Mme Royal en couverture de TIME Magazine, comme un parfum de femme ?
L’édition européenne de TIME Magazine du 18 septembre 2006 mettait en couverture une photo de Mme Royal. On n’y a peut-être pas alors prêté attention : mais cette pose, qu’elle a prise sur le conseil avisé de ses experts en communication, était-elle due au hasard ?
Elle rappelle, en effet, furieusement celle du mannequin choisi par le parfumeur Guerlain pour la promotion répétée d’un de ses parfums, Shalimar.
Le souvenir d’une publicité
- On y reconnaît le même plan moyen, le même angle de prise de vue, la même posture du buste de trois quarts, le visage tourné à gauche vers le lecteur, la même cambrure des reins, bras croisés, la main droite sur le bras gauche, la même mise en abyme de l’image, avec regard toisant le lecteur et instituant un simulacre de relation interpersonnelle avec lui, et le même fond anonymé de mise hors contexte pour concentrer le regard sur le personnage. On pourrait aussi trouver une parenté de visage oblong à large front et chevelure brune abondante.
- Outre un demi-sourire chez l’une et une gravité hautaine chez l’autre, seule leur tenue diffère bien sûr : le mannequin est nu, de longues mèches de sa chevelure couvrant l’aréole de ses seins selon le double jeu obligé d’exhibition et de dissimulation par lequel tout leurre d’appel sexuel vise à provoquer chez le lecteur réflexe d’attirance et réflexe de frustration. Mme Royal, elle, est certes vêtue, mais son haut cintré sans manche dénude quand même ses bras jusqu’aux épaules.
Le procédé de l’intericonicité
Ce procédé qui consiste à reconnaître dans cette image jusqu’ici inconnue de Mme Royal une image déjà connue pour avoir été diffusée souvent dans les magazines et sur les panneaux publicitaires des villes, on l’ignore souvent, c’est le procédé de l’intericonicité. Il remplit plusieurs fonctions.
- L’une est d’abord de capter l’attention du lecteur par une impression de déjà vu, puis de la retenir en l’obligeant à faire une revue de ses souvenirs pour comparer la nouvelle image à celle qu’il a mémorisée.
- Ce faisant, le lecteur se valorise à peu de frais en se prouvant à lui-même une certaine culture par l’établissement de relations entre deux images éloignées.
- Souvent, du reste, ces relations sont fondées sur l’humour qui consiste à parler légèrement de ce qui est grave ou à faire l’inverse. Qui sait si le sourire de Mme Royal, un peu figé tout de même, n’est pas précisément celui de l’humour dans ce pastiche discret d’une publicité pour parfum ? L’humour permet, en effet, de distancier et de faire admettre l’audace d’un rapprochement qui, sinon, paraîtrait incongru.
- Du même coup, ce processus a pour effet simultanément de conjurer chez le lecteur toute réticence ou appréhension que tout objet nouveau et inconnu suscite le plus souvent a priori.
L’association du parfum, de la féminité et du désir
Mais le procédé de l’intericonicité ne s’en tient pas là. Il tend ensuite à établir implicitement, par simple association, des interférences entre les deux images, voire un transfert sur l’image inconnue des attraits qu’a pu exercer l’image connue. C’est ici que l’analyse se corse.
- Qu’est-ce qu’une femme politique, candidate à la présidence de la République, aurait donc à gagner à être ainsi associée inconsciemment dans l’esprit des gens à un mannequin personnifiant un parfum ? Mais précisément, ce qui fait sa différence avec les autres candidats de l’arène politique, masculine par tradition, où elle a osé entrer par effraction : sa féminité, qu’elle n’a pas cessé, du reste, d’opposer à ses détracteurs, parfois bêtement grossiers, en leur reprochant leur sexisme.
- Or, le parfum est une des expressions les plus subtiles et entêtantes de la féminité. Toutes les publicités font des parfums les auxiliaires puissants de l’activation du désir sexuel, quand ils n’en sont pas les créateurs. Or, comment s’est appelé le site internet de Mme Royal ? Désirs d’avenir !
Faute de confidences que les metteurs en scène publicitaires de Mme Royal ne sont sans doute pas prêts à faire aujourd’hui, on pourra toujours douter de la pertinence de l’analyse.
- Mais ce qui est sûr, c’est que nécessité fait loi : les innombrables images qui passent devant les yeux de chacun font que l’on peut soutenir sans risque d’erreur que toute image est quasiment la citation d’une autre image, et soumet le lecteur à une intericonicité permanente.
- Les publicitaires de Mme Royal n’auraient-ils pas eu clairement conscience de lui faire pasticher la scène du parfum Shalimar de Guerlain sur la couverture de TIME Magazine, qu’ils y seraient venus comme naturellement, puisque la féminité était un atout majeur qu’entendait jouer leur cliente et que le parfum en est la quintessence privilégiée. Rien n’était donc plus simple, pour renforcer dans les esprits l’association de leur cliente à la féminité, que de lui faire prendre sur la couverture de TIME Magazine une pose de mannequin vantant les vertus d’un parfum.
- Évidemment, la décence qu’imposait le contexte d’une candidature à la présidentielle les exposait seulement à pasticher, à leur insu ou non, l’assurance un peu hautaine que donnerait un parfum de Guerlain plutôt que la fringale érotique que sont censées déclencher des fragrances comme celles de Dolce et Gabanna ou de Ted Lapidus. Ainsi, on le voit, une candidate à la présidence de la République se vend aujourd’hui comme un parfum de femme.
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