Lettre au brave soldat Watada
Je t’écris cette lettre d’Algérie, terre amazighe, arabe, africaine et méditerranéenne. De ce pays debout malgré les tempêtes impitoyables d’une histoire tourmentée. Je t’écris, soldat Watada, pour te dire que ton geste nous touche et nous donne la preuve irréfutable que les femmes et les hommes de ton pays continuent de porter les valeurs de vos ancêtres les « patriots ».
Nul ne peut oublier le rôle majeur joué par la révolution américaine dans l’affermissement des droits civiques et des libertés individuelles à travers le monde. Nul ne peut occulter les retombées positives d’une telle insurrection sur l’avancée de la démocratie et de la liberté à travers les cinq continents. A 28 ans, tu aurais pu rêver d’une grande carrière militaire qui t’aurait ouvert les marches de la gloire montées par tant d’officiers et qui résonnent encore des pas de tant de héros ! Mais, entre tous les chemins, tu as choisi celui de la probité intellectuelle et du vrai courage, dans une insurrection solitaire et intrépide contre l’injustice et le mensonge !
Tes objections de conscience réveillent celles de toute l’Amérique à un moment crucial de son histoire. Elles interpellent chaque femme, chaque homme de ce grand pays pour que la vérité soit plus forte que la mystification et que la raison l’emporte sur la folie guerrière des nouveaux Néron. Tu es le premier officier d’active à refuser de se rendre en Irak, tout simplement parce que tu penses que cette guerre est injuste et qu’elle n’a pas été déclenchée pour les motifs présentés officiellement par la Maison-Blanche. Tu sais, mieux que quiconque, que les procédés utilisés pour « embarquer » l’opinion publique relèvent de procédés indignes d’une démocratie : manipulation, propagande, mensonge.
En cela, tu rejoins des dizaines de millions d’Américains, mais aussi des peuples entiers qui pensent la même chose que toi. Mais, en tant que soldat, tu risquais plus que les autres. Tu es au centre d’un procès dont la mission est de t’accabler en jouant sur le « patriotisme » qui a, décidément, bon dos lorsqu’il s’agit de justifier l’injustifiable ! Les grands mots vont être convoqués : trahison, refus de servir son pays, et j’en passe sur ce que te réservent les milieux d’extrême droite et les va-t-en-guerre qui ont un F-14 à la place de la cervelle !
Voici ce que tu déclarais dans l’acte d’accusation de ton procès : "En lisant la quantité de mensonges que l’administration Bush a utilisés pour déclencher et mener cette guerre, j’ai été choqué (...). Si le président (Bush) peut trahir ma confiance, il est temps pour moi de réexaminer ce qu’il me demande de faire".
Quelle belle leçon pour tous les faux démocrates de ton pays qui n’ont pas su répondre à l’appel de leur conscience et ont joué le jeu de la nouvelle droite ! Souvent, les pires fascismes naissent de ces petits silences individuels, isolés, de ces peurs banales, de ces insouciantes indifférences qui tissent la grande toile de l’infidélité et de l’indignité. Mieux que d’autres, tu la vois pourtant clairement, cette tâche sombre qui prend forme sur le front de la statue de la Liberté et que des braves comme toi essayent d’effacer au plus vite ! Et c’est justement, dans ces moments troubles où une poignée de fascistes essayent de dénaturer la démocratie et de confisquer la liberté, que le courage des hommes est mis à rude épreuve ! En refusant d’aller te battre pour une cause qui te semble injuste et qui ne correspond en rien à l’idée que tu te fais de l’Amérique, tu remets les pendules à l’heure.
L’Amérique et ses vraies valeurs, c’est toi qui les défends, entouré des braves patriotes qui n’ont pas vendu leur dignité contre une poignée de dollars ; tu les défends contre un système qui dérive chaque jour un peu plus. Ce système peut paraître intouchable, plus puissant que tout. Il vit de mensonges et de manipulations. Il est nourri par les appétits sans limites des patrons des grandes firmes pétrolières, des maîtres de la puissante industrie d’armement, des banquiers et des groupes néoconservateurs et né libéraux ; une nébuleuse de sectes d’intégristes visant à dominer les peuples, à contrôler les richesses du monde et à instaurer le plus injuste des ordres ! Oui, ce système donne une image de force telle que les bonnes paroles d’un objecteur de conscience ou les cris des militants des droits de l’homme et des opposants à la guerre peuvent paraître insignifiants, incapables de lui causer le moindre tort. Il dispose de tous les moyens et contrôle tout l’appareil d’information-propagande, ce qui laisse vraiment peu de chances aux voix comme la tienne d’être entendues.
Pourtant, de Fort Lewis où se tient ton procès, les paroles de vérité que tu prononces touchent le cœur de tous les hommes libres ! Le système est dans l’impasse. Il se réfugie dans les méandres d’une justice injuste pour te priver du droit de dire tes vérités. Il te donne l’ordre de t’écraser, toi, le soldat qui n’a d’autre rôle que de « respecter la chaîne de commandement ». Il te dit : « tu ne peux pas choisir ta guerre », comme si partir au front européen pour libérer les peuples des affres du nazisme et se mettre au garde-à-vous devant Halliburton pouvaient représenter la même mission ! Quand tu réponds que refuser un ordre illégal est en conformité avec la Constitution des Etats-Unis, tu fais plus que l’ébranler, ce système, tu touches le cœur de la cible. Mais les censeurs font vite réagir : ce n’est pas à toi qu’il appartient de trancher sur la légalité ou l’illégalité de la guerre en Irak. La guerre, c’est la guerre et ton rôle c’est de tuer. Un point, c’est tout ! Brave soldat Watada, le monde est en admiration devant ton geste courageux, un geste qui nous réconcilie avec l’Amérique que nous aimons et qui triomphera tôt ou tard des faiseurs de guerre et de leurs comités de propagande. Tu es un vrai patriote et tu donnes au monde la meilleure image de ton pays, une invite à la vie et à l’amour. Les gosses de Bagdad, mais aussi ceux de Seattle, Washington ou Los Angeles n’oublieront jamais ton héroïsme. Tes médailles, tu les as déjà gagnées en faisant la guerre à la sale guerre de Bush !
P.S : L’Amérique que nous aimons regorge de patriotes. Un certain nombre d’entre eux vient de se signaler par une pétition contre Bush. Ils sont trop nombreux pour être cités ici, mais donnons quelques noms : Jane Fonda, Howard Zinn, Cindy Sheehan, Eve Ensler, Sean Penn, Mumia Abu-Jamal,etc. Voici quelques extraits de leur texte : "Votre gouvernement se rapproche chaque jour un peu plus d’une théocratie, au sein de laquelle règnera un fondamentalisme chrétien haineux et borné. Il bâillonne la science lorsque celle-ci ne se conforme pas à son ordre du jour religieux, économique et politique (...) Il promeut une culture faite d’avidité, de sectarisme, d’intolérance et d’ignorance." Les gens voient tout cela et pensent à Hitler - et ils ont raison d’y penser. Le régime de Bush a entrepris de refondre radicalement la société, à une vitesse étourdissante, d’une manière fasciste - pour les générations à venir. "C’est maintenant qu’il nous faut agir : le futur est dans la balance !" Aucune espèce de salut ne va provenir du Parti démocrate.
Toute cette idée, remettre nos espoirs et nos énergies entre les mains de « leaders » qui nous disent qu’il faut chercher un terrain d’entente avec des fascistes et des fanatiques religieux, s’avère chaque jour un désastre, et ne parvient en fait qu’à démobiliser les gens.
Mais le silence et la paralysie ne sont pas acceptables. Ce contre quoi vous ne résisterez pas ni ne vous mobiliserez pour y mettre fin, vous apprendrez - ou serez contraints - à l’accepter. Il n’y a pas d’autre issue : il faut arrêter dans sa course le régime de Bush. Et nous devons en prendre la responsabilité.
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