Mélange des genres : Internet espace citoyen ?
Sur internet, c’est comme dans le cochon, tout est bon !
Que cela concerne les théories du 11 septembre, le réchauffement climatique, l’affaire Zemmour ou les rumeurs sur le couple présidentiel, les faits sont vite balayés par la foire aux affirmations péremptoires des pro ou anti. Peu importe le fond, il faut que ça buzze !
1. De Oussama à Carla, en passant par Claude
Quels sont les ingrédients d’un bon buzz ? Il faut dans un 1er temps que cela tape dans un sujet dont « il faut » parler, qui passionne. Ainsi, il existe un imaginaire collectif où se mêlent joyeusement Oussama (le méchant djiahdiste formé par la CIA), Carla (ou devrais-je dire Carlita ?), Eric Z. (polémiste me dit-on, c’est un métier ?) ou Claude (le mammouth). On ne sait pas toujours où et comment mais il ne faut pas être en retard d’une info, sinon de quoi aura-t-on l’air à la machine à café ? Ce matin, je regardais les articles les plus lus sur libération.fr, et entre Carlita, Claude et Eric, seul l’histoire d’un lézard de 2 mètres de long à double pénis découvert aux Philippines réussissait à tirer son épingle du jeu. Le journalisme est un dur métier.
2. De la « vérité » comme argument
Que faut-il ensuite ? Mais un soupçon de complot bien sûr !!
Les complots déjà démasqués n’intéressant personne bien sûr (l’exploitation de l’Afrique, les lobbies des laboratoires pharmaceutiques, etc.), ce qu’il faut c’est que l’on ait l’impression qu’on nous cache quelque chose. Dans un monde de plus en plus dévoré par les ambitions personnelles, et où la solidarité ne devient plus qu’un slogan, la seule façon d’exister est de croire bien entendu en un autre monde inaccessible, car mis hors de portée par les méchants (remplacer par la formule qui convient : riches / gauchistes / musulmans / sionistes / etc.).
Cela a le double avantage de désigner un ennemi et en plus de se dédouaner habilement de la responsabilité quant à la situation dans laquelle nous vivons tous ensemble.
Attention, ne vous méprenez pas, je ne dis pas que de tels complots n’existent pas (sinon, je ferais dans l’anti-complotisme primaire, qui en soit est une forme de complotisme), par contre il me semble assez difficile d’en parler sereinement, puisque le principe du complot c’est qu’il est (réponse à envoyer sur 3615 COMPLOT) :
a) En 1ère page d’agoravox
b) Secret
c) Dénoncé par Bernard Henry Lévy dans son dernier ouvrage
d) Démenti par le porte parole de l’UMP
Alors, me direz-vous, ne peut-on plus parler de rien ?
Que nenni ! On peut parler de tout, mais peut-on suggérer de revenir aux faits ?
Même si d’un point de vue philosophique, on peut débattre de l’existence ou non d’une réalité objective (si personne ne voit cet arbre tomber, est-il vraiment tombé ?), pour la bonne tenue des débats, il serait bon de s’entendre sur un socle minimal, acceptable par tous.
Qu’est-ce qu’un fait ?
Je vous vois venir (à 10 km même). Si on entend par fait un truc publié par l’AFP, vous allez me reprocher de cautionner le complot médiatique !?
Ok, ok. Je vous propose donc d’appeler fait une chose avérée, c’est-à-dire pour lequel il y a consensus aussi bien chez les pro que chez les anti.
Exemple : Le 11 septembre, Salvadore Allende est mort (c’était en 1973).
Ok, celui-là était simple. Prenons d’autres exemples plus emblématiques.
Il y a par exemple une bataille de faits autour des évènements du 11 septembre (2001 par contre).
Essayons de déterminer ce qui relève de la bataille d’experts, et ce qui est simplement factuel. On voit assez vite que c’est assez difficile, du fait notamment de la cohue qui régnait alors juste après les évènements. Finalement, peu nombreux sont les journalistes ayant pu être sur place et ayant pu témoigner (tout le monde ne s’appelle pas Nicolas S. prédisant la chute du mur). De plus, ces évènements ont eu une telle répercussion, notamment au niveau géopolitique que des intérêts forts ont participé à « l’avènement » de telle ou telle version.
Cependant, on pourra reconnaître que certains faits établis et reproduits dans le mainstream peuvent laisser perplexe, à la fois dans notre rapport au monde et à ses évènements, mais aussi par rapport à la propre capacité des médias mainstream à l’auto-critique. Ainsi, et c’est mon exemple, il existe aujourd’hui un certain nombre d’études indépendantes et parfaitement détaillées montrant que des mouvements spéculatifs financiers ont eu lieu juste avant le 11 septembre. Le soupçon de délit d’initié est « avéré » (au sens de la définition ci-dessus), en ce sens qu’il est reproduit dans des articles de journaux peu enclins à la théorie du complot, tels que les Echos, et qu’il apparaît même dans l’article wikipedia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ories_du_complot_%C3%A0_propos_des_attentats_du_11_septembre_2001#D.C3.A9lits_d.27initi.C3.A9s)
Mince, cela voudrait dire que ce sont les médias eux-mêmes qui voudraient nous faire croire à une belle histoire toute simple de méchants.
On comprend mieux la perplexité d’un certain nombre de « sceptiques ».
Ok, les sceptiques : 1 point, les autres : 0.
Cependant, ce qui est fascinant c’est que même si les médias classiques n’arrivent pas à voir en face leur propre incohérence, on notera que ce genre d’incohérence n’intéresse pas la majorité des sceptiques, puisqu’on vous dit que la tour ne pouvait pas tomber toute seule et que l’avion supposément écrasé sur le pentagone ne pouvait pas passer dans ce trou-là !
Un autre point pour les sceptiques, même si celui-là est facile : comment faire confiance à des journalistes qui étaient incapables de se mettre d’accord pour savoir si le XXIème siècle commençait en 2000 ou en 2001 ? Rien que le bordel médiatique qui a régné pendant quelques mois autour de cette question donne une idée du naufrage de la presse et du journalisme en général, et explique en partie le désamour d’une grande partie de la population vis-à-vis de ce qui est dit dans les journaux, dès qu’un minimum d’expertise (mais alors vraiment un minimum) est nécessaire.
D’ailleurs la science en général passe mal le filtre de la vulgarisation.
Mais autoriser le doute sur ce qu’on peut appeler « les versions officielles » ne permet pas d’accréditer n’importe quelle thèse dès lors qu’elle contredit cette version.
Cette question qui me taraude depuis quelques temps est bien celle-là, comment le manque de confiance qu’on peut accorder aux médias classiques a pour conséquence d’accréditer toutes les autres thèses. Avons-nous tant perdu nos repères que nous en arrivions à croire qu’on n’a pas marché sur la lune, ou alors que Mickaël Jackson est toujours vivant ?
Les médias classiques ne font pas bien leur boulot parfois, mais cela reste de bons remparts contre le délire de masse, car les journalistes, avec toutes leurs tares, font un minimum de recoupement, ce qui est rarement le fait des défenseurs de certaines thèses fantaisistes.
3. De la conscience à la science-con.
Revenons-en à la science, brièvement abordée ci-dessus.
S’il est un autre domaine où les faits sont difficiles à déterminer, et où la « thèse officielle » fait débat, c’est bien celui que les gens en général désignent comme « la science ».
Pour toute personne ayant quelques notions scientifiques, dire cela n’a bien entendu que peu de sens, puisque la science n’est rien d’autre qu’une boîte à outil, et on ne peut accuser un marteau d’avoir mal planté un clou !
Mais restons dans le superficiel, et essayons de comprendre les reproches qui sont faits à « la science ».
Essayons de ne pas être trop technique, rappelons juste quelques évidences. En « science », il n’est point de thèse officielle. Ce point est absolument essentiel, puisqu’il cristallise un certain nombre de frustrations. Le débat n’est pas, malheureusement diraient certains, accessible au commun de mortels. Les thèses, théories, ne sont discutées qu’entre spécialistes, et se résolvent dans les comités de lecture des revues.
Deuxièmement, croire donc que des débats sur des sujets complexes comme – par exemple – le climat pourraient être appréhendés, et présentés de telle manière qu’ils puissent seulement l’être, par des journaux « classiques » relèvent de la plus grande prétention. Car, comme on l’a expliqué ci-dessus, comment des journaux qui ne savent même pas décider qui a raison sur la foi de leurs arguments entre partisans du XXIème siècle en 2000 ou 2001 pourraient se transformer en spécialistes de la climatologie ?
On ne peut leur reprocher à la fois d’être incompétent et aussi de ne pas permettre un débat technique sur des sujets complexes. Le rapport du GIEC fait 800 pages … qui peut se targuer de l’avoir lu ? J’aurais plutôt tendance à inviter les médias à débattre de la résolution du problème, plutôt que de débattre à coup d’argumentation scientifique sur des sujets qui mobilisent des milliers d’experts qui travaillent sur ces sujets toute l’année (voire plus puisqu’un rapport du GIEC – dont le but n’est que de faire état de la recherche scientifique en matière de climat, point à la ligne – met 4 ans à être pondu).
Il est intéressant ici, que non contents de dénoncer la compétence des journalismes, ce que je peux encore comprendre, les « sceptiques » dénoncent aussi la compétence des scientifiques, et des politiques qui définissent des politiques publics de réduction des GES, suite aux conclusions du rapport du GIEC.
Ainsi, si l’on reprend l’exemple de Claude le dégraisseur de mammouth, il dénonce – en vrac – la science (qu’il connaît pourtant bien puisqu’elle le fait vivre), les politiques (mais, attendez, ne parle-t-on pas d’un homme qui a été ministre ? (avec la réussite qu’on connaît)), et les médias, qui ne sont pourtant jamais contre le fait de lui tendre un micro, c’est un tellement bon client. Le scepticisme mérite mieux que ça, non ?
On pourrait reprendre tous les faits d’arme de Mr Claude, de l’amiante aux volcans, en passant par son passage au ministère de l’éducation, mais je ne crois pas que l’acharnement nourrisse le débat de manière positive. Le problème est plutôt dans ce mélange des genres qui fait que certains préfèreront écouter un énergumène politique qui préfère débattre de sujets techniques en dehors des sphères où ils sont censés se résoudre (ce qu’il sait pertinemment) et dans un domaine qui n’est pas le sien, plutôt que d’essayer de s’informer. Il est finalement terrible de constater que beaucoup semblent ignorer que pour peindre, il vaut mieux prendre un peintre !
L’information est là, partout (même un peu trop), mais s’informer nécessite un effort, voire parfois quelques connaissances. Je suis d’un naturel méfiant, mais je me méfie particulièrement du génie en chambre derrière son clavier, qui sait mieux que des climatologues ce que l’avenir nous réserve. Et d’ailleurs en parlant de réserves, il est amusant de voir que pour dénigrer le travail des scientifiques, on gomme souvent volontairement les nuances et les réserves qu’eux-mêmes mettent dans leurs propres conclusions. En rendant l’adversaire sectaire, on arrive plus facilement à imposer le sien.
4. Du bon usage du commentaire
Maintenant que nous avons essayé de parler un peu du fond, attardons nous légèrement sur la forme. Cet article ne pourrait donc être complet sans parler des immenses possibilités offertes par le wouaibe !
Les commentaires sont à l’article sur internet ce que le glaçage est au gâteau. Ca peut te gâcher toute la recette ! (je me délecte d’ailleurs par avance des messages que cet article pourrait occasionner s’il est publié).
Je suis toujours fasciné par la répartition des commentaires sur les articles. Moi-même d’ailleurs je laisse rarement des commentaires sur les articles qui m’ont intéressé, j’ai une tendance naturelle à invectiver de ma hargne les articles que j’ai trouvés débiles, pour une raison ou une autre (lorsque je me suis levé du mauvais pied, ou que j’ai repéré une faute d’orthographe par exemple, ce qui est parfaitement crétin vous en conviendrez).
L’article n’est plus une fin en soi, la bataille continue donc en dessous, dans un espace médiatique nouveau (les gens lisent d’ailleurs autant les commentaires que les articles), où les gens qui n’ont pas la patience d’écrire un article (ou alors qui sont censurés … ?) peuvent laisser libre court à leurs pensées (bien grand mot d’ailleurs quand on voit le niveau moyen des commentaires, les miens n’échappant sans doute pas à la règle, souvent plus dictée par mon émotion que par mon intellect).
Même si certains sont orduriers et mériteraient un petit nettoyage quotidien, certains mériteraient aussi un droit de réponse qui permettraient une nouvelle forme d’expression démocratique qui permettrait alors une nouvelle forme de débat, un débat qui avancerait, et pourquoi pas ferait surgir une nouvelle forme d’article, voire ferait émerger un avis plus nuancé de part et d’autre. On peut toujours rêver, mais bon « l’utopie d’aujourd’hui n’est-il pas la réalité de demain ? ».
En conclusion, je dirais que même si l’espace médiatique citoyen semble être laissé vacant par une presse traditionnelle volontiers paresseuse et peu audacieuse il faut bien le reconnaître, ce n’est pas un argument recevable pour accréditer tout et n’importe quoi.
Il est aussi amusant de voir que certains sujets sont relativement désertés par les polémiques, de mauvaises langues diraient qu’il faut s’y connaître un minimum ou alors que débattre d’un problème est bien plus pratique que d’essayer de construire des solutions, il est aussi avéré que certains sujets souffrent plus que d’autre du passage par la moulinette de la vulgarisation. Dans tous les cas, dès qu’un sujet une fois vulgarisé nous permet d’y voir un clivage clair (du type gauche bien pensante vs droite pollueuse), tout le monde s’y retrouve dans un joyeux bordel, et moi le premier !
Je ne sais pas si le débat en ressort grandi, mais comme thérapie de groupe, c’est pas mal. Alors, Internet : formidable contre-pouvoir ou dernier exutoire ?
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