Lettre ouverte à M. Sarkozy à propos de la douane
Lettre ouverte adressée à M. Nicolas Sarkozy le 21 février dernier par le Syndicat national des agents des douanes CGT. M. Sarkozy n’a pas jugé nécessaire de répondre à ce courrier et a réitéré ses propos à la télévision jeudi 26 avril. Une réponse en ligne de son entourage est peut-être envisageable avant le 6 mai prochain ?
Dans le cadre de la campagne pour l’élection présidentielle, vous avez fait la déclaration suivante le 21 février à l’antenne de RTL : "Savez-vous que la douane, 20.000 fonctionnaires, se trouve au même niveau que 1980 ? Entre-temps, on a supprimé les frontières dans l’Union européenne. Y a-t-il quelque chose à faire ? La réponse est oui". Vous tenez par ailleurs les mêmes propos lors d’une interview au journal Le Parisien - Aujourd’hui en France du même jour et il semble que certains de vos soutiens dans cette campagne citent régulièrement le même exemple.
D’après le contexte dans lequel sont rapportés vos propos, il semble que vous évoquiez là une piste de suppression importante d’emplois publics. C’est d’ailleurs ce que suggère l’Institut de l’Entreprise sur son site debat2007.fr et auquel cet « exemple » semble emprunté.
Le Syndicat national des agents des douanes CGT souhaite vous apporter les précisions suivantes par cette lettre ouverte. Certaines ne serviront certainement qu’à rafraîchir la mémoire du Ministre de tutelle de la Douane que vous avez été par deux fois : de mars 1993 à mai 1995 au Budget et de mars à novembre 2004 à l’Economie, aux Finances et à l’Industrie.
Sur les effectifs :
- La loi de finances pour 2007 autorise 19 052 emplois (équivalent temps plein travaillé) pour la Direction générale des douanes et droits indirects.
- Chaque année, de nombreux emplois sont supprimés dans notre administration (188 en 2005, 198 en 2006, 220 en 2007 et encore 220 prévus en 2008...) .
Sur la structure de l’administration :
- La douane en 2007 n’a pas la même structure que la douane en 1980 : « L’évolution des effectifs a été influencée par les redistributions de compétences dont a fait l’objet la DGDDI ces dernières années. A partir de 1992, la charge des contributions indirectes a été transférée de la direction générale des impôts vers la douane. Ce transfert a été accompagné entre 1992 et 1995 par celui des emplois budgétaires correspondants, soit en tout 2 407 emplois. En faisant abstraction de ce changement de périmètre, le nombre de postes budgétaires de la douane a diminué de 2 283 de 1992 à 1999, soit une diminution relativement sensible de 11,55 %. » (Cour des comptes, LA FONCTION PUBLIQUE DE L’ÉTAT, DEUXIÈME RAPPORT PUBLIC PARTICULIER, avril 2001). La Cour des comptes souligne par ailleurs dans ce même rapport « la faculté d’adaptation dont les personnels des services déconcentrés de la direction générale des douanes et droits indirects ont fait preuve à l’occasion des réorganisations récentes : de nombreuses missions, nouvelles et diverses, se sont ajoutées à leurs missions plus anciennes ». Elle se garde également des jugements hâtifs en signalant que « la question de l’adaptation des effectifs à la nouvelle mission est d’autant plus difficile à résoudre que les pouvoirs publics ont profité des marges en termes d’effectifs dont la douane a pu bénéficier à partir du 1er janvier 1993 pour lui confier de nouvelles missions ou tout simplement accroître les anciennes ». La Cour des comptes n’est pourtant pas connue pour son laxisme en matière de finances publiques ou sa complaisance envers les administrations qu’elle contrôle !
- Outre le transfert des contributions indirectes, la douane a développé son action dans divers secteurs : création du service antiblanchiment TRACFIN (70 agents), affectation de personnels dans les GIR, création d’un service de douanes judiciaires (200 agents), tenue de nombreux « points de passage autorisés » pour l’application des accords de Schengen (mission mobilisant beaucoup d’agents sans occasionner de résultats mesurables), sécurité et sûreté du tunnel sous la Manche...
Sur les missions confiées à la douane et leur contexte d’exercice :
Au-delà des tâches nouvelles, le contexte d’exercice de nombreuses missions a évolué. En particulier, malgré le marché unique européen et les élargissements successifs, le commerce mondial ne cesse d’augmenter. Nos compatriotes attendent plus des pouvoirs publics sans forcément savoir que la douane est en charge de ces domaines (et la liste n’est pas exhaustive) :
- sécurité et sûreté publiques : dans ce domaine, l’action de la douane s’étend de la lutte contre la contrebande d’armes à la vérification des normes de sécurité sur les jouets ou les robots ménagers. Les délocalisations massives et la sous-traitance généralisée aboutissent à ce que les normes de sécurité ne soient plus contrôlées dans des usines françaises mais lors de l’importation des marchandises.
- santé publique, sécurité sanitaire et phytosanitaire : la douane contrôle les importations de médicaments (secteur ou la contrefaçon se développe) et doit garantir que les produits végétaux et animaux sont conformes aux réglementations sanitaires. Au moment où il devient évident que la grippe aviaire se diffuse plus par les voies commerciales que par les migrations naturelles et où les doutes sur la toxicité des OGM se renforcent, faut-il baisser la garde ? D’ailleurs, lorsque des crises sanitaires éclatent dans des pays voisins (« vache folle », tremblante du mouton, peste porcine, fièvre aphteuse...), c’est toujours aux douaniers que le gouvernement fait appel. Point crucial également, alors que la diffusion des drogues de synthèse se développe et que celle de la cocaïne et de l’héroïne explose à tel point que les prix chutent : les douaniers réalisent 80% des saisies de stupéfiants en France, dont une bonne partie à proximité des anciennes frontières intracommunautaires.
- protection de l’environnement : la douane est chargée, entre autres, de la protection des espèces menacées (convention de Washington) et de la lutte contre la contrebande de déchets (convention de Bâle, applicable également entre les États membres de l’Union européenne). Les quinze victimes ivoiriennes des boues toxiques du Probo Koala et les milliers d’intoxiqués prouvent que l’enjeu peut-être dramatique. Mais la douane intervient également dans le domaine d’avenir de la fiscalité écologique car elle perçoit et contrôle la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) mais aussi la TSVR (« vignette » sur les poids-lourds) et la TIPP (produits pétroliers) qui peuvent aisément être modulées dans une perspective de développement durable. De telles mesures ont d’ailleurs été annoncées concernant l’utilisation de l’éthanol comme carburant automobile (E85).
- fiscalité locale (dans le contexte de la décentralisation) : la douane calcule la part régionale de la TIPP qui permet aux conseils régionaux le financement des nombreuses compétences qui leurs sont dévolues.
- protection et promotion de l’économie nationale : un projet de loi de lutte contre les contrefaçons était soumis au conseil des ministres du 7 février 2007. Selon le compte-rendu du rapport de présentation qui figure sur le site internet du Premier ministre, « la contrefaçon représente environ 10 % du commerce mondial. Tous les secteurs d’activité sont touchés par ce fléau qui provoque la disparition d’environ 30 000 emplois par an en France, alimente les filières du travail clandestin et engendre des pertes de recettes pour l’État. Enfin, elle représente une menace pour la santé et la sécurité des consommateurs. » Actuellement, les 19 052 douaniers ne contrôlent physiquement que moins d’une marchandise sur cent entrant en France. Comment pourraient-ils juguler ce trafic si on réduit leur nombre ? La perte de dizaines de milliers d’emplois industriels doit-elle être le prix à payer pour pouvoir afficher la suppression de quelques milliers d’emplois de fonctionnaires ? De même, les buralistes n’auraient-ils pas des raisons de s’inquiéter pour leur avenir si on affaiblit la douane qui est l’outil le plus efficace de lutte contre la contrebande de cigarettes ? Ajoutons enfin que la douane joue un rôle important auprès des importateurs et exportateurs français par une politique de facilitation des formalités, de conseils et de proximité.
En raison de tous ces enjeux, actuels et d’avenir, nous vous invitons à reconsidérer vos propositions concernant les effectifs de l’administration des douanes qui, selon nous, devraient être significativement augmentés pour faire face aux attentes de nos concitoyens. La douane est une administration socialement utile et pleine d’avenir, nous espérons vous en avoir convaincus autant que nous le sommes.
Nous restons à votre entière disposition si vous désirez des informations complémentaires et vous assurons de notre respect le plus républicain.
Pour le Syndicat national des agents des douanes CGT,
le secrétaire national
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