Madame Jolie m’a filé le blues
C'est une équation qui tout d'un coup s'éclaire, un peu comme le « bon sang mais c'est bien sûr » que tous les plus de cinquante ans reconnaîtront ; les éléments d'un puzzle qui s'assemblent et qui, sur un coin, figurent quelque chose ; tout le monde doit le savoir, moi seule, ou quelques-uns de mes compères aussi démodés, l'ignorais. Moi qui cherche depuis le début de mon temps, un tout, une synthèse, une union, un lien, quelque chose qui fasse sens dans ce foutu paradoxe de l'humain, dans ses caractéristiques singulières, dans cette spécificité que les penseurs depuis le début des siècles civilisés s'efforcent de comprendre ; lecture après lecture, rencontre après rencontre, s'imaginer qu'on y voit plus clair et puis soudain, comprendre. Ignorais-, non pas vraiment, mais rivée à mes recherches, j'en sous estimais le caractère inéluctable : l'homme est un amas de cellules, de gènes et d'autres petits fatras à portée de main. Des millénaires d'interrogation, de spéculation, des milliers de penseurs, d'études, de recherches et n'avoir pas vu ça : l'homme est un assemblage, et pas un ensemble ou quoique ce soit d'aussi ridicule.
On pense avoir à peu près fini de démonter le playmobil et avoir fait le tour des pièces qui le composent ; le jeu était complexe quand même, pas à mettre en des mains de moins de quinze ans, sauf aux plus doués bien sûr.
Ainsi donc nous sommes génés et il était là le tour du problème. Quand je pense qu'on s'est amusé à peindre des chevaux et des taureaux sur les parois des grottes de Lascaux, qu'on s'est éreinté à ériger des statues hallucinantes sur l'île de Pâques, qu'on a peint tous les moments supposés d'un dieu-homme improbable, qu'on a enluminé des livres ; enfin bref, on a passé plusieurs millénaires à se complaire à côté de la plaque ; mais maintenant on sait. Quand Bourrel annonçait « bon sang mais c'est bien sûr », certes, il y avait un soulagement mais cela n'empêchait pas le crime d'avoir eu lieu. Et nous d'être restés en haleine.
Quand la quête est finie, ça laisse un grand vide, très inconfortable et si même en un instant on ne réalise pas à quel point on a passé une vie à rien foutre, on craint le lendemain ; que vais-je bien pouvoir faire maintenant que je sais ?
Mon caquet rabattu, mes illusions perdues, ma vie n'est plus qu'un mou désastre.
Le blues me consolera-t-il ? Le blues et le rhum.
J'avais cru qu'il fallait chercher en soi-même l'union, en soi et avec le Grand Tout. Envie de majuscules soudain, pour souligner l'inanité d'un tel dessein.
J'avais cru en ma capacité de régénérescence après les drames, en ma créativité, j'avais cru en le chemin de sagesse que le pauvre bouddha ignorant préconisait. J'avais cru en les trouvailles de mes savants fous préférés, j'avais vu dans leurs vues une intelligence susceptible de me guider.
Je cherchais l'unité.
Bref, nous fûmes nombreux à patauger dans les miasmes de la méconnaissance, cherchant loin ce qui était proche, cherchant compliqué là où c'était simple. C'est vraiment lamentable.
Je suis sous le choc, comme l'idiot qui soudain voir la lune.
C'est curieux comme la lumière ne vient jamais de là où on pense. On l'attend, on la quête, on l'espère, on y croit, parfois une luciole nous abuse. Nous sommes, c'est vrai, bien peu de chose.
La lumière en ce jour glacé de printemps m'est venue d'où je ne l'attendais pas. Il faut dire que Mme Boutin ne fait pas partie de mes connaissances ; je ne peux pas aller jusqu'à dire que je n'ai jamais entendu parler d'elle, si je me souviens bien, elle a renoncé à la course à L' Élysée pour complaire à son maître. Mme Boutin et la star, dont le nom me dit vaguement quelque chose, mais quoi, je ne saurais l'affirmer !
C'est fou comme les tweets sont indispensables à la bonne compréhension du monde. Le bouddha n'avait pas ça, c'est peut-être une explication à sa longue errance.
M'est donc apparu, ce que tout le monde sait – et quand tout le monde sait, l'ignorant ne peut apprendre car ce su est un sous-entendu, jamais plus mentionné- que l'homme était gènes, on ne dit rien du plaisir, mais sans doute lui aussi est-il programmé dans nos gènes, et que l'on manipule ça aujourd'hui avec autant d'adresse que moi mon râteau et ma pelle.
L'homme est une machine sophistiquée – pauvre Descartes qui croyait que seuls les animaux étaient ainsi faits- il suffit de bien savoir la faire marcher.
La vie est donc devenue très simple : on étudie votre génome, on y décèle qui une suspicion de programme de poliomyélite, qui celui d'un cancer de l'utérus, en l'occurrence, du sein, un risque de Parkinson, que sais-je encore : on ampute, le tour est joué. Bon, n'étant pas scientifique, je ne saurais vous développer la description de l'amputation nécessaire pour éviter Parkinson, mais pour l'utérus, si. Ensuite, c'est reparti comme à Valmy !
Ce qui est bien là, rassurant et confortable au fond, c'est qu'on n'y peut rien : c'est fatal. Et l'homme, dans sa grande mansuétude, fait face et empêche la fatalité. C'est pas compliqué à comprendre et le seul dilemme qui subsistera c'est savoir si l'on plaindra plus celle qui se fait ôter les seins ou celle qui se fait ôter l'utérus ; celui qui mourra sans qu'on n'ait rien décelé, se retournera dans sa tombe ou dans son urne, de dépit. On n'a pas encore trouvé le biais pour interdire l'injustice de la fatalité.
On n'aura plus besoin de chercher à comprendre le lien ténu et intime entre une mère et sa fille lors du maternage non plus que l'effet délétère ou non de quelle substance que ce soit.
En tout cas, quand il nous manquera tous quelque chose, nous pourrons nous sentir quittes.
Cela n'empêchera pas les réunions tuperware ni les courses à l'échalote ! Et nous savons déjà faire la procréation in vitro et celle pour autrui ; pas grand chose de changé au fond.
Mais ce soir, je ne suis pas sûre que les blues suffisent ni le rhum car je comprends que j'ai été couillonnée toute ma vie : non seulement j'ai cherché le chemin dans l'âme, aussi par la santé psychique, le corps, le sexe, alors que là il n'y avait que néant, mais née un peu plus tard, je n'aurais pas procréé avec un escogriffe atteint de la maladie de Marfan ! Si c'est pas du gène, ça, qu'est-ce que c'est ?
Mais je suis contente pour vous les jeunes, bientôt on fera le génome du nouveau né aussi facilement qu'on regarde son rhésus dans le sang du cordon et l'on pourra faire l'ablation de tout ce qui craint, émasculer en interne, en cas de risque de cancer des testicules, comme déjà on castre les chevaux à quelques semaines, c'est rien, moins que rien comme opération, on remplacera un pancréas, un foie, par des générateurs d'insuline ou de bile, ni vu ni connu et comme de toutes façons la procréation se fera en éprouvette, des injections de testostérone remplaceront agréablement le rôle de toutes ces glandes inaptes. D'ailleurs, pour quoi faire, si on n'a pas envie, on ne sera pas frustré de ne pas baiser ! On injectera tous les produits nécessaires pour faire un corps parfait et on n'aura plus à craindre les gênes de Monsanto ! Au moindre soupçon de chauvinisme, pardon, de chauvité, con, de chauvitude ( là aussi il faudra opérer des transformations, comment voulez vous qu'on s'y retrouve, qu'on pense à « calvitie », exit tout ça :) on enverra le poupon chez Cahuzac pour des implants précoces car il sera vrai qu'il vaut mieux prévenir que guérir ; plus vrai que jamais !
Mais trêve de découvertes feintes, j'ai vraiment compris quelque chose ce soir ; ce n'est pas une blague cette histoire de nanotechnologies, de petits robots qui nous feront sauter haut et courir vite, l'homme n'étant qu'un agglomérat de cellules que l'on commence à assez bien connaître pour les bidouiller, nous éradiquerons tout ce qui nous entrave, nous amoindrit, nous peine et nous pourrons faire des barbecues sans craindre le cholestérol, boire du bourbon sans craindre les gammas-G-T-, avaler du pop corn sans redouter les OGM, se goinfrer de frites sans devenir obèses. Le paradis d'un dieu incertain, est désormais à portée de main.
Nos poumons en plastiques avec robot respiratoire ne craindront pas les fumées de toutes sortes et nos artères en téflon, programmées pour s'étirer avec la croissance, ne risqueront plus la rupture d'anévrisme. Au fond, quelle tranquillité de ne rien risquer.
Il y aura des effets pervers et il faudra bien organiser les finances, car les compagnies d'assurances qui ne sont pas rien dans le binz actuel n'auront plus lieu d'être.
Il n'y aura plus de luttes des classes car il n'y aura que les laborantins et les laborantinés ; quoique, les premiers seront bien obligés d'avoir été les seconds. Mais ils se débrouilleront ; voilà que je commence à m'intéresser, à savoir si je pourrais leur donner des idées ! Quelqu'un comme moi serait décérébré dès la naissance ; c'est plus prudent. Parce que je ne sais pas si on a trouvé le gène des casse-bonbons, mais il serait temps de s'y mettre !
En tout cas, ce qui est formidable aujourd'hui, c'est qu'on réduit l'homme à la connaissance qu'il a de lui-même ; la connaissance, paradoxalement, s'est amenuisée au fil du temps ; non pas qu'elle ait disparu avec l'Atlantide, mais son secret ne semble pas vouloir être divulgué ; la science n'apporte pas la vulgarisation du savoir, pas plus que la connaissance était à la portée du premier venu, bien au contraire, pour une personne qui tripote les cellules dans des tubes à essais, combien subissent ? Combien font confiance comme ils mettaient naguère leur foi en Dieu ? La Science, la Religion : la culpabilisation est la même, la propagande est la même, la menace est la même ! Où est le progrès ?
Au curé je répondrais que je me débrouille avec ma spiritualité. Aux envois récurrents de dépistages de cancers nombreux et variés, je réponds que je ne suis pas une vache, et que je sais dire « non ».
Par ailleurs et sournoisement nous est délivré un message très important par la star : le cancer est génétique. Personne n'y est pour rien, n'en voulez pas à vos parents, ils n'y peuvent rien non plus ! Il semble que la médecine avance : on a repéré le gène du cancer du sein, le virus du cancer de l'utérus, et pour les poumons, c'est le tabac. C'est déjà un pas de fait. Pour le pancréas, la leucémie, le cancer des os, des tissus adipeux, de la moelle épinière, on cherche. Mais l'homme étant ce qu'il est, c'est-à-dire génial, très bientôt cette maladie sera anodine : on ôtera dès la détection des gènes l'organe incriminé, et basta.
Il est vrai que du temps des effroyables épidémies de peste, tout le monde ne mourait pas ; à voir si à Tchernobyl ou à Fukushima, de tous ceux qui ont été irradiés certains seront indemnes ? J'en doute fort ! Des paysans qui manipulent des pesticides à outrance, combien seront frais comme des gardons à cent ans ? De tous ceux qui sont victimes de la malbouffe, combien seront des octogénaires dansant ?
Quant aux personnes qui sont moins directement infestées, il est certain que parmi elles, certaines sont plus sensibles que d'autres, plus vulnérables !
Pour la santé du PIB mondial et des grosses industries de la chimie et de l'agroalimentaire, il est évident, et compréhensible pour tous, que l'intérêt est d'enrichir l'industrie pharmaceutique avec la pseudo bonne volonté de soigner les quidams atteints, malades de leurs poisons ! Ce n'est pas la peine de s'y attarder ni même d'y regarder de plus près pour être convaincu que cette affaire est juteuse.
Bien sûr je me doute que l'on n'a pas posé le contrat en ces termes : « Madame Jolie, seriez-vous d'accord pour faire croire au monde entier que vous allez faire pratiquer l'ablation de vos seins de manière à ce que les écolos nous lâchent la grappe et que l'industrie pharmaceutique ne nous jalouse pas ? Soyez certaine que vous serez dédommagée de tous les rôles que vous ne pourrez plus tenir à cause de cette annonce. Nous avions pensé à Sigourney Weaver ou à Merryl Streep mais, non seulement vous êtes plus près du peuple, plus près de tous les peuples et chacun connaît votre vie privée mais ni Merryl Streep ni Sigourney Weaver n'ont fait leur renommée sur leur tour de poitrine ; du reste, on redoute qu'elles soient trop intelligentes pour ne pas flairer l'arnaque ; quant à Jane Fonda, elle est trop vieille ! ». Non, bien sûr que non .
Non seulement l'industrie pharmaceutique, l'industrie chimique et l'agroalimentaire sont comme des sœurs, mais on ne risquait pas de s'aliéner la complicité d'un oiseau sans cervelle ; il est donc probable qu'elle soit passée par les labos ; il est possible que ce gène existe – pour le sein hein, pas pour la prostate ou les os, car il ne s'agit pas de la même chose-, qu'en vertu de son hérédité mondialement connue, elle ait pratiqué ces relevés, et, convaincue par des bonnes âmes- ce qui n'a pas été difficile vue la conviction de toutes les vraies femmes, à la suite de son annonce- elle soit sûre d'agir comme elle l'a toujours fait, avec son cœur de femme pure.
Allons-nous donc faire allégeance aux quelques laboratoires jugés experts par les autorités pour aller en masse – ce qui ne tardera pas à arriver- faire faire le génome de tous les inquiets ? C'est sans doute une manière de relance notez bien, tout cet argent qui ne restera plus coincé sous le matelas !
En tout cas, au premier coup de trompette sonné, l'intox marche à fond !
Ainsi, nous ne pouvons que constater l'intelligence du pouvoir industriel et la bêtise du peuple, la complaisance des autorités et la complicité du gratin ! Et n'oublions pas que Monsanto a été épousé par le pouvoir américain, mariage contracté après le vote de la loi autorisant le mariage pour tous ! Ces gens-là ont d 'énormes responsabilités et des milliers de gens qui dépendent d'eux. On ne lésine pas avec la vie des gens, si ?
Bienvenue au royaume de la modernité !
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