Mobilisation étudiante : ce qui se joue
La loi relative aux Libertés et responsabilités des universités - loi dite « LRU » - aura suscité un important mouvement de contestation. On a pu y voir une manipulation gauchiste. On a pu y déceler la peur de la modernité et du changement. On peut aussi regarder ce que la mobilisation étudiante de ce mois de novembre nous dit de la « nouvelle ère » dont N. Sarkozy se veut le prophète.
Les opposants à la LRU ont font les frais de suspicions instructives. Etaient-ils noyautés par l’extrême gauche ? Au regard de ce qu’est devenu l’échiquier politique, sans doute. Quand on vit dans le monde de Sarkozy, que la gauche « raisonnable » est ce qu’elle est et surtout n’est pas, nombreux en effet sont les gauchistes. L’interprétation « idéologique » de la LRU - une loi que M. Lussault, porte-parole de la Conférence des présidents d’université (CPU), juge « objectivement instrumentale » - ne s’explique pas autrement. Les étudiants exagèrent, c’est entendu, tout comme les profs, chercheurs et personnels administratifs qui les soutiennent. Leurs arguments sont prétextes. Leurs revendications maximalistes. Ils ne pensent qu’à en découdre avec le gouvernement. Fin de la discussion. L’université est en crise, que l’on persiste à ne pas comprendre où est son intérêt ne peut qu’en témoigner.
De telles insinuations sont compréhensibles. La LRU a été votée le 10 août dernier, elle n’était pas censée défrayer la chronique à l’automne. L’Unef, « principal syndicat étudiant », ayant été associée à sa négociation, le ministère pouvait arguer d’une concertation préalable ne l’exposant pas au scénario subi par feu le Contrat première embauche (CPE). Enfin, la technicité de la loi laissait espérer une certaine dissimulation du processus qu’elle achève. C’est raté. Dommage pour Mme Pécresse. La LRU est certes peu explicite, sauf en ce qu’elle annonce la fin du service public d’enseignement supérieur et en consacre la privatisation imminente. Raccourci ? A voir.
La LRU, on le sait, vise à renforcer l’autonomie des universités et à créer entre elles les conditions d’une « saine émulation ». La mondialisation nous oblige à être compétitif. Il faut s’affranchir du centralisme d’Etat. Dont act. Les universités sont libres et responsables, qu’elles se débrouillent financièrement : en augmentant les frais d’inscription ; en inféodant leur budget à la générosité des entreprises acceptant de les subventionner ; en fermant les filières dont la rentabilité n’est pas immédiate. Au choix. Une autonomie financière, donc, aux conséquences contrastées. La ministre peut réaffirmer l’engagement financier de l’Etat autant qu’elle veut (sans aller jusqu’à envisager une loi de programmation, toutefois), la LRU se heurte à un triple refus.
Refus, d’abord, que l’université adopte les objectifs et modes de fonctionnement du privé. Ainsi, la LRU fait du Conseil d’administration (CA) l’unique instance décisionnelle de l’université et en présidentialise - c’est dans l’air du temps - la gouvernance. Outre que l’on voit mal en quoi collégialité et démocratie universitaire peuvent y gagner en efficience, c’est comme si le problème des facs, tout à coup, était celui de leur management et non des besoins en encadrement des étudiants. Le collectif « Sauvons la recherche » estime à 5 000 le nombre d’embauches susceptibles de répondre aux défis d’une université désormais massifiée (cf. www.sauvonslarecherche.fr).
Second refus : que l’ouverture de l’université sur l’entreprise en dévoie la vocation, notamment en termes de pilotage de la recherche. Celle-ci, à l’évidence, ne doit pas être déconnectée de la demande sociale. Faut-il, pour autant, la subordonner à celle de l’entreprise ?
Troisième refus : celui d’un système universitaire à deux vitesses. Non pas que les étudiants en lutte contre la LRU s’opposent à l’excellence. Simplement, ils s’opposent à ce qu’elle résulte de la mise en concurrence des universités. Parce que c’est la promesse d’une polarisation entre gagnants et méritants d’un côté, perdants et fainéants de l’autre. Et parce que si l’excellence est à ce prix, alors c’est trop cher payé - se défier de la loi du marché n’empêchant pas de savoir compter en terme de coûts et bénéfices.
Que veulent les étudiants ? Ce n’est pas en se lamentant sur le blocage des sites universitaires qu’on le comprendra. Sans blocage, au demeurant, pas de débat, pas de prise de parole. C’est à croire que la configuration sociale et politique de la période ne laisse pas le choix. C’est à se demander si le problème n’est pas d’abord celui d’un espace, aujourd’hui introuvable, où la conflictualité puisse s’éprouver. Si les « jeunes de banlieue » succèdent aux étudiants dans l’agenda médiatique, il faudra se souvenir de cette idée.
Pour l’heure, un retournement historique majeur nous est donné à voir. En 1968, alors que la société est « bloquée », selon le mot du sociologue M. Crozier, l’enjeu est pour les étudiants d’ouvrir l’université à la vie réelle. En 2007, ce sont les facs que l’on bloque, comme s’il fallait les sanctuariser face aux périls du « réalisme économique ». Plutôt que d’échafauder des parallèles simplistes, il conviendrait de prendre la mesure de cette nouvelle donne. Il s’agissait hier de déréguler et de libéraliser un système atrophié, il est à présent question d’en reformuler les règles du jeu. L’effervescence universitaire n’est pas l’expression d’un désordre, en ce sens, mais d’un rappel à l’ordre des choses.
Alors oui, les étudiants mobilisés ont le coeur à gauche. Non, ils ne sont pas hostiles au travail. Ils en respectent la valeur, leur rejet du CPE en atteste. Et comme ils en témoignent par leur action, le « goût de la prise de risque » et des entreprises collectives ne leur est pas étranger. Parce qu’ensemble, en effet, tout devient possible : y compris empêcher que disparaisse l’un des derniers bastions où peut encore s’inventer, bon gré mal gré, un projet de société alternatif.
Il ne faut pas s’y tromper. L’intensité des conflits impliquant la jeunesse n’en fait pas une génération inquiète pour son avenir. Tout indique au contraire qu’elle a bien l’intention de se l’approprier, s’il le faut avec fracas. Mais n’est-ce pas ainsi que le monde change ?
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