Minarets, islam, le véritable débat sur l’identité nationale : l’islam est-il soluble dans l’Europe ?
Faute de prendre le réel par la main tant qu’il en est encore temps, il finit toujours par vous sauter à la gorge.
"J’ai commencé à réfléchir à un moment où notre culture agressait d’autres cultures dont je me suis alors fait le défenseur et le témoin. Maintenant, j’ai l’impression que le mouvement s’est inversé et que notre culture est sur la défensive vis-à-vis des menaces extérieures, parmi lesquelles figure probablement l’explosion islamique. Du coup je me sens fermement et ethnologiquement défenseur de ma culture" (Claude Lévi Strauss, propos recueillis par Dominique-Antoine Grisoni, "Un dictionnaire intime", in Magazine littéraire , hors-série, 2003).
La Suisse a donc parlé, donnant à voix haute une réponse à des questionnements dont il serait par hypothèse intéressant de connaître officiellement les réponses si tous les pays de l’Union européenne, et principalement
Analyse intéressante que celle de Xavier Alonso publiée dans le journal 24 heures ce 30.11.2009 après la votation intervenue en Suisse concernant l’interdiction des minarets, où l’on voit que si en France le fameux débat sur l’identité nationale est soigneusement tenu en laisse, il vient en revanche de faire une entrée fracassante en Suisse en répondant à haute et intelligible voix au message et à la question posée par une affiche explicite.
"C’est un résultat catastrophique, déclare Tariq Ramadan, ajoutant qu’il y a une vraie peur, un questionnement profond sur la question de l’islam en Suisse."
Mais voilà, mauvaise analyse, surtout de la part d’un intervenant qui n’a rien d’anodin (http://www.tariqramadan.com/spip.php?lang=en), car le questionnement profond n’est pas limité à
Les réponses sont connues, bien au-delà de ce qui ressortit au registre de l’émotionnel ou de l’irrationnel.
Elles tiennent tout simplement, au-delà d’une méconnaissance certaine, généralisée, à la mauvaise image que l’islam en général et les musulmans en particulier renvoient d’eux-mêmes à ceux qui ne les aiment pas, les craignent, n’en veulent pas, ne désirent pas même les connaître et les rejettent sans discussion possible.
Mais elles tiennent aussi - question trop longuement tue ou éludée - au rejet viscéral et agressif d’un monde occidental, européen, à la fois admiré et méprisé, dans lequel l’islam se sent a fortiori mal à l’aise faute d’en accepter les éléments constitutifs fondamentaux, qu’ils soient d’ordre politique, économique, social, religieux...et civilisationnel, tous éléments qui se réclament en effet d’un fond commun de civilisation différent, construit sur des valeurs de tolérance, de liberté et de laïcité que l’Europe n’accepte pas de voir disparaître au nom du respect d’un multiculturalisme qui voudrait lui substituer ses propres valeurs.
Le temps est donc venu, saisissant l’occasion d’un véritable débat sur l’identité nationale, débat biaisé en France par des desseins électoralistes, d’examiner dans un cadre laïque, démocratique, respectueux des droits de l’homme, un islam débarrassé des intégrismes et fondamentalismes politiques et sociaux qui le minent et lui préjudicient.
Le temps est venu de radiographier un islam à l’image de celui qu’évoque avec talent et sagesse Abdelwahab Medeb, précieux écrivain et poète d’origine tunisienne, lequel s’essaye avec bonheur à l’examen critique de l’islam tout en se référant à la culture, à l’histoire et au génie qui en font la beauté par trop ignorée de ceux qui l’instrumentalisent.
C’est qu’en effet, comme l’écrit très finement Monika Zergane à propos du dernier ouvrage d’Abdelwahab Meddeb (Pari de Civilisation, Seuil, Août 2009), "Si l’Islam a conduit la civilisation à un apogée qu’elle n’avait pas connu avant son avènement, la civilisation musulmane, elle, a pensé "la fin de l’histoire" et cela lui a été préjudiciable. Le panarabisme et l’islamisme ont détruit les minorités religieuses et culturelles vivant en terre d’islam, achevant de plonger les populations musulmanes dans l’isolement.
Despotisme, fanatisme, superstition, obscurantisme, misère économique, sous-développement et absence de contrat social intériorisé, c’est aujourd’hui la réalité des pays musulmans. Une réalité qui contraste radicalement avec la splendeur révolue de la civilisation musulmane exaltée par Abdelwahab Meddeb tout au long de son ouvrage. Dans sa complexité, nous dit l’auteur, l’Islam doit être approché comme civilisation, comme religion et comme désir politique. De nos jours, les deux premiers attributs se sont éclipsés au profit d’une violence criminelle dont les attentats du 11 septembre 2001 ont été l’illustration abjecte.
Abdelwahab Meddeb insiste sur la nécessité d’une relecture du texte coranique afin éviter le choc voire la guerre des interprétations qui se profile. Neutraliser les versets de l’hostilité en les situant dans le contexte dépassé de leur apparition doit être une priorité pour les exégèses du texte coranique. Il s’agit ici du djihad et de certaines dispositions juridico-politiques telles que l’esclavage, la polygamie, les hudûd (les sanctions pénales traduites en châtiments corporels) et l’inégalité des sexes.
Dans ce livre utile où l’on trouvera une somme impressionnante de références témoignant de la profondeur des cultures d’Islam, Meddeb insiste encore sur la nécessité de reconsidérer les idées des Lumières et invite le sujet musulman à questionner son rapport à
Vision irénique ? Pour beaucoup trop de gens, certainement. Mais imaginons un seul instant un pays sûr de lui, une Union européenne sûre d’elle-même, et l’on verra que les prétendues "insultes" faites à l’islam au nom d’un rejet de la construction de minarets n’auront plus d’intérêt qu’anecdotique.
Et que dit
Par l’intégration, dit avec force Ada Marra. La conseillère nationale socialiste appelle l’UDC à prendre ses responsabilités. « Elle a fait le débat, mais elle ne propose rien. Le PS a proposé les cours de langue, les CV anonymes – parce que l’intégration passe par le travail –, la formation des imams, c’est d’ailleurs le radical Hugues Hiltpold qui l’a demandée… Le problème, c’est que le parlement nous a toujours tout refusé. » La socialiste souligne que les règles existent déjà : « On ne l’a peut-être pas assez dit, mais le Tribunal fédéral a tranché : les filles musulmanes doivent aller à la piscine. »
La droite durcit le ton. L’intégration est dans toutes les bouches. Mais hier le discours des politiques s’est radicalisé en l’espace de quelques heures. Pendant la campagne, c’est l’image d’un islam souriant qui avait été mis en exergue par tous. Aujourd’hui, à l’aune de la peur exprimée, c’est un autre islam qui est analysé. « Le message du Conseil fédéral doit être clair. La charia n’a pas sa place en Suisse, affirme le président du PDC Christophe Darbellay. Toutes les formes de discriminations envers les femmes doivent être bannies. Il ne doit y avoir aucune exception à la scolarité obligatoire, aux cours de religion et de sport – inclue la natation pour les filles. »
Les libéraux-radicaux, par la voix du Genevois Hugues Hiltpold, tiennent, à quelques nuances près, un discours taillé dans la même étoffe de la tolérance zéro envers les fondamentalismes. « Nous avons pris la mesure de la peur de la population, formule-t-il. Mais la transparence religieuse doit être faite vis-à-vis de tous les mouvements religieux. Le seul grand accident religieux connu en Suisse fut le fait de l’Ordre du temple solaire. Et cela n’a rien à voir avec l’islam. »
Vainqueur du jour, l’UDC Yvan Perrin relativise. « Les gens n’ont pas dit non à l’islam, mais oui à d’autres valeurs. Mais les accommodements raisonnables, c’est fini. » C’est donc autant les craintes des extrémistes que les petits faits de société – comme le port du voile – qui doivent être contrôlés. Contre toute attente, l’islamologue Stéphane Lathion ne dit pas autre chose. Il attend des musulmans de Suisse une réaction positive : « Il ne faut surtout pas qu’ils soient dans le rejet et la victimisation. Nous ne pouvons nous permettre d’être dans la méfiance réciproque et les peurs parallèles. »
Gare à la suspicion. Pour Hafid Ouardiri, le coup est tout de même rude. « Comme si 42 ans de vie en Suisse étaient remis en cause. Ma Suisse a perdu… » glisse le Genevois, qui attend que les autorités se remettent en question comme le font les musulmans. « Nous sommes tristes. Mais nous allons survivre et démontrer que nous respectons les valeurs de
« Je ne sais comment m’adresser à ces gens qui ont peur… » Pourquoi personne n’a-t-il rien vu venir ? La question était hier dans tous les esprits. Le président du Groupe de recherche sur l’islam, Stéphane Lathion, pointe clairement le problème. « Dès le départ, il y a eu une négation de la peur de la population, à laquelle s’est même ajoutée une forme de mépris. Celui qui exprimait sa peur risquait d’être taxé de raciste, sinon de stupide ! »
Ce discours, Stéphane Lathion l’aurait tenu aussi en cas de refus de l’initiative. Le choc du résultat ne fait qu’accentuer son sentiment que le débat n’a pas osé dire le sentiment qui affleurait dans les discussions des élus sur le terrain. « C’est émotionnel », revient comme un leitmotiv dans la bouche des élus, dont le radical genevois Hugues Hiltpold. « Les tripes ont parlé ! Il y a une peur diffuse de tous les fondamentalismes », avance Christophe Darbellay. Le Vert genevois Antonio Hodgers, lui, se dit « désemparé. Je pose mon constat d’impuissance. Comme élu, je ne sais comment m’adresser à ces gens qui ont peur. »
« Excès de confiance des élus ! » disent en chœur Hasni Abidi et Hafid Ouardiri. Ces deux représentants de la communauté musulmane laïque soulignent la solidarité exprimée pendant la campagne, mais constatent le décalage. « Face à un discours de propagande de l’UDC, les autres partis n’ont pas compris qu’il fallait parler fort et clair », analyse Hasni Abidi. « Ils n’ont pas su voir que la peur mobilise et qu’elle est mauvaise conseillère », glisse Hafid Ouardiri."
Où l’on voit avec l’exemple de la Suisse qu’il est temps pour les deux acceptions de l’islam et de l’Islam et pour l’Europe de lancer le débat sur ce pari de civilisation que l’islam ne pourra plus sérieusement éluder : l’adaptation d’une vision théocratique du monde à une autre vision, une vision laïque, une vision démocratique de la société et des droits respectifs de ceux qui la composent.
A
Note :
Le mot « islam » avec une minuscule désigne la religion dont le prophète est Mahomet. Le terme d’« Islam » avec une majuscule désigne l’ensemble des peuples musulmans, la civilisation islamique dans son ensemble.
Sources et références :
Claude Lévi Strauss, propos recueillis par Dominique-Antoine Grisoni, "Un dictionnaire intime", in Magazine littéraire , hors-série, 2003
http://www.evene.fr/livres/livre/abdelwahab-meddeb-pari-de-civilisation-41157.php
24 heures.
Abdelwahab Meddeb, écrivain et poète, né à Tunis.
Directeur de la revue Dédale, http://dedale.free.fr/, professeur de littérature comparée à l’université de Paris X-Nanterre, il est l’auteur d’ouvrages (de romans, et notamment Talismano et de livres de poésie, notamment Tombeau d’Ibn ‘Arabî ; Matière des oiseaux – Prix Max Jacob), et de nombreux articles dans les revues Esprit, Communication, Dédale... Il anime l’émission « Cultures d’islam », sur France Culture.
La Maladie de l’Islam., 2002. Prix François Mauriac.
Contre prêches, 2007. Prix international de littérature francophone Benjamin Fondane.
Pari de Civilisation, Seuil, Août 2009
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