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Monseigneur Léonard ou la trahison du clerc

Trop, c’est trop : la coupe est pleine, et elle déborde ! L’inénarrable Monseigneur Léonard, Primat de Belgique, vient encore de frapper de l’une de ses salves dont lui seul a l’impénétrable voix du secret : une personne divorcée et remariée ne devrait pas diriger une école ou enseigner la religion, vient-il en effet d’asséner en un article publié dans « Pastoralia », le mensuel de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles, dont il est aussi l’archevêque.

Bref : il y aurait « incompatibilité », à ses dires et conformément à la doctrine vaticane, entre le statut civil de « divorcé remarié » et la fonction pédagogique de professeur de religion, a fortiori de directeur d’établissement catholique.

Que ce genre de propos, particulièrement rétrogrades au seuil du XXIe siècle, puisse choquer la conscience de ceux pour qui vie privée et vie professionnelle ne doivent jamais être confondues, pour autant certes que la séparation de ces deux sphères existentielles ne nuise à personne, voilà qui ne fait aucun doute à voir l’énorme sentiment d’indignation que cette nouvelle et malheureuse tirade du chef de l’Eglise belge a légitimement suscité, non seulement dans les milieux laïques, mais au sein même des instances confessionnelles.

Car le moins que l’on puisse dire, en l’occurrence, c’est que le très peu charitable Monseigneur Léonard, dont on avait déjà pu stigmatiser sa trop timide condamnation des prêtres pédophiles à l’intérieur de cette Eglise dont il est censé être le bon pasteur, n’a manifestement rien compris, sinon de l’essence du christianisme, du moins de son humanisme.

Ce profond humanisme de la vraie charité chrétienne, que même les agnostiques les plus rationnels comme les athées les plus convaincus lui reconnaissent aisément, c’est l’apôtre Paul, qui n’était pourtant pas le plus tolérant des disciples du Christ, qui le formula de la manière la plus admirable qui soit, peut-être, ainsi que l’attestent ces versets de sa première Epître aux Corinthiens : « Je peux bien parler les langues des hommes, et aussi celles des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis comme la trompette ou la cymbale : du bruit et rien de plus. Je peux prophétiser et découvrir tous les mystères et le plus haut savoir ; je peux avoir la foi parfaite jusqu’à transporter les montagnes ; si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. »

Monsigneur Léonard, donc, lui qui poussa un jour l’ignominie jusqu’à déclarer publiquement que le sida était, sinon une espèce de châtiment divin, du moins une forme de « justice immanente » ? Un bon chien de garde, certes, du dogme papal, qui est par ailleurs tout sauf infaillible, mais un piètre berger, surtout, du message biblique !

Pis : il ressemble de plus en plus à ces pharisiens sur lesquels, tout « docteurs de la loi » qu’ils étaient, Jésus-Christ déversa - fait rarissime pour cette incarnation absolue du pardon inconditionnel - son très humain courroux. Car Monseigneur Léonard, lui aussi, a contracté, à l’instar de ces hypocrites d’un autre âge, cette étrange maladie de la vue, fût-elle de l’esprit en la circonstance, consistant à voir toujours la paille qui est dans l’œil de son voisin sans jamais apercevoir la poutre qui est dans le sien.

Autant dire que le Primat de Belgique, s’il sait correctement entendre ces paroles d’Evangile, ferait mieux de s’occuper, par exemple, de ses dangereux prêtres pédophiles, qui sont tout sauf des saints, plutôt que d’aller chercher misère à d’inoffensifs divorcés remariés, lesquels s’avèrent en outre souvent, quant à eux, d’excellents professeurs - le paradoxe n’est qu’apparent - de morale, confessionnelle ou laïque qu’elle soit !

Mieux : il devrait méditer davantage, après avoir tourné 7 fois 77 fois sa langue dans sa bouche avant de parler, ces mots du grand Friedrich Nietzsche lorsqu’il annonçait, dans le fameux paragraphe 125 de son « Gai Savoir », sa très métaphorique, mais non pour autant moins historique, « mort de Dieu » : « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! (…) Que sont donc encore les églises sinon les tombeaux et les monuments funèbres de Dieu ? »

Oui : André Léonard, et les ecclésiastiques de son rang, se devraient, s’ils savent encore donner au terme de « responsable » le sens philosophique qui lui est inhérent, réfléchir plus assidument sur cette haute et noble pensée de Friedrich Nietzsche, lequel n’a donc jamais dit là que Dieu n’existait pas, mais que, plus profondément, c’était les prétendus hommes d’église qui, par ces indignes exemples qu’ils donnent trop souvent à voir à leurs fidèles, ont fait en sorte que cette même Eglise se vide pour devenir finalement, toute honte bue, la tombe de Dieu lui-même.

Telle est la véritable et ultime trahison du clerc, fossoyeur de Dieu !

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

*Philosophe, écrivain, auteur de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas » (PUF), professeur à l’Ecole Supérieure de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège et professeur invité au « Collège Belgique », sous l’égide de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique et le parrainage du Collège de France.


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5 réactions à cet article    


  • tanguy 15 octobre 2011 15:48

    Vous appelez, dans votre dernier paragraphe, André Léonard de son vrai nom.

    Pourquoi faire précéder, dans le reste du texte, son nom du qualificatif « Monseigneur » ? Sans même mettre de guillemets ?

    Je me pose aussi la question du pourquoi quand j’entends des gens parler de Monsieur Joseph Ratzinger que de sous son pseudonyme de « Benoit XVI », certains le caractérisant de « saint père ».

    Je comprend bien sur que les catholiques fervents utilisent ces adjectifs et pseudonymes, cela faisant partie de leur cadre conceptuel. Mais ces derniers ne critiquent pas les dires de Joseph Ratzinger, ce dernier étant pour eux infaillible (sinon ils ne sont pas à proprement parler catholique) et ils ne critiquent pas non plus leur berger local....


    • asterix asterix 15 octobre 2011 16:07

      Pas vraiment d’accord avec ton argumentaire, Daniel. Que Léonard soit un fieffé conservateur, ok ! Qu’il ait pris des positions indignes d’un disciple de Dieu lorsqu’il s’est agi de condamner la pédophilie latente ou patentée de nombreux prêtres ( et même d’un évêque ! ) je te suis toujours. Lorsque tu te scandalises de ses propos rétrogrades sur le sida, je t’approuve à 100 % car ils reviennent à exclure, comme tu le dis avec ton sens de la métaphore, Saint Paul de l’église du père.
      Mais, qu’on le veuille ou non, l’enseignement catholique relève de son autorité. Il ne me semble dès lors pas anormal, si l’on suit la traduction ad hominem du message divin, qu’un professeur de religion et, a fortiori, un directeur d’école catholique, se doivent de respecter les conditions de la doctrine qui leur a valu leur engagement à ce poste.
      A contrario, il en va de même du libre examen qui n’est, hélas, plus une condition d’entrée à l’ULB.
      Cela me choque tout autant.
        


      • vasionensis 15 octobre 2011 16:28

         Une simple question à l’auteur : êtes-vous catholique romain ?

         Si oui, il me semble que la catholicité offrirait une tribune plus efficace à votre protestation qu’Agoravox où le public est plus mêlé et plus indifférent à la cause - à commencer par votre athée de serviteur.
         Si vous ne l’êtes pas, occupez-vous de vos oignons. Vous ne pouvez pas vivre sans imposer à tout propos votre enflure stylistique à vos contemporains ?


        • easy easy 15 octobre 2011 16:33


          En dehors des géologues, des démographes et des climatologues la tendance principale, autour de la Méditerranée, va à dire les choses en manière de théorie ou dogme ne varietur.

          Il est bien rare que quelqu’un aille à dire « Voilà comment sont les choses mais elles pourraient changer d’une façon que je ne puis concevoir ». Nietzsche ne déroge pas à cette habitude fixante.

          Et comme les morts sont plutôt fixés, on aura bien plus souvent donné à entendre que Dieu fût mort que donné à entendre qu’il fût vivant. C’est sur cette base d’un Dieu mort que toutes les religions sont fondées. D’où le fait qu’elle cultivent essentiellement le passé.

          Il n’est donc pas anormal que tout ministre religieux aille à préférer ce qui est mort ou fixé.

          Or, le mariage implique une fixation de plein de choses dont celui de la paroisse et celui de l’engagement conjugal devant l’église. Fixité + fidélité = ne varietur.

          Même dans les entreprises, jusqu’en 1980, on embauchait en jaugeant la fixité d’un candidat et on considérait alors s’il était ou non fixé dans sa vie privée (Aujourd’hui, on rechercherait quasiment l’inverse afin de pouvoir le virer dans deux ans sans qu’il en soit choqué)

          Il est archi clair qu’un homme toujours marié à celle qu’il a épousée à 20 ans est un homme névrosé (faut pas le prendre mal) à la fidélité, à la constance, à la fixité et donc à la responsabilité qui va avec ce passé accumulé (les autres préférant effacer leurs traces et casseroles en s’inaugurant un livre d’or tous les 2 ans)
           
          Un ministre religieux doit donc préférer les gens mariés et restés fidèles pour s’adresser aux fidèles.






          • aspic aspic 15 octobre 2011 21:28

            Il me semble logique que l’on ne dénonce pas le fait que dans une école non-publique, donc soumis une organisation réligieuse, des signes et règles de leur foi apparaissent (crucifix, le Torah, la croix de David, la Bible, règles morales etc...).
            La liberté réligieuse leur donne ce droit et c’est bien, les parents ont donc le choix d’envoyer leurs enfants dans des écoles publics (laic), catholiques, protestants, juives etc...
            S’ils n’adhèrent pas aux règles de ces établissements, les parents, élèves ou enseignants peuvent donc voir ailleurs.

            Je trouve donc normal que ce « Monseigneur » comme vous le décrivez utilise ses normes et les défends. (D’autres le font aussi, le juif défends ses traditions, le musulman ses traditions alimentaires, le croyant défends ses convictions et le laïc défends les siennes)

            Personne n’est obligé de s’y soumettre, il suffit d’aller ailleurs, ou d’autres normes et valeurs existent.

            Le contraire serait ne plus laisser la liberté de conscience et de convictions aux citoyens de l’état, de laminer et égaliser tout, se serait une autre dictature.
            Ceci a été testé dans certains pays, sans résultat définitif, la pluralité des convictions est un fait.

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