Livre blanc sur la défense : plaidoyer pour une stratégie plus offensive
La bataille du XXIe siècle se jouera d’abord sur le terrain de la connaissance et de l’information, des hommes comme des sociétés. Telle est une des phrases importantes que j’ai relevée dans le Livre blanc sur la défense (page 66).

L’ennemi immédiat le plus dangereux, quel est-il ? C’est le djihadisme – dévoiement de l’islam par l’action terroriste (page 27) - et ceux qui s’en réclament (page 49). Face à cette importante menace, il ne suffit pas de dresser une ligne de défense. Il faut attaquer avant que nous soyons victimes. Il faut contrer l’adversaire dans ce qui fait sa force, à la source de sa motivation. Sans atermoiements ni états d’âme qui font son jeu, il faut le vaincre dans son idéologie, c’est-à-dire dans son interprétation agressive des textes qu’il considère comme sacrés.
Historiquement, notre domaine d’excellence n’est pas seulement scientifique, technologique et industriel (page 66). Il est aussi et surtout celui de la pensée. Longtemps considéré comme un phare de l’intelligence, notre pays se culpabilise aujourd’hui de repentances alors qu’il faudrait plutôt y voir son étonnante capacité à se remettre sans cesse en question pour éclairer la marche des idées. Il doute aujourd’hui de ses capacités à "penser" mieux que d’autres. Aurait-on déjà oublié le discours de Dominique de Villepin mettant en garde nos alliés contre une intervention militaire discutable et risquée en Irak ?
Cela fait cinquante ans que je réfléchis sur les questions de stratégie. Héros de la guerre 1914-1918, mon père concevait encore la guerre à la chevaleresque, un peu comme au temps des seigneurs du Moyen Âge, ce qui explique l’armistice de 1940. J’ai connu, pour ma part, une guerre plus totale, dite psychologique, une guerre menée plus ou moins solitairement par les militaires, mais où la difficulté était de l’emporter non pas seulement sur le terrain, mais par l’adhésion d’une population. Aujourd’hui, la stratégie à mener est encore plus globale. Elle n’est pas seulement l’affaire des militaires, mais nécessite l’effort de tous, y compris des acteurs non étatiques (page 24). J’aimerais préciser : aussi et surtout l’effort des intellectuels, de ceux qui "pensent". Dans ces conditions, qu’on ne s’étonne pas si j’ai écourté ma carrière militaire et troqué mon épée pour la plume. Le combat est toujours le même, mais il se joue sur la durée, dans la confrontation, non pas seulement des armes, mais aussi et surtout des idées et des croyances.
Condition préalable, il s’agit de redonner à nos concitoyens une foi commune qui repose sur du solide. Les intellectuels ont une énorme responsabilité. Hier, la foi de nos pères prenait racine dans le christianisme. Il en est de même pour une partie de notre population issue de l’immigration, je veux parler de l’islam. Evolution oblige, sans vouloir renoncer à l’histoire ni des uns ni des autres, il importe de dépasser ou, au minimum, de faire évoluer les anciennes croyances en faisant appel à la raison et à l’explication historique ; et cela sans aucunement les dénigrer. Soyons clairs ! Il ne s’agit pas de polémiquer sur l’existence ou la non-existence de Dieu, mais d’enseigner dès l’école le cheminement intellectuel des différentes religions et des cultures pour ne finalement mettre en exergue que les valeurs communes positives de leur héritage.
Cette révolution intellectuelle qui doit d’abord se faire au sein de la société par le débat public sur les textes fondateurs est, à mon sens, indispensable pour la cohésion future de la nation, mais aussi de son armée. C’est ainsi que les errements religieux éventuels perdront toute crédibilité auprès de l’opinion. En même temps, le combat commun au nom de nos valeurs devrait être mis en exergue par les médias pour éradiquer le doute parmi ceux qui sont en première ligne comme chez ceux qui ne se sentent pas impliqués. Ce qui me paraît en outre évident est qu’il est extrêmement dangereux de continuer à tolérer à l’intérieur de notre territoire des terreaux favorables à l’infiltration de l’islamisme radical.
Le phénomène de mondialisation étant ce qu’il est et ne pouvant que s’accentuer, l’influence intellectuelle des grands pays émergents d’Asie, Chine et Inde en particulier, devrait normalement prendre de l’importance. Bien que la pensée de ces pays soit pour moi encore à déchiffrer, je crains que nos idéaux de liberté ne soient pas pour eux des valeurs aussi fondamentales qu’ils le sont pour nos démocraties occidentales. Un bouddhisme évoluant en philosophie est-il un avenir ? J’en doute, mais il y a de fortes chances pour que ces nouvelles formes de pensée, si elles arrivent à s’imposer, le fassent au profit de l’expansionnisme des pays concernés et à nos dépens. Pris en étau entre cette émergence et des masses musulmanes manipulées par des fondamentalistes religieux, il importe que nos philosophes fassent entendre leurs voix. C’est une responsabilité à laquelle nous ne devons pas nous soustraire et c’est une place au sein des nations que nous avons le devoir de ne pas laisser à d’autres, ni aux Etats-Unis ni aux pays de l’Europe de l’Est. Encore faut-il, pour que notre message soit clair, que nous ayons fait auparavant toute la lumière sur notre histoire et sur notre spiritualité. Face à d’autres mondes de culture différente qui désormais nous regardent et nous jugent, nos monuments religieux et civils, nos arts, notre littérature, nos valeurs héritées des religions du Livre sont des atouts. L’entêtement de nos dignitaires religieux, chrétiens et musulmans, à lire et à enseigner les textes sacrés en les prenant au pied de la lettre, et non dans le symbole et la transposition, est un handicap sérieux.
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