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Les sources de la persistance « inattendue » des classes moyennes dans le socialisme soviétique

Toute plaisanterie mise à part, revenons maintenant sur ce qui fait le titre de l’ouvrage de Staline dans lequel apparaît la discussion des thèses de Iarochenko dont nous venons d’étudier quelques extraits : Les problèmes économiques du socialisme en URSS − 1952.

Prenons tout d’abord cette phrase de Joseph Staline :
« Certains camarades soutiennent que le Parti a conservé à tort la production marchande après avoir pris le pouvoir et nationalisé les moyens de production dans notre pays. Ils estiment que le Parti aurait dû à ce moment éliminer la production marchande. » (Idem)

Il paraît que ce point de vue devrait pouvoir recevoir la caution de l’un des deux grands auteurs auxquels les deux fondateurs de l’U.R.S.S. aiment à se référer, Friedrich Engels, qui a écrit dans son Anti-Dühring (1878) :
« Par la prise de possession sociale des moyens de production, la production des marchandises cesse et par là même la domination du produit sur le producteur. » (Friedrich EngelsAnti-Dühring, Éditions Sociales 1950, page 322.)

Il faut ici bien distinguer le produit – ce qui est destiné à remplir un usage (valeur d’usage) – et la marchandise qui est, elle, destinée à la vente (valeur d’échange)… Dans ce dernier cas, ce qui est visé, c’est un bénéfice (économie marchande), ou un profit (économie capitaliste).

Par elle-même rien que lapidaire, la formule de Friedrich Engels décrit un état global où il n’y a plus à distinguer entre les deux grandes catégories de moyens de production que sont l’industrie et l’agriculture : elles seraient donc, l’une comme l’autre, des phénomènes véritablement aboutis. C’est ici que Staline se sépare de ceux qui croient pouvoir se saisir de la formule de Engels pour l’opposer à ce qu’aurait été la ligne erronée suivie par l’Union soviétique. Il en resitue tout d’abord le domaine de pertinence :
« Engels a en vue les pays où le capitalisme et la concentration de la production sont suffisamment développés non seulement dans l’industrie, mais aussi dans l’agriculture, pour rendre possible l’expropriation de tous les moyens de production du pays, et en faire la propriété du peuple. Engels estime donc que dans ces pays, il conviendrait, parallèlement à la socialisation de tous les moyens de production, d’éliminer la production marchande. Cela est, bien entendu, très juste. » (Site du Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste [B], lien indiqué ci-dessus.)

Staline pose ensuite rétrospectivement le problème qui s’est posé devant les bolchéviks en 1917 :
« Que doivent faire le prolétariat et son parti si dans tel ou tel pays, y compris le nôtre, les conditions sont favorables à la prise du pouvoir par le prolétariat et au renversement du capitalisme ; où le capitalisme dans l’industrie a concentré les moyens de production au point qu’on peut les exproprier et les remettre en possession de la société, mais où l’agriculture, malgré le progrès du capitalisme, est émiettée entre les nombreux petits et moyens propriétaires-producteurs au point que la possibilité ne se présente pas d’envisager l’expropriation de ces producteurs ? » (Idem.)

Le fil de l’argumentation doit être saisi à la bonne adresse. Et Staline la connaît parfaitement :
«  Lénine a répondu à cette question dans ses ouvrages sur « l’impôt en nature » et dans son fameux « plan coopératif ». » (Idem.)

Si nous nous tournons tout d’abord vers le Plan de la brochure « l‘impôt en nature » (fin mars – début avril 1921), nous trouvons cette formule de Lénine :
« Ni réquisitions, ni impôt, mais échange des produits de la grande industrie (« socialisée ») contre les produits paysans, telle est la substance économique du socialisme, sa base.  » (Vladimir Ilitch Lénine, Œuvres, tome 32, etc., pages 341-342.)

Nous sommes en présence d’un échange de valeurs d’usage… Il n’y a plus de marchandises. Voilà donc le socialisme atteint. Évidemment, en 1921, l’Union soviétique n’en était pas encore là. Un an plus tôt tout juste, Lénine l’avait constaté avec une certaine rudesse (Discours au IIIème Congrès des syndicats de Russie, 7 avril 1920) :
« Nous sommes entourés de petits bourgeois qui ressuscitent le commerce libre et le capitalisme. » (Vladimir Ilitch LénineŒuvres, tome 30, etc., page 526.)

Après y avoir réfléchi, et saisi par une forme d’urgence, Lénine en sera venu à devoir tenir compte de ce rapport de classe qui menaçait tout simplement les chances pour le pays des Soviets de se rapprocher du socialisme. Il allait falloir en passer, d’une certaine façon par le commerce libre (effectif) et par le capitalisme (en image, pourrait-on dire…). C’est tout le sens des coopératives. C’est aussi ce qu’il y a à comprendre dans la formulation qu’il en donne ici :
« Dans les conditions actuelles de la Russie, la liberté et les droits des coopératives sont la liberté et les droits au capitalisme. Il serait stupide ou criminel de fermer les yeux sur cette vérité évidente.
Mais, en régime soviétique, le capitalisme « coopératif », à la différence du capitalisme privé, est une variété du capitalisme d’État et, comme tel, il nous est aujourd’hui avantageux et utile dans une certaine mesure, bien entendu. » (Vladimir Ilitch LénineŒuvres, tome 32, etc., page 369.)

Ce capitalisme d’État, compagnon momentané du socialisme soviétique, en quoi consiste-t-il donc ?
« Le cas ou l’exemple le plus simple de la façon dont le pouvoir soviétique oriente le développement du capitalisme dans la voie du capitalisme d’État, dont il « implante » le capitalisme d’État, ce sont les concessions. » (Idem, page 367)

… qui peuvent mettre en scène des firmes étrangères… Or, Lénine le souligne aussitôt :
« Le pouvoir soviétique y trouve son avantage : les forces productives se développent, la quantité des produits augmente immédiatement ou dans les plus brefs délais. » (Idem, page 367.)

Bien sûr, l’État soviétique impose ses conditions… à ce capitalisme-là, qui, s’il est lié aux puissances capitalistes, est d’abord et avant tout le capitalisme de l’État des Soviets… pour autant que ceux-ci parviendront à ne pas s’en laisser conter… Il ne faudra donc pas se voiler la face :
« La mesure et les conditions auxquelles les concessions nous sont avantageuses et sans danger sont fonction du rapport des forces ; c’est la lutte qui en décide […]. » (Idem, page 368.)

N’empêche, et c’est là tout le sel de l’affaire :
« Nous avons là un contrat direct, établi dans les formes, par écrit, avec le capitalisme d’Europe occidentale, le capitalisme le plus cultivé, le plus évolué. » (Idem, page 368.)


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5 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 11 février 2020 18:16

    Staline a toujours pu compter sur l’armée pour ce qui concernait la géostratégie de l’état soviétique et les relations avec les autres états. Pour cela, il n’a pas lésiné sur les moyens.

    Sur le plan intérieur, c’était autre chose et, quelles qu’en soient les raisons, les pénuries étaient devenues endémiques au point de mettre en danger la stabilité sociale. Pour conserver le pouvoir politique, Staline s’en est remis à trois structures devenues des quasi classes sociales :

     la mafia qui palliait aux pénuries en organisant un marché noir toléré et générateur de corruption, leurs descendants sont les oligarques

     une bureaucratie qui gérait la vie quotidienne des services publics, l’éducation et l’industrie. leurs descendants sont les cadres techniques actuels

     la police et le KGB qui contrôlaient les deux autres groupes. leurs descendants sont les diplomates, hauts fonctionnaires et le chef d’état

    l’effondrement de l’URSS a été le bouleversement qui a provoqué le passage d’un capitalisme d’état à un capitalisme privé particulier qui n’est ni le « libéralisme » occidental ni cet autre capitalisme d’état qu’est la Chine, mais un système plus souple et plus moderne que celui de l’URSS tout en tentant de préserver certains héritages.

    Il parait que Lénine a dit « le communisme, c’est les soviets plus l’électricité ». On pourrait paraphraser en disant : la Russie, c’est l’URSS plus internet


    • CN46400 CN46400 12 février 2020 08:12

      @Séraphin Lampion
      Quand on parle de « capitalisme d’état » en URSS ou en Chine il convient de préciser de quoi on parle. Soit on se réfère à Lénine, soit à Marx. Pour Lénine c’est le capitalisme classique moins la domination sur l’état alors que pour Marx, « le gouvernement moderne est un comité qui gère les affaires communes de la bourgeoisie »(Le Manifeste-1848). Ce qui suppose que, dans le cas de Lénine, le comité ne gère plus les affaires communes de la bourgeoisie, mais celles des intérêts prolétariens.
       Le capitalisme d’état de Lénine est chargé de réaliser l’accumulation primitive du capital, indispensable fondement du socialisme, là ou le capitalisme « classique » n’a pas eu le temps de réaliser cette accumulation (URSS 1920, Chine 1980) avant l’arrivée au pouvoir d’état des communistes.
      La disparition de Lénine (1924), et de la NEP (1927) a ouvert la voie à un « socialisme dans un seul pays » autarcique et perclus de pénuries de produits manufacturés qui explique, en profondeur, la chute de l’URSS en 1991.
       Au passage, et pour étayer mon raisonnement, notons qu’aucun des candidats à la succession de Lénine, et surtout pas Staline, n’a fait la moindre référence, même pas pour le critiquer, au « capitalisme d’état », dans sa carrière ultérieure.


    • Eric F Eric F 11 février 2020 19:00

      Il est intéressant de relever que le pragmatisme (adaptation à un état de fait) est introduit en le justifiant par des arguments idéologiques, la « souplesse dialectique » est la forme marxiste de casuistique théologique.

      Sur le fond, les fondateurs du soviétisme ont été confrontés à un élément « inattendu » dans la doctrine : la permanence de la nature humaine, dans laquelle la motivation de l’action est presque génétiquement liée à la récompense de l’effort personnel. La satisfaction morale du devoir accompli dans l’intérêt général peut exister de manière temporaire chez la plupart des gens, mais pas de manière perpétuelle sauf chez les héros et les saints (au sens général, non pas religieux). Cela est vrai dans la population tout comme dans les élites du parti.


      • Eric F Eric F 12 février 2020 20:56

        @Aff le loup
        Vous avez raison de mentionner que le dogmatisme rigide était prépondérant dans le soviétisme (incluant la psycho-rigidité de certains dirigeants), mais ma remarque était que même dans les [rares ?] cas où ils faisaient acte de pragmatisme, ils justifiaient leurs décisions par un argumentaire se raccrochant à la pensée marxiste.


      • eric 12 février 2020 19:20

        Cette discussion théorique est en réalité tranchée par la science. La démographie socio économique.

        Toujours et partout, les partis « socialistes » ( bolcheviques, Nazis, Fascistes, trotskistes, anarchistes, Terroristes de la révolutions française) ont d’abord été des partis de petits bourgeois. Notamment de leurs gosses ayant fait des études ; Le socialisme c’est du petit bourgeois ayant avaient bac plus 2 à 4 suivant les époques ( un peu moins peut être en Russie ou on partait de très bas, à peine plus aujourd’hui en France ou on distribue certains diplômes). grâce aux sacrifices économique de ses parents pour lui payer des études. 

        C’était 98% du parti bolchévique, ou on trouvait UN fils d’ouvrier parmi les cadres aux début.

        Idéologie de classe moyenne lettrée ( car il existe aussi une clase moyenne économique, qui crée peu de socialisme, celle qui bosse), elle recrute parmi les fonctionnaires, les enseignants, les postier, etc...Le printemps arabe en Tunisie a commencé avec un vendeur de quatre saison qui s’est immolé par leu feux, mais s’est poursuivi par la grève des postiers et cheminots. Comme partout...Ce n’est pas un hasard si un candidat trotskiste en France est un universitaire qui a choisit d’être postier à mi temps. Pour faire la révolution, il faut d’abord du temps libre...

        Elle crée une société favorable à une petite bourgeoisie rouge surtout soucieuse de stabilité, de sécurité, et qu’on ne la juge pas. Que son mode de vie soit la référence absolue

        Ceci explique tous le reste. Pourquoi tous les terroriste étaient des petits bourgeois sans beaucoup de fric s’affublant de particules ou d’ancêtres nobles ( Monsieur DE Robespierre, Marat, le « grand d’Espagne » et autres snobinards imbus d’eux même et complexés à en faire mourir les autres). Pourquoi la révolution soviétique a eu lieu dans un pays avec énormément de bureaucrates ( chinovvniks) plutôt que dans un pays avec beaucoup d’ouvriers ( Angleterre Allemagne).

        Lénine est d’extraction aristocratique, mais c’est de la noblesse de Robe. Saint just est un noble d’épée, et c’est le seul qui soit sincère...c’est aussi un gosse.

        Louise Michel à grandis dans un château, et Karl lui même est, en gros, un universitaire sponsorisé par l’hériter d’une grosse boite, qui passe son temps à se plaindre pour avoir plus d’argent pour son confort familial. Comme la plupart de ces gens il est du reste antisémite. Ce qui se conçoit pour un socialiste, mais de façon plus inattendu anti hongrois ! Pourquoi ? Dieu seul le sait. En tous cas, il considère ces deux catégories comme impropres à la construction du socialisme et à éliminer. Son gendre français, qui connait les précédent révolutionnaire, réactualise l’idée de la terreur d’utiliser des gazes, pour une fin humaine et sans souffrance. D’autre reprendrons le concept...également petits bourgeois plus ou moins lettrés, violents frustrés, et persuadé qu’en éliminant la source de tous nos malheur, on construira un avenir radieux ou un Reich millénaire….

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