Mme Royal, candidate à la présidence de la République, une énigme ?
La désignation de Mme Royal comme candidate du Parti socialiste à la présidence de la République ne laisse pas d’intriguer. Comment a-t-elle pu séduire 60 % des adhérents de ce parti et écarter d’une pichenette des rivaux aussi aguerris que L. Fabius et D. Strauss-Kahn ?
Quand un événement passe l’entendement, on a beau passer en revue les raisons supposées vraisemblables de sa survenue, on n’en reste pas moins interdit. On en vient même à en soupçonner d’autres qui échapperaient encore.
1- L’existence d’un réseau Certes, Mme Royal ne paraît pas avoir improvisé son ascension qui vient de loin. Mais quand est lancée l’idée de sa candidature par Le nouvel observateur à la mi-décembre 2005 - « Et si c’était elle... », était-il demandé en couverture - , qui imagine alors que son parcours, depuis son poste de chargée de mission à la présidence de la République sous Mitterrand jusqu’à celui de présidente de région, en passant par celui de ministre, lui avait permis de tisser un réseau assez puissant pour faire la une des médias aussi souvent qu’elle le souhaitait pendant dix mois ?
- Car comment expliquer autrement la couverture médiatique intense dont elle a bénéficié pendant toute l’année 2006 et les multiples sondages qui vont la hisser si souvent en tête ?
2- Une exposition répétée dans les médias Sans doute la relation est-elle interactive : pour capter l’attention, les médias exposent les stars qui attirent les foules et qui, en retour, en retirent une notoriété accrue. On sait ainsi qu’il existe au moins une corrélation entre la fréquence d’une exposition médiatique d’un personnage et la propension du public à en faire un favori. Le pittoresque palmarès « des personnalités les plus aimées des Français », régulièrement publié, le vérifie. Cela, toutefois, ne suffit pas : encore faut-il une qualité, si dérisoire soit-elle, pour être choisi et apprécié : jongler avec un ballon, comme Zidane, jouer au tennis et chanter comme Noah, ou plus sérieusement, être depuis cinquante ans l’ alibi d’une mauvaise conscience humanitaire, comme l’Abbé Pierre. Quelle est donc la qualité éminente de Mme Royal ?
3- Des réponses simples à des préoccupations avérées
Seraient-ce ses propositions politiques ? Nul doute qu’elles vont au devant de préoccupations réelles. L’irresponsabilité politique quasi totale d’aujourd’hui en est une ; elle lui oppose une sorte de « reddition de comptes ». Les Grecs la pratiquaient. La proposition de « jurys de citoyens » faite par Mme Royal n’est pas inintéressante, mais elle reste imprécise. L’insécurité causée par une minorité de mineurs qui empoisonnent la vie des cités et des écoles est une autre préoccupation. Elle y répond par la création de centres d’éducation surveillée, voire militarisés. De même, la démission des familles ou leur incapacité à assumer leurs devoirs face aux exactions de leurs enfants sont un autre problème : et Mme Royal parle de les « cadrer ». Pourquoi pas ? La violence scolaire, elle, lui inspire comme solution la présence de vigiles dans les classes pour faciliter le déroulement de cours perturbés. Curieuse façon de reconnaître l’autorité d’un professeur ! Quant à l’échec scolaire, la révision de la carte scolaire ou l’assignation des enseignants dans leurs établissements pendant trente-cinq heures sont-elles des solutions adaptées ? Pourquoi pas ? Mais c’est oublier que le travail d’un professeur ne se réduit pas au temps de cours dispensés : corrections et préparations de cours en sont l’autre versant, et le temps qui y est consacré est au moins égal à celui des cours sinon plus long pour beaucoup. Une plus grande présence des professeurs dans les établissements ne diminuera pas en tout cas ce temps consacré à ces activités ; elle impliquerait d’ailleurs d’agrandir les établissements scolaires pour les accueillir dans des bureaux, ce qui n’est pas rien. Ces exemples, on le voit, montrent surtout que Mme Royal a lancé des idées qui ont en commun d’être simples, voire séduisantes parce qu’elles sortent de l’ordinaire ou paraissent tomber sous le sens, et prennent même des allures de remèdes-miracles, auprès de ceux qui ignorent la complexité des problèmes. Est-ce là la raison de son succès ?
4- Le ralliement des caciques et des cadres
Elle n’a pourtant pas été élue par des gens frivoles ou dépolitisés mais par les adhérents d’un parti qui comptent en principe parmi les citoyens les plus réfléchis d’un pays au point de s’y inscrire. Doit-on alors incriminer la vague des nouveaux adhérents attirés par un tarif d’adhésion préférentiel ? Ils se distingueraient des militants ordinaires par une réflexion politique plus sommaire. Il ne semble pas que ce soit le cas, puisque la Fédération socialiste de Paris qui, dit-on, a connu la plus grande affluence de ces nouveaux venus, n’a donné à Mme Royal qu’un score très inférieur à son score national. Et puis ce serait oublier qu’un parti comme le Parti socialiste est tenu fermement par des cadres anciens et solides, les secrétaires de fédération, qui règnent en maîtres sur leur territoire, parfois comme des patrons sur leurs clientèles. Or, on a vu, paradoxalement, nombre d’entre eux se rallier très tôt à Mme Royal, dans les Bouches-du-Rhône, par exemple, ou dans l’Hérault. Est-ce vraiment « la démocratie participative » de Mme Royal qui a conquis ces vieux routiers ? Des cadres de l’appareil central ont d’ailleurs aussi fait connaître leur choix sans hésiter, au risque d’alimenter le soupçon d’une partialité ultérieure dans le déroulement des opérations de désignation. Était-ce un réflexe de légitimisme qui venait de leur proximité avec le premier secrétaire, compagnon de Mme Royal ? Tout compte fait, ce choix des caciques aurait-il été dicté plus par des aversions que par une adhésion au courant Royal qui s’est dessiné ? En somme, les deux autres rivaux ont-ils fait les frais des amertumes, voire des rancoeurs, accumulées du temps où ils étaient les princes du parti et de la République ?
5- Une prise du parti par des valeurs abandonnées jusque-là à la droite
Ce qui est surprenant - et cela a été souligné - c’est que le parti n’a pas été pris cette fois par la gauche, comme d’habitude, mais par les valeurs abandonnées jusque-là à la droite. On entend encore les envolées de Mitterrand quand il s’empare de la SFIO au Congrès d’Épinay : celui qui refuse la rupture avec le capitalisme n’est pas digne d’être socialiste ! L. Fabius a manifestement tenté de suivre la même voie : à gauche toute ! Et une fois au pouvoir, on s’accommode de compromis en compromis. Or, Mme Royal a choisi plutôt de prendre le parti par les valeurs dites de droite, telles que la famille, l’autorité et la sécurité. Est-ce à dire que les caciques du PS ont été définitivement transformés par l’exercice du pouvoir qui leur a fait mesurer la modestie du « champ du possible » ? En revanche, la corruption assez générale du régime politique français due en grande partie à l’inamovibilité des détenteurs de mandats au-delà de toute durée raisonnable, la justice surveillée qui en découle, l’impunité dont jouissent les autorités qui violent les lois, les écarts sidéraux entre les salaires patronaux et ceux de leurs employés, la délation institutionnalisée par la loi du 12 avril 2000... sauf erreur, Mme Royal ne paraît pas s’en être souciée encore. Mais son parti s’y est-il intéressé davantage ?
6- « Le médium est le message »
On ne peut nier enfin que Mme Royal ait pour elle un charme, voire une grâce indéniable dont elle sait jouer dans les médias et dont ne pouvaient se prévaloir ses rivaux. Nul ne peut lui en faire grief. Est-ce donc à ce charme qu’elle doit une part de son succès ? On touche au paradoxe de Mac Luhan : « Le médium est le message ». Qu’importe ce que dit une jolie femme ou un bel homme : on reste avant tout fasciné par sa grâce ; on est pendu à ses lèvres au point de boire ses paroles, sans même en percevoir l’amertume ou l’indigence. C’est humain ! Les Etats-Unis, toujours en avance d’un temps, ont ouvert la voie : qu’on songe à l’acteur « body-buildé » qui s’est fait élire et réélire gouverneur de Californie. L’acteur R. Reagan l’avait précédé dans la carrière. Tient-on là les effets de la télévision, qui, après avoir supplanté tous les autres lieux publics et s’être installée dans les foyers comme le seul forum qui compte, a réduit les débats au seul combat inégal entre la grâce et la disgrâce ? Les premiers mots, prononcés jeudi 16 novembre au soir devant les caméras par Mme Royal après sa victoire, le font craindre : ils sont fort peu différents de ceux qu’on entend invariablement dans la bouche des lauréats, lors des soirées des Césars, des Molières ou des Victoires de la musique. Elle entendait d’abord, a-t-elle répété, "savourer son bonheur" ! Sans doute s’est-elle gardée de dédier, dans la même veine, sa victoire à ses proches et à ses amis, mais, la griserie aidant, elle est allée un peu vite en besogne en confondant les adhérents de son parti avec le peuple de France qui, selon elle, venait d’écrire une nouvelle page de son histoire.
Toutes ces hypothèses, ou d’autres, comme un changement de générations, suffisent-elles vraiment à résoudre l’énigme de la désignation de Mme Royal ? On a peine à le croire. On reste hébété, persuadé qu’il en est d’autres qui échappent encore. Paul Villach
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