus souvent, d’ailleurs, on a appris ces malversations. Dans ce gigantesque dépeçage, les deux plus grands profiteurs sont en priorité les membres du régime corrompu de Karzaï et les talibans, qui pourront s’offrir les armes qu’ils voudront avec l’argent amassé, et en dernière position le soldat américain qui verra le supermarché de sa base approvisionner en cookies et en chewing-gum. Indispensables, on le sait, au bonheur du GI. Dit comme ça, cela semble en effet grotesque, voire surréaliste, or c’est la triste réalité afghane : les américains, pour nourrir leurs soldats.... nourrissent en dollars leurs propres adversaires ! Avec un système pareil, voisin sinon jumeau de celui de la mafia, le gallon d’essence livré au soldat US revient à 400 dollars "toutes taxes talibanes comprises".... un phénomène déjà remarqué dès 2005, la pratique du bakchich obligatoire étant bien de tradition dans le pays ! Avec en dernier ressort, un autre grand perdant : le contribuable américain !
Cet article saisissant m’en a rappelé un autre, paru dans l’indifférence générale il y a une bonne paire de mois : celui d’un chauffeur de camion des îles Fidji, Titoko Savuwati, de Totoya Lau, chargé d’approvisionner une base US, un témoignage recueilli par Pratap Chatterjee. L’auteur d’un excellent "Halliburton’s Army : How a Well-Connected Texas Oil Company Revolutionized the Way America Makes War ". Attiré par une promesse de salaire mensuel de 3000 dollars, Titoko Savuwati y avouait en gagner 640 seulement, dépenser tout sur place ou presque et risquer sa vie tous les jours... pour un salaire, pas si folichon que ça (de 2,5 dollars l’heure de conduite, pour 12 heures par jour !), pour transporter... des salades ! Sans oublier ceux qui se sont faits piéger par les offres alléchantes, dont l’armée de philippins davantage encore sous-payés que les natifs des Etats-Unis. La gabegie généralisée des approvisionnements des bases américaines, et l’obésité naissante chez un bon nombre des soldats trop bien nourris, voilà deux thèmes récurrents depuis des années, en Irak comme en Afghanistan.
Affligeant constat, en effet : les soldats américains, sur place, en Irak, comme en Afghanistan, prennent du poids sur place ! L’aigle blanc est devenu un coq en pâte ! Comme le soulignait ironiquement la journaliste Sarah Stillman (*2), "en 2003, le soldat moyen perdait cinq livres lors de sa tournée en Irak, aujourd’hui il en gagne dix !" Pendant qu’ils engraissent, d’autres se font tuer : en certaines circonstances, la protection des convois d’Halliburton n’était même pas toujours assurée, comme l’a révélé l’hallucinante vidéo de septembre 2006 chez ABC News, où l’on pouvait voir filmé d’un Apache impuissant l’embuscade des camions et l’exécution de leurs chauffeurs ! Une autre séquence montrait l’attaque vécue du poste de pilotage, avec après le commentaire d’un conducteur... l’avitaillement est devenu un véritable cauchemar dans ces conditions !
On obtient là un sommet d’illogisme et une situation surréaliste : ce qu’ils font, ces conducteurs, c’est de risquer de se faire tuer pour apporter de la laitue fraîchement cueillie au Koweit et transportée par Public Warehousing Corp. (PWC) au nom des contrats de KBR (25 milliards de dollars sur 10 ans !) ! De la romaine, de la laitue, ou des pizzas congelées, par camion réfrigéré, au bout d’un trajet épuisant de 12 heures en plein désert ! La spécialité de PWC, une société Koweitienne fondée par Jamil Sultan Al-Essa, sous le nom de Sultan Center Food Products en1976, et dirigée aujourd’hui par un de ses onze fils, Tarek Sultan Al-Essan, un homme aux deux visages.... Un de ces hommes d’affaires très impliqués en Floride, notamment chez NREC Indian Harbour Inc et son successeur, NREC Oakland Inc. La Floride, on y revient toujours : la mafia américaine y est fortement implantée, la drogue y trouve sa plaque tournante et les amis de la famille mafieuse Bush sont partout. On y trouve aussi des entreprises distributrices dans tout le Moyen-Orient des Pizzas Domino... société dont les dirigeants, tel le fondateur Tom Manaughan, ont une idéologie bien marquée et bien particulière... celle soutenant financièrement les évangélistes chrétiens pro-life (anti- avortement !). Chez eux, pour obtenir les contrats, un bon moyen : l’usage de gens bien placés, tel que Dan Mongeon, nommé directeur en 2008 d’une société de logistique, Agility... (dirigée elle aussi par Tarek Sultan, car c’est tout simplement le nouveau nom de PWC !), un général en retraite qui était à la tête du "Defense Supply Center" de Fort Belvoir et qui connaissaitt donc toutes les ficelles des approvisionnements de l’armée. Copinage et détournements, la clé du système bushien ! Ce qui n’est pas sans surprendre comme association d’intérêts : l’association des wahhabites koweitiens et des évangélistes anti-musulmans, il va falloir qu’on m’explique un jour comment elle a bien pu se faire : il n’y en qu’en terre (bénite ?) de Floride que cela semble possible !
Voilà donc ceux qui vivent grassement du conflit, ces profiteurs de guerre que sont les gens d’Halliburton dont l’un des dirigeants principaux de 1995 à 2000 a été... Dick Cheney. Un reportage de NSBC montrait déjà en 2005 que les tarifs des fournitures d’essence au Pentagone par Halliburton avaient été sur-évalués de plus de 108 millions de dollars, payés cette fois encore par le contribuable américain. Halliburton avait hérité d’un contrat sans appel d’offres de 2,5 milliards (?) de dollars pour fournir l’essence à l’armée US en Irak. En puisant dans les ressources des raffineries locales, bien entendu, où avaient été nommés... des hommes de paille, tous dévoués à Halliburton. Le profit maximal assuré ! Un pays où nous avions déjà noté ceci : "... au final, on obtient donc une situation ubuesque : l’un des pays ayant les plus belles réserves en sous-sol de pétrole au monde est obligé d"importer pour 500 000 dollars d’essence raffinée chaque mois". Un pays où la moitié de la production des raffineries partait vers le marché noir ! L’Irak n’aura été dans ce sens que la préfiguration de l’Afghanistan : "Un cercle infernal s’établit. Autre paradoxe : ce sont donc les Américains eux-mêmes qui nourrissent la résistance à leur occupation militaire, et ce, sans même s’en s’apercevoir. Pour l’éviter, il faudrait contrôler à tous les étages le fonctionnement d’un pays corrompu jusqu’à la moelle" notions-nous déjà en mars 2008.
Halliburton et ses mercenaires de Blackwater, de Dyncorp (ou de Triple Canopy), ou bien encore Watan Risk, autre société afghane ayant hérité de contrats tout aussi mirobolants, est dirigée, elle, par les frères Popal, nous rappelle le Guardian. Sur place, ces deux frères mafieux travaillent avec un dénommé Ruhullah, qui se ferait payer 1500 dollars par camion "protégé" pour faire les 300 bornes seulement séparant Kandahar de Kaboul : de l’or en barres, pour eux ! Et pour achever complètement le lecteur, le Guardian cite au final le Colonel David Haight, qui dirige la Third Brigade de la 10th Mountain Division. L’homme, sous la pression journalistique finit par avouer : "je sais ce que c’est, en effet, essentiellement ça consiste à payer ses ennemis ? Mais ne m’embêtez donc pas avec ça : je n’aime pas le faire, mais c’est comme ça, c’est tout !". Quel aveu d’impuissance ! Comment voulez-vous gagner une guerre dans ces conditions ? Celui qui protège votre convoi, et que vous finissez par connaître à force de le croiser chaque semaine au fond du canyon ou de la passe, et celui qui demain vous volatilisera votre camion à coups de roquette RPG... pour un simple retard de paiement ! Et ce d’autant plus que dans les contrats signés par le gouvernement afghan, les quelques mercenaires à bord des camions n’ont le droit de porter que des Kalachnikovs... pour éviter les excès et les massacres comme ceux de Nisoor en Irak, dont le gouvernement irakien ne veut plus entendre parler ! Wantan Risk, qui se vante également de travailler pour USAID, via DELOITTE TOUCHE TOHMATSU International. Une société de taille plus que respectable, qui est à l’origine d’I-Connect, le réseau social des pays en voie de développement. Les liens entre l’humanitaire, la politique militaire et la mafia locale, nous n’avons de cesse de le dénoncer ici-même, et Watan Risk en est un exemple de plus : au pays de la corruption, tout le monde est éclaboussé, car tout le monde vient se servir.
Et puis parfois l’actualité rejoint la rédaction : on apprend ce jour, via la presse américaine, que les questions posées dès 2003 à propos de la gestion des approvisionnements de l’armée américaine ont abouti à une enquête, et des juges viennent de mettre en examen hier PWC (Public Warehousing Company, devenu donc depuis... Agility !) pour avoir forcé sur la note fournie à l’armée US. Les procureurs cherchent ce qu’il en est exactement des 8,5 milliards de dollars qu’elle a reçu depuis 2003. Selon eux, sur 41 mois sur 76 de contrat, les prix de la nourriture fournie auraient été indûment exagérés ! Chez Agility, 37% de ses revenus proviennent des commandes de l’armée américaine ! On apprend également que la firme visée, se sentant visée ces dernières années, a tentée de se trouver d’autres revenus en se diversifiant... dans l’immobilier et même en achetant une mine d’or en Papouasie ! Parmi les griefs à son encontre, celui d’une corruption rampante pratiquée et le versement de 40 000 dollars, au départ, par exemple, au Maj. John L. Cockerham (*3) de la base de Fort Sam à Houston (et à sa femme, également inculpée). Le 1 er février 2008, Cockerham avait été reconnu coupable d’avoir reçu 9,6 millions au total de versements de corruption, sur 15 millions versés par la firme à divers responsables des armées. Un autre militaire, Anthony B. Bell avait également été accusé. Le marché portait sur la livraison des bouteilles d’eau en Irak, phénomène que nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises ici. Avec le cas du Lieutenant Colonel Levonda Joey Selph, et les armes détournées et revendues, on n’en a pas fini de découvrir les pactes de corruption de ces deux conflits sans fin. En 2007 déjà, le site McClatchy évoquait déjà la fameuse "taxe d’insurgés" en Irak : le même principe qu’en Afghanistan ! A l’époque déjà, le Sheik Ali Hatem Ali Suleiman (*4), le responsable local du Dulaim, la tribu majoritaire en province d’Anbar, avait noté le détournement des fonds destinés à la reconstruction au profit... des insurgés ! Avec la même technique, celle du péage pour les camions d’approvisionnement...
Un autre article du Der Spiegel présente lui un problème assez voisin : en Afghanistan, on a visiblement commis la même erreur qu’en Irak en armant des milices anti-talibanes dont rien ne prouve qu’un jour elles ne se retourneront pas contre leurs donateurs. Il n’y aucune garantie à armer ces chefs de village qu’une somme d’argent supplémentaire peut retourner du jour au lendemain. Extérieurement, ces milices privées ressemblent comme deux gouttes d’eau aux forces talibanes : le risque de méprise est grand, comme est inquiétante leur loyauté, qui ne repose que sur la notion du plus offrant : certes, elles sont anti-talibanes. Mais les chefs de guerre locaux en Afghanistan on tellement de fois retourné casaque que rien ne permet de dire qu’ils vont le rester indéfiniment.
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