Les Syndicats pensent toujours qu’ils vont gagner
La crise « sanitaire » comme instrument de la lutte des classes ? Vraiment ?

Premier fait : le syndicalisme français est présent majoritairement dans l’État. Il représente d’abord des salariés de grandes administrations d’État et des fonctionnaires. L’État peut-il se dénoncer lui-même ? Bien entendu, non.
Deuxième fait : les syndicats reprennent les termes de la « crise » en cours dans le langage officiel - les « clusters », la « deuxième vague », la « pandémie » - rien ne manque au catalogue (nous ne chantons pas ensemble l’air du catalogue).
Troisième fait : le rôle du syndicat est de défendre la personne humaine dans le contexte unique de sa vie professionnelle. Ce qui se passe en dehors du temps consacré à l’entreprise ou à l’État n’est pas de son domaine.
Question : pourquoi donc les syndicats continuent à négocier le poids des chaînes comme le suggère la fameuse phrase satirique mille fois citée ?
Réponse : parce que, corollaire du fait numéro un, ils ne représentent pas le secteur privé. L’État est vécue comme une entité éternelle d'un poids imposant que seules les évolutions de la technologie peuvent alléger. La haine du fonctionnaire, pourvu de son poste éternel et de son salaire constamment revalorisé, est entretenue par le discours médiatique car le discours médiatique s’adresse à la majorité, et la majorité travaille dans le très précaire secteur privé laissé à l’arbitraire du marché et de l’intelligence ou de l’imbécillité humaines (adapte-toi ou meurs). Cela rassure le quidam sur le fait que certaines choses peuvent changer, cela entretient cette illusion d'une nature de la supériorité du "mérite" qui peut revenir faire valoir ses droits n'importe où et n'importe quand.
Si nous reprenons le troisième fait, il est donc hautement probable que le syndicat va chercher à obtenir des moyens pour ses adhérents d’exercer optimalement la dite activité professionnelle. Optimalement, c’est-à-dire en effectuant le moins d’efforts possibles pour le coût le plus élevé possible.
Il y a une pensée mécaniste à l’œuvre. C’est la même qui fonde le concept de l’État redistributeur. C’est la même que celle de la théorie du ruissellement. C’est la même qui découle de l’argent comme outil humain de transaction. A partir du moment où je te donne un billet de 10 euros pour (ou contre) une baguette de pain et que tu me rends 9 euros en monnaie, tu crées la condition pour le réinvestissement de cette somme restante ailleurs. La course en avant de l’accumulation matérielle jusqu’à ce que le billet soit consommé part de là. Ce billet est désormais dans d’autres mains, et il passe, et il passe, et il passe… Et il fait des enfants. Et pour avoir des enfants puis pour les nourrir, on produit donc plus de baguettes de pain. Et c’est épuisant. Et c’est excitant. Le monde s’est agrandi. On a de plus en plus de billets dans les mains.
Vient la « pandémie ». Apparition de la mort, symptôme de l’épuisement qui prend le pas sur l’excitation. Pour survivre à ça, l’État fait enfin une chose que les syndicats demandent sans cesse. Il s’endette. Il impulse au milieu des êtres la force « vitale » de l’argent, qui permettra au travail de continuer à se multiplier, au monde de s’agrandir. Selon Bruno Le Maire, ces dépenses « nous permettront de rebondir très vite et d’accélérer la transformation de l’économie française pour la rendre plus compétitive ».
Le syndicalisme français peut donc être rassuré. Pour permettre à cette compétition de s’accroître (l’économie n’est pas une science ni un art ; c’est un sport), il va être renforcé. L’appareil d’État devra être densifié pour affronter la conséquence inévitable de la compétition : l’attitude très peu sportive des perdants. Comment vont-ils nourrir leurs familles si jamais l’État ne leur reverse pas ce que les employeurs du privé englués dans la compétition ne peuvent plus leur donner ? Comment l’État, privé d’impôts, peut-il continuer à soutenir le privé en le déchargeant pour qu’il puisse mener sa compétition et et à soutenir le public pour qu’il laisse la compétition avoir lieu ? Peut-on vraiment remettre tous les compteurs à zéro pour permettre à la partie de se poursuivre ? C’est une possibilité technique. C’est, aujourd’hui, une impossibilité morale. Demain, peut-être, plus personne n’aura de famille et pourra récuser l’héritage de ses parents en ayant trouvé d’autres richesses que celles qui ont été transmises de générations en générations. Mais demain reste une hypothèse. Demain, je peux me mettre à croire à l’éternité d’un lien, tout autant que je puisse briser celui que je croyais éternel. Sur une impulsion, tout peut se construire ou être anéanti. C’est à moi que revient la charge de décider si le temps sera long ou court. Je ne dois pas laisser la possibilité de la maladie et de la mort prendre l’ascendant. Pour pouvoir penser tout ça, je postule un invariant : l’État est éternel. Les structures de pouvoir et de négociation ne sauraient être défaites, car elles sont l’institution des relations ordinaires aggravées par les vertiges du nombre. L’État sera à jamais le chaperon dans toutes ces grandes fêtes privées où la production de l’homme honnête est bradée par le passage d’un billet d’une poche à l’autre.
La reprise des éléments de langage officiels n’est peut-être pas effectuée en conscience par les titulaires de ces organisations, mais elle sert évidemment leurs intérêts. Plus d’État dans les faits pour moins d’État dans le discours, ça les arrange. Ce qui se passe dans le secteur privé, et a fortiori dans la vie privée, de la majorité des gens qu’ils ne défendent pas, ne les concerne pas. Par définition, il est acquis que le secteur privé est toujours en recomposition. Le rythme qu’impulse l’État à l’économie générale doit être pour tous ces gens qui se croient libres le fait d’une main invisible.
Le syndicalisme en est l’annulaire. Sur ce doigt est posée l’alliance du peuple et de la bourgeoisie à travers l’État, structure qui remplaça le Royaume de la même façon dont l’Église Catholique remplaça l’Empire Romain. Il n’y a pas de changement à espérer. Il n’y a même pas de changement à faire. Le travail doit être fait, les billets doivent circuler. Et la pandémie doit exister, pour le bien de tous. Avec ou sans lutte des classes, le concept d’Éternité doit vaincre. Au prix de la famille et du sang, si nécessaire.
Les syndicats pensent toujours qu’ils vont gagner. Et heureusement ils gagneront, au prix de leur intégration explicite dans l’État, de l’abolition entre le professionnel et le privé. Cela laissera enfin le champ libre aux amateurs de la vie de tous les jours pour reprendre ce que l’État leur a volé. Je rêve d’une union sans symbole de ralliement, sans but de ralliement, de l’abstraction absolue d’une chaîne humaine de cœurs et de volontés. D’un État concret, constitué de gens du quotidien, qui ne s’occuperait pas de l’argent et se contenterait de coordonner des solidarités pour la réalisation de projets communs sur un temps court ou long, sur un rythme libre. D’un État médiateur qui ne déciderait pas de l’intérêt général, de ce que les jeunes et les vieux veulent ou ne veulent pas faire de leur vie et de leur mort, qui n’imposerait pas un Bien souverain à coups de smartphones TousAntiCovid et de vol de métaux rares. Mais qui payerait pour ça ?
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