Lettre ouverte à Alain Finkielkraut
M. Finkielkraut, vous vous plaignez sans cesse de la déliquescence de la culture française, de la régression de la pensée et de la mise sous le boisseau des intellectuels. Vous évoquez le déclin et la décadence ! J’aimerais vous donner raison, mais vous êtes trop sinistre et sans humour pour que votre propos, même s’il est souvent pertinent, ne dégage de l’enthousiasme et une approbation constructive chez ceux que vous visez par vos diatribes !
Oui, M. Finkielkraut, la télévision, les hebdomadaires et notre président ne nous encouragent pas à l’amour des belles lettres, à la défense d’une langue qui est de moins en moins celle de Molière tant elle se rapproche de celle de Stevie et de Djamel et de celle des programmes de télé les plus accrocheurs. Oui, les politiques ne brillent pas par la qualité de leurs discours, qu’ils n’écrivent d’ailleurs même pas eux-mêmes. Mais que proposez-vous ? Votre propos est terne et ennuyeux. Que n’utilisez-vous l’humour et l’ironie pour combattre ceux que vous dénoncez. La langue française est de plus en plus limitée à un nombre de mots usuels au domaine de définition souvent très flou. Vous vous en attristez, mais le ton est sans joie, sans enthousiasme ! Il ne suffit pas de dire que sympa, extra, méga, géant et super ne définissent que faiblement un sentiment et un émoi et d’en dénoncer le caractère réducteur. Ce n’est pas le retour à la lecture de la grammaire Grevisse en cours magistral qui redonnera le goût du mot approprié et de la phrase grammaticalement juste à des adolescents gavés de télévision, de SMS et d’expression de cité. Il n’y a hélas pas que dans les banlieues défavorisées que les jeunes ignorent des mots et des concepts qui vous (me) paraissent simples.
Faites-en l’expérience à Neuilly en prononçant devant un groupe de lycéens Epicure, éburnéen et dithyrambique et ils se tiendront douloureusement la fesse pour le premier, penseront couleur de burnes et non d’ivoire pour le second et ricaneront en pensant zoophilie et chèvre pour le dernier terme. Il faut, Monsieur, s’intéresser aux jeunes et aux gens en général, sans tout leur tolérer, mais en les écoutant, en faisant un effort pédagogique plus moderne et moins bougon que vos pamphlets.
On peut tout aborder avec les jeunes, mais en y mettant la forme. Je suis loin d’approuver le tout ludique prôné par une certaine Education nationale. L’effort et la réflexion sont indispensables à l’apprentissage. Pour enseigner, il faut certes une incontestable discipline, mais aussi et avant tout susciter l’intérêt et la curiosité d’apprendre. Or, votre attitude et votre comportement me font penser à l’amère existence d’Emmanuel Kant, brillant philosophe atrabilaire, mortel comme la pluie, faisant toujours à la même heure, une quotidienne balade monotone sans imagination et fantaisie dans les rues de Königsberg. Kant se levait tous les jours à 5 heures le matin, c’est dire qu’il se levait tôt et, pourtant, il ne pourrait plaire à Sarkozy, car il n’est pas assez médiatique et qu’il ne peut être récupéré ni pour une publicité ni pour une lecture édifiante à l’école primaire !
Ce que je retiens de Kant est moins la critique de la raison pure, que l’existence « anhormonale » d’un individu sans affects qui ne devait pas se marrer tous les jours et dont j’aurais probablement évité la fréquentation tant il m’aurait paru aboulique si je l’avais croisé dans ma jeunesse. A tort, je le conçois car il aurait pu m’apprendre quelque chose, mais quel adolescent non castré peut considérer Kant comme un exemple à suivre et s’en enthousiasmer !
Au moins, Diogène avait un cynisme de SDF heureux s’adressant à Alexandre sans complexe, pouvant entraîner la sympathie ou l’écoute et Nietzsche une folie exaltée capable de galvaniser les jeunes. Au lieu de parler de décadence ou de déclin, il serait plus judicieux d’essayer de trouver une solution permettant le redressement de la situation. Ce n’est pas en se plaignant que l’on fait avancer les choses, c’est en luttant, en créant que l’on peut sortir de l’impasse. Vous critiquez aussi l’esprit de Mai-68, mais le slogan « L’imagination au pouvoir ! » portait une utopie créatrice et intellectuelle qui aurait pu aboutir à plus de créativité.
La grammaire et la maîtrise de la langue, que vous défendez tant, ont été portées au plus haut par Serge Gainsbourg dans ses textes. Qui a lu Evgueni Sokolov ne peut être qu’époustouflé par la verve de l’auteur, sa maîtrise de la langue, même si le thème central de l’opus en est le pet et les hémorroïdes décliné sous tous ses aspects, y compris celui de l’art tout au long de ce court roman. Suivant l’exemple de ce maître, on peut ainsi expliquer ce qu’est un oxymore à un adolescent en reprenant ses propres mots. Avant de lui parler de lâcheté héroïque, expression que l’on pourrait aisément utiliser en parlant de pseudo-gaullistes et de socialistes ou bien de morosité hilarante à l’évocation d’un discours de François Hollande, ne serait-il pas judicieux de lui faire d’abord remarquer :
- Quand tu dis à une fille « tu es belle à chier ! » tu fais un oxymore. Il en est de même quand tu déclares au restaurant « C’est bon à en gerber ! » (cette expression pourrait d’ailleurs servir de porte d’entrée à la culture romaine, en évoquant les banquets et les huîtres !) L’ado comprendra immédiatement, et là il est possible d’introduire M. Jourdain et la prose en faisant remarquer à ce jeune, qu’il sort tous les jours des oxymores sans le savoir tout comme le personnage de Molière.
J’avais utilisé cet exemple avec le fils d’une amie, pourtant bourgeoise et cultivée et quand j’ai dit « ton fils fait des oxymores sans le savoir », elle m’a répliqué d’un air inquiet :
- Tu penses qu’il a des vers ?
J’ai répondu, non tu confonds avec les oxyures ! Comme quoi les adultes ne sont pas toujours à la hauteur de nos espérances quand on s’adresse à eux.
Mais M. Finkielkraut, vous n’êtes pas toujours en rupture. Il vous arrive de suivre le troupeau et de vous indigner dans le sens du vent. Vous avez participé avec votre ami médiatique à la chemise plus ouverte que la vôtre à l’hystérie anti-serbe et votre parti pris pro-croate et pro-bosniaque n’avait rien d’original dans une France qui écoutait sans réagir vos pamphlets et ceux de vos amis. Vous avez oublié de signaler (étourderie, omission involontaire) les yeux serbes arrachés à la cuillère à café par les partisans croates de Franjo Tudjman en Krajina, comme au bon vieux temps des oustachis d’Ante Pavelic, suppôts d’un régime pro-nazi que vous dénoncez en permanence dans vos écrits sur l’antisémitisme. Votre ami à la chemise blanche est allé aux obsèques d’Izetbegovic qui a fait venir des combattants iraniens en Bosnie ! Alors, allez-vous applaudir à l’indépendance du Kosovo ? Je le crains, vous qui avez osé critiquer Underground de Kusturica sans même avoir vu le film au nom de votre frénésie anti-serbe.
Sur tous les thèmes que vous abordez, émeutes en banlieue, antisémitisme, réforme de la scolarité, vous créez des polémiques qui n’ont que l’intérêt de vous faire connaître et reconnaître sur différents médias. Je me pose donc la question : êtes-vous encore philosophe ?
Alors, changez votre mode d’expression, évitez vos ratiocinations itératives ou, alors, ayez la « bravitude » de vous taire !
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