Michel Houellebecq, Soumission
Michel Houellebecq, Soumission, Flammarion, 2015
Soumission est un roman d'anticipation, de type politique-fiction, écrit par Michel Houellebecq, paru le 7 janvier 2015 aux éditions Flammarion. C'est le sixième roman de Houellebecq. Le livre décrit un futur proche en France dans lequel est élu un président de la République issu d'un parti politique musulman en 2022.
Michel Houellebecq, né Michel Thomas à la Réunion, le 26 février 1956 (acte de naissance), ou en 1958 (selon lui), est un écrivain français. Poète, essayiste, romancier et réalisateur, il est, depuis la fin des années 1990, l'un des auteurs contemporains de langue française les plus connus et traduits dans le monde. Il a également fait quelques apparitions remarquées en tant qu'acteur. Après la publication d'une biographie de Lovecraft, il est révélé par les romans Extension du domaine de la lutte et, surtout, Les Particules élémentaires, qui le fait connaître d'un large public. Ce dernier roman, et son livre suivant Plateforme, sont considérés comme précurseurs dans la littérature française, notamment pour leur description au scalpel, mais non sans humour, de la misère affective et sexuelle de l'homme occidental dans les années 1990 et 2000. Avec La Carte et le Territoire, Michel Houellebecq reçoit le prix Goncourt en 2010, après avoir été plusieurs fois pressenti pour ce prix. En janvier 2015, il publie un livre où il imagine la France dirigée par un parti musulman : Soumission. Il reçoit le prix de la BnF 2015 pour l’ensemble de son œuvre.
L'histoire :
L'histoire se déroule dans un futur proche (les années 2020) : François, un professeur de littérature à la Sorbonne, spécialiste de Huysmans, sent venir la fin de sa vie sexuelle et sentimentale, avec pour seule perspective la vacuité et la solitude.
Le début du roman décrit des affrontements réguliers entre jeunes identitaires cagoulés et jeunes salafistes. Par crainte d'un embrasement généralisé, les médias ne relayent pas toutes les informations. Le pays est au bord de la guerre civile.
Après être parvenu à se hisser au second tour de l'élection présidentielle de 2022, face au Front national, Mohammed Ben Abbes, leader intelligent et charismatique d'un nouveau Parti politique, islamo-conservateur modéré "La fraternité musulmane", accède au pouvoir, grâce au soutien au second tour de tous les anciens Partis politiques traditionnels et prend pour premier ministre François Bayrou.
Parmi les changements notables découlant de cette élection, la France est pacifiée, le chômage chute, les universités — dont la Sorbonne — sont privatisées et islamisées, les professeurs doivent être musulmans pour pouvoir enseigner, la polygamie est légalisée, les femmes n'ont plus le droit de travailler et doivent s'habiller d'une manière "non-désirable".
Ce changement politique et social de grande ampleur offre au "héros" une seconde chance et une nouvelle vie. Grâce au soutien d'un proche de Ben Abbes, Robert Rediger, François retrouve le chemin des honneurs et un poste à l'université au prix d'une conversion à l'islam.
Le titre du livre :
"Soumission" est la traduction française du mot "islam" (soumission exclusive à la volonté d'Allah). Le héros-narrateur, François finit par admettre à la fin du roman que la solution de tous les problèmes consiste pour l'homme à se soumettre à Dieu et pour la femme à se soumettre à l'homme.
L'islam est l’une des trois grandes religions monothéistes, avec le judaïsme et le christianisme, dont il revendique les héritages. Fondé au VIIe s. de notre ère par le prophète Mahomet (en arabe Muhammad), il repose sur une révélation divine dont la substance a été rassemblée dans le Coran, livre saint de l’islam. Le dogme fondamental de l'islam est un monothéisme strict.
Pratiquée par plus d'un milliard de fidèles, la religion, fondée en Arabie, s’est diffusée dans tout le Moyen-Orient, avant d’étendre son influence au reste du monde. La communauté musulmane s’est scindée en plusieurs branches dès la mort de son Prophète (sunnisme, chiisme, kharidjisme). Toutefois, depuis ses origines, elle perpétue dans son ensemble un mode de vie, un code moral, une culture, mais aussi une certaine conception de l'État et du système juridique. (encyclopédie Larousse)
Les techniques d'écriture :
Le récit est rédigé à la première personne du singulier en point de vue interne. Le narrateur est homodiégétique (personnage principal de l'histoire), facteur d'identification.
L'espace et le temps :
L'action se situe à Paris et en province, dans le Quercy, le sanctuaire de la Vierge Noire à Rocamadour, l'abbaye de Ligugé, près de laquelle se retira Huysmans, l'auteur de prédilection de François, après sa conversion au catholicisme. Le récit est chronologique.
Les bouleversements importants :
La victoire aux élections présidentielles de 2022 de Mohammed Ben Abbès, le départ de Myriam pour Israël, la "fuite" du personnage principal vers le sud de la France, son passage à Rocamadour, son retour à Paris, son séjour à l'abbaye de Ligugé, sa conversion à l'islam.
Les personnages principaux :
François
La quarantaine finissante, professeur de Littérature ("dixneuvièmiste") à la Sorbonne, "célibataire cultivé, un peu triste", spécialiste de l'écrivain Joris-Karl Huysmans auquel il a consacré une thèse de 700 pages, "Huysmans ou la sortie du tunnel". Après le départ de Myriam pour Israël, Fraçois passe par une phase de désespoir, tente de se convertir au catholicisme sans y parvenir et connaît la tentation du suicide.
Joris-Karl Huysmans, nom d'usage de Charles Marie Georges Huysmans, est un écrivain et critique d'art français, né le 5 février 1848 à Paris, et mort dans la même ville le 12 mai 1907.
Huysmans fit toute sa carrière au ministère de l'Intérieur, où il entra en 1866. En tant que romancier et critique d’art, il prit une part active à la vie littéraire et artistique française dans le dernier quart du XIXe siècle et jusqu’à sa mort.
Défenseur du Naturalisme à ses débuts, il rompit avec l’école littéraire créée par Émile Zola pour explorer les possibilités nouvelles offertes par le Symbolisme et devint le principal représentant de l’esthétique fin de siècle. Dans la dernière partie de sa vie, il se convertit au catholicisme et renoua avec la tradition de la littérature mystique.
Par son œuvre de critique d’art, il contribua à lancer en France la peinture impressionniste comme le mouvement du Symbolisme et permit au public de redécouvrir l’œuvre des artistes Primitifs.
Il est l'auteur de : À vau-l’eau, (nouvelle, 1882), À rebours (roman, 1884), Là-bas (roman, 1891) et L'Oblat (roman, 1903). (source : babelio)
"La Bible de l'esprit décadent et de la "charogne" 1900. À travers le personnage de des Esseintes, Huysmans n'a pas seulement résumé, immortalisé les torpeurs, les langueurs, les névroses vénéneuses et perverses du siècle finissant. Des Esseintes est aussi un héros kierkegaardien, à la fois grotesque et pathétique, une des plus fortes figures de l'angoisse qu'ait laissées notre littérature. Fils spirituel de René et de la génération du mal du siècle, il annonce à bien des égards le Bardamu de Céline et le Roquentin de La Nausée.
Huysmans crée ici un personnage fascinant, des Esseintes, qui représente ce qu'on a appelé "la décadence" ; dégoûté de la vulgaire réalité, il cherche désespérément, en recourant sans cesse à l'artifice, des sensations rares et des plaisirs toujours nouveaux, jusqu'à l'hallucination, presque jusqu'à la folie.
Dans le tohu-bohu qui accompagna la publication d' À rebours en 1884, Barbey d'Aurevilly écrivait : "Après un tel livre, il ne reste plus à l'auteur qu'à choisir entre la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix". Huysmans lui donna raison en se convertissant peu après." (source : babelio)
Myriam
Jeune étudiante de lettres modernes, dernière "conquête amoureuse" de François. Jeune femme juive au look "gothique". Elle se réfugie en Israël au moment de l'accession au pouvoir de la Fraternité musulmane.
Steve
Collègue de François, spécialiste de Rimbaud.
Marie-Françoise Tanneur
Spécialiste de Balzac. Connaît tous les rouages du système universitaire.
Godefroy Lempereur
Jeune professeur à la Sorbonne et spécialiste de Léon Bloy.
Robert Rediger
Né à Bruxelles. Après un passage chez les Identitaires, il s'est converti à l'islam. Polygame. Nommé recteur de l'université de la Sorbonne, puis ministre de l'Education nationale, puis ministre des affaires étrangères.
Mohammed Ben Abbes
Fils d'un épicier tunisien. Leader de la Fraternité musulmane. Enarque, premier de la promotion "Nelson Mendela", devient président de la République française. Ambitieux, intelligent et charismatique. A "une vraie vision politique". Il veut ramener une partie du monde arabe et notamment l'Afrique du nord dans une Europe élargie vers le sud et reconstituer l'Empire romain. et la "Pax Romana" à la manière de l'empereur Auguste.
Personnages politiques réels :
François Hollande et Manuel Valls, respectivement président et Premier ministre jusqu'en 2022, Marine Le Pen, candidate malheureuse au second tour de l'élection présidentielle de 2022, François Bayrou, choisi comme Premier ministre par Mohammed Ben Abbes, Jean-François Copé.
Les thèmes abordés :
La guerre civile, les religions, l'islam, la décadence de la civilisation occidentale, la misère sexuelle, la recherche du sens, le manque de sens (le manque en général), le fardeau de la liberté individuelle, le nihilisme, les limites de l'individualisme dans les sociétés libérales, les limites de l'héritage de la philosophie des Lumières (le rationalisme, l'athéisme), le retour du religieux, la tentation de la "soumission" à un ordre totalitaire donateur de "sens".
Citations :
"(...) il faut bien s'intéresser à quelque chose dans la vie me dis-je, je me demandais à quoi je pourrais m'intéresser moi-même si ma sortie de la vie amoureuse se confirmait, je pourrais prendre des cours d'oenologie peut-être, ou collectionner les modèles réduits d'avions." (p.37)
"Je me resservis de bourbon avant de lui répondre. L'agression dissimule souvent un désir de séduction, je l'avais lu chez Boris Cyrulnik, et Boris Cyrulnik, c'est du lourd, un type à qui on ne la fait pas, au niveau psycho un mec à la coule, un Konrad Lorenz des humains en quelque sorte." (p.42)
"Alice posait sur nous ce regard à la fois affectueux et légèrement moqueur des femmes qui suivent une conversation entre hommes, cette chose curieuse qui semble toujours hésiter entre la pédérastie et le duel." (p.58)
"J'avais même parlé une fois à une jeune fille, jolie, attirante, qui fantasmait sur Jean-François Copé ; il m'avait fallu plusieurs jours pour m'en remettre. On rencontre vraiment n'importe quoi, de nos jours, chez les filles." (p.89)
"A l'issue de ses deux quinquennats calamiteux, n'ayant dû sa réelection qu'à la stratégie minable consistant à favoriser la montée du Front National, le président sortant avait pratiquement renoncé à s'exprimer, et la plupart des médias semblaient même avoir oublié son existence." (p.115)
"Je ne connaissais à vrai dire à peu près rien du Sud-Ouest, sinon que c'est une région où l'on mange du confit de canard ; et le confit de canard me paraissait peu compatible avec la guerre civile. Enfin, je pouvais me tromper." (p.126)
"Le véritable agenda de l'UMP, comme celui du PS, c'est la disparition de la France, son intégration dans un ensemble fédéral européen. Ses électeurs, évidemment n'approuvent pas cet objectif ; mais les dirigeants parviennent, depuis des années, à passer le sujet sous silence." (p.145)
"Les choses seront moins difficiles pour l'UMP, qui est encore plus proche de la désintégration, et qui n'a jamais accordé la moindre importance à l'éducation." (p.146)
"Le jugement moral, le jugement individuel, l'individualité en elle-même n'étaient pas des notions clairement comprises par les hommes de l'âge roman, et je sentais moi aussi mon individualité se dissoudre, au fil de mes rêveries de plus en plus prolongées devant la vierge de Rocamadour." (p.167)
"Il n'y avait que des hommes. Aucune femme n'avait été conviée, et le maintien d'une vie sociale acceptable en l'absence de femmes - et sans le support du foot, qui aurait été inapproprié dans ce contexte malgré tout universitaire - était une gageure bien difficile à tenir." (p. 235)
"Il fallait bien reconnaître que j'allais mourir à ce rythme, mourir rapidement, malheureux et seul, et avais-je envie de mourir rapidement, malheureux et seul ? En difinitive, moyennement." (p.249)
"Sans la chrétienté, les nations européennes n'étaient plus que des corps sans âme - des zombies." (p.255)
"C'est la "soumission" dit doucement Rediger. "L'idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue." (p.260)
"En vieillissant, je me rapprochais moi-même de Nietzsche, comme c'est sans doute inévitable quand on a des problèmes de plomberie." (p.272)
"L'islamogauchisme, écrivait-il était une tentative désepérée de marxistes décomposés, pour se hisser hors des poubelles de l'histoire en s'accrochant aux forces montantes de l'islam." (p.273)
"Un peu comme cela s'était produit, quelques années auparavant, pour mon père, une nouvelle chance s'offrait à moi ; et ce serait la chance d'une deuxième vie, sans grand rapport avec la précédente. Je n'aurais rien à regretter." (p.300)
Mon avis sur le livre :
Selon Viktor Frankl, un être humain est animé par trois désirs fondamentaux qui dépassent la sphère de la nature et des besoins : créer une oeuvre, vivre un amour, donner un sens à ses souffrances.
C'est la raison pour laquelle la dimension religieuse au sens étymologique du terme ("religion" vient de religere = être relié) reste vivace. Le psychisme humain n'est pas seulement - même si l'est aussi - le domaine des pulsions (Freud), ni le lieu où se déploie la volonté de puissance (Adler), mais une volonté de sens où oeuvre en secret un "Logos", "un Dieu (inconscient) un "en-deçà du langage" plutôt qu'un "au-delà de la pensée." (Maurice Clavel).
Mais comme le remarquait Joseph Ratzinger qui avait centré de manière significative son pontificat sur la réconciliation entre la Foi et la Raison : "il y a des pathologies extrêmement dangereuses dans les religions : elles rendent nécessaire de considérer la lumière divine de la raison comme une sorte d'organe de contrôle permanent de purification et de régulation - une vue qui était du reste celle des Pères de l'Eglise.
Si la foi sans l'intelligence dégénère en obsurantisme et en dogmatisme, la foi sans la charité se transforme en intolérance et en violence à l'encontre du prochain, tandis que la foi sans l'espérance a tendance à scandaliser de l'écart entre ce qui est et ce qui devrait être.
Les raisons d'être du personnage principal de Soumission s'écroulent après le départ de Myriam (Marie, "larmes amères" en hébreu) pour Israël et sa mise à la retraite de l'université. Il a perdu son amour, il n'a plus d'oeuvre à accomplir et il souffre sans pouvoir donner de sens à sa souffrance.
L'itinéraire psychique, intellectuel et spirituel de François évoque, toutes proportions gardées, celui de Louis-Ferdinand Céline, passé du nihilisme au fascisme. Ce que cherche François, ce n'est pas la foi car la foi est recherche permanente et suppose le doute, mais ne plus avoir à chercher et donc l'adhésion à une religion politique triomphante, comme le fut (en partie) le christianisme médiéval et comme l'est (ou lui apparaît) aujourd'hui, à tort ou à raison, l'islam. Non pas l'islam d'Henry Corbin, du soufisme ou d'Averroès, mais celui des Frères musulmans, du salafisme et du wahhabisme, voire de l'Etat islamique (Daech), une théocratie qui lui fournisse à satiété du sens "clé en mains", du pouvoir temporel, des épouses soumises (de la bonne cuisine et de l'érotisme tranquille à domicile : la maman et la putain), des réponses définitives à ses questions, à ses manques et à ses désirs les plus intimes, au risque de ne plus manquer de rien, sauf du manque (Lacan).
Avec sa lucidité habituelle, Michel Houellebecq voit bien que le problème du "sens" est plus que jamais au coeur de la vie individuelle (la sienne, la nôtre) et collective. L'occident a du mal à survivre à la perte de sa religion et le vide crée va ramener, selon lui, une autre religion... Mais quelle religion ? Et quel islam ?
Le "sens" peut se transformer en dogmatisme, ne plus être un horizon transcendantal partagé - ou non partagé, car il convient de laisser une place à l'athéisme, à l'agnosticisme et à d'autres formes de croyances - mais une "vérité" immanente imposée (littérale, impersonnelle et non interprétable) et envahir la totalité de la vie personnelle et politique en abolissant la distinction entre le public et le privé, le religieux et le politique.
Le roman oscille entre la tentation du nihilisme : "je ne sais pas quoi faire de ma liberté" et celle du totalitarisme : "j'abdique ma liberté en me "soumettant".
François, le personnage principal, finit par se "stabiliser" en optant pour le renoncement en faveur d'un islam - qui n'est pas tout l'islam, si l'on en juge par les travaux de Louis Massillon et d'Henry Corbin - qui fait peu de place à la liberté individuelle et pour laquelle la distinction issue de la dimension philosophique et herméneutique du judéo-christianisme, ainsi que de la philosophie des Lumières entre le profane et le sacré n'a pas de sens, puisque, comme le dit Tarik Ramadan "Allah est partout et la terre est une immense mosquée".
"Ce dont un être humain a besoin, explique Viktor Frankl, ce n’est pas de vivre sans tension, mais bien de tendre vers un but valable, de réaliser une mission librement choisie. Il a besoin, non de se libérer de sa tension, mais plutôt de se sentir appelé à accomplir quelque chose."... "Un être humain n'est pas à la recherche du bonheur, mais plutôt à la recherche d'une raison d'être heureux, à travers l'actualisation du potentiel de sens inhérent à une situation donnée."
"Ce que j'appelle le vide existentiel, explique-t-il encore dans Le Dieu inconscient, constitue un défi pour la psychiatrie contemporaine. De plus en plus de patients se plaignent d'un sentiment de vide et de non-sens, qui peut, selon moi, être attribué à deux facteurs. Contrairement à l'animal, les instincts ne disent pas à l'être humain ce qu'il doit faire. Et contrairement aux époques plus reculées, les traditions ne lui indiquent plus ce qu'il devrait faire. Le plus souvent l'être humain ne sait même plus ce qu'il veut fondamentalement. Ainsi, faute de savoir lui-même à quoi il aspire, il en vient à désirer de faire ce que les autres font (conformisme) ou de faire ce que les autres veulent qu'il fasse (totalitarisme). J'espère réussir à partager avec le lecteur ma conviction qu'en dépit de l'effondrement des traditions, la vie recèle un sens pour chacun, et plus encore, qu'elle conserve ce sens, littéralement jusqu'à notre dernier souffle."
Comme l'a montré Jean-François Mattéi dans La barbarie intérieure, essai sur l'immonde moderne, l'hypostase de la raison, l'enfermement de l'homme moderne ou "post-moderne" dans l'immanence et la subjectivité, la forclusion du désir et l'idée que rien n'est important, que tout se vaut et qu'il n'existe rien en dehors du "moi", loin de représenter une libération, aboutit à une nouvelle forme de barbarie, la "barbarie intérieure" de la transcendance déviée et rabattue sur les monades sans portes ni fenêtres, les "particules élémentaires" d'une juxtaposition d'individus isolés, obsédés par la jouissance et par le manque et désormais incapables de constituer une société.
L'une des grandes leçons de la psychanalyse est que l'émergence de la personne passe par l'identification, puis la différenciation. L'identification est problématique dans une société marquée par le relativisme culturel, l'individualisme et le subjectivisme, mais la différenciation personnalisante l'est tout autant dans une société "théocratique" dans laquelle la dimension de la personne n'est pas prise en compte.
C'est pourtant de la réponse à ce double défi d'une identification sans aliénation (le défi des sociétés marqués par l'influence de l'islam) et d'une différenciation sans perte du lien social (le défi des sociétés occidentales judéo-chrétiennes laïcisées) que dépend notre avenir commun.
Soumission a le mérite de poser des problèmes actuels et de le faire avec un humour et un sens de la satire qui n'ont pas été toujours remarqués et salués à leur juste valeur : le désespoir de l'individu solitaire et déraciné, l'absence de sens, le désir de spiritualité et les dangers de la religion, la question de la liberté humaine.
"La foi n'est pas une pensée réduite à la réalité de l'objet pensé, mais une pensée élargie à l'existentialité de celui qui pense." (V. Frankl)
A la soumission "quiétiste" de François - "Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes." - , on préfèrera l'inquiétude de Jacob (et de Michel Houellebecq !) et son combat avec ou contre l'Ange.
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