Moi, Président, je ne devrais pas dire ça !
Moi, Président, je ne devrais pas dire ça !
Qu'un président de la République livre ses confessions, croyant les consigner ainsi à jamais au lustre de l'Histoire, à de simples journalistes, aussi professionnels soient-ils, en dit long sur l'état de délabrement intellectuel, politique et moral de la France d'aujourd'hui. François Hollande avait beau critiquer Nicolas Sarkozy, à juste titre, pour son manque de hauteur dans la fonction présidentielle, sa vulgarité dans sa façon de parler et sa médiocrité dans sa manière de penser, l'actuel chef de l’État, à lire les confidences qu'il étale complaisamment, sans pudeur ni réserve, dans « Un président ne devrait pas dire ça... » (Stock), ouvrage cosigné, avec la complicité de l'intéressé lui-même, par Gérard Davet et Fabrice Lhomme, ne vaut guère mieux, par ses propos outranciers, que son prédécesseur.
UN SUICIDE POLITIQUE
Aussi la déception, pour ses partisans comme pour ses soutiens, qui s'attendaient légitimement à plus de noblesse d'âme de sa part, doit-elle être, même s'ils ne l'avoueront jamais, énorme, sinon saupoudrée de l'amer parfum d'une défaite aussi cuisante qu'annoncée. Car l'actuel Président de la République, dont la stature tout autant que la compétence se voyaient déjà très contestées au sein de l'opinion publique, n'aura certes pas amélioré ainsi, à voir ce qui ressort de ce brûlot journalistique, son si peu enviable sort sur le plan électoral. Davantage : c'est là, ce discrédit idéologique que pareil livre implique fatalement, un suicide politique. Lamentable !
HOLLANDE/SARKOZY : LES DEUX FACES D'UN MÊME JANUS
Certes, tout le monde n'est pas Saint-Simon ou Chateaubriand, remarquables mémorialistes, fins connaisseurs de leur temps - le premier pour le « Grand Siècle », le second pour Napoléon - et subtils amoureux d'une langue dont la beauté du style n'a d'égale que la richesse de la culture, mais, enfin, la bassesse, en matière de ragots (l'affligeant épisode des « sans-dents », aussitôt relayé, via un tweet vieux de onze ans, par la vindicative et peu fiable Valérie Trierweiler, ou sa déplorable tirade sur les migrants) et persiflages (les insultes à la magistrature, dont il est pourtant censé être le garant institutionnel, ou le manque de respect vis-à-vis de son propre parti politique, dont il souhaite la disparition), a des limites, ne fût-ce que celles imparties, théoriquement, par la simple dignité humaine plus encore que présidentielle : ce dont manque donc cruellement, pour le plus grand malheur de la France contemporaine, tant Hollande que Sarkozy, ces frères jumeaux, tels les deux hypocrites faces d'un même Janus, nonobstant leurs apparentes différences comportementales.
DE GAULLE ET MITTERRAND : DEUX MODELES DE « MEMOIRES »
Pis : Hollande n'est même pas capable, manifestement, d'écrire lui-même, seul comme un grand, qu'il n'est à l'évidence pas, ses « confessions » et autres « mémoires », genres littéraires pourtant très prisés, de Rousseau ou Musset à De Gaulle ou Churchill, tant par les écrivains les plus prestigieux que par les hommes politiques de haute volée. Qu'il suffise, pour s'en convaincre, de lire, par exemple, certaines des plus belles pages, rédigées au fil de sa seule mais étincelante plume, de François Mitterrand, pour rester dans la tradition du socialisme à la française, dans « L'Abeille et l'Architecte » (Flammarion) ou, plus récemment, dans ses admirables, tant par la forme que par le contenu, « Lettres à Anne » (Gallimard).
UNE NAVRANTE « SOCIETE DU SPECTACLE », OU QUAND DEBORD DONNE RAISON A ZOLA ET JAURES
Bref, face à une aussi navrante « société du spectacle », pour reprendre ici le très juste et surtout très visionnaire mot de Guy Debord, où même l'autorité présidentielle se voit à ce point malmenée, sinon dégradée, il me vient à l'esprit, pour qualifier cette catastrophique édition des pseudo-mémoires de Hollande, qui tient plus d'une misérable quoique rentable opération marketing que d'un véritable souci d'élever le débat sur le plan éthique, cette phrase d’Émile Zola, prononcée lors de l'affaire Dreyfus et bien donc qu'en un tout autre contexte historique, dans son célèbre « J'accuse », que lui publia jadis, dans L'Aurore, Clemenceau, insigne stratège politique même s'il n'accéda jamais à la magistrature suprême : « Cette vérité, cette justice, que nous avons si passionnément voulues, quelle détresse à les voir ainsi souffletées, plus méconnues et plus obscurcies ! ».
Tout est dit, hélas, pour ce maladroit et irresponsable Hollande, qui, en ces prétendus « Secrets d'un quinquennat » comme le souligne de manière ampoulée ce dernier livre, aurait mieux fait là, avant de débiter ses bêtises et de se condamner ainsi définitivement aux yeux de l'Histoire, sinon de ses potentiels électeurs lors de la prochaine Présidentielle, de méditer plus longuement Zola et, par la même occasion, cet autre grand socialiste que fut, à la même époque, Jaurès.
HOLLANDE : FOSSOYEUR DE LA GAUCHE
Mais, qu'à cela ne tienne, laissons donc toutefois à ce piètre Président, dont le manque de courage politique tout autant que la carence d'idéal philosophique l'auront définitivement transformé en un des plus sinistres fossoyeurs (avec son croque-mort de droite, Manuel Valls) de la gauche, quelque consolation, si maigre fût-elle, au regard de cet ultime opus : jamais, en effet, un titre, « Un Président ne devrait pas dire ça... » (on ne le lui fait pas dire, serais-je tenter de préciser) n'aura été, par delà son cynisme affiché, quoique de pacotille, aussi bien choisi ! Il est même doté là, indéniablement, d'une réelle - peut-être la seule qui vaille en ce livre de bas étage - pertinence conceptuelle. Les mots, en cette triste circonstance, se révèlent symptomatiques, aujourd'hui, des maux de Hollande, comme, hier, de ceux, dans leur pitoyable violence, de Sarkozy. Leurs fins politiques s'avèrent d'ailleurs, de ce point de vue-là, assez semblables : pathétiques, par le rejet qu'ils induisent au sein du peuple, avec, en outre, quelque chose de minable.
Mitterrand, qui croyait tant aux forces de l'esprit, comme il le déclara au terme de son deuxième mandat présidentiel, et donc au soir de sa vie, doit se retourner dans sa tombe !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
* Philosophe, auteur de « Les Intellos ou la Dérive d'une caste - De Dreyfus à Sarajevo (Éditions L'Âge d'Homme), « La Philosophie d'Emmanuel Levinas - Métaphysique, esthétique, éthique » (Presses Universitaires de France), « Oscar Wilde » (Gallimard - Folio Biographies), « Le Testament du Kosovo - Journal de guerre (Éditions du Rocher), « Petit éloge de David Bowie - Le dandy absolu » (Éditions François Bourin).
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