Il n'aura fallu que quelques heures pour que Nafissatou Diallo passe du statut de la "victime idéale" à celui de la "coupable idéale", ou plutôt de la parfaite salope. Décidément, traiter une femme de prostituée est une recette ancestrale qui a encore de beaux jours devant elle dans les media.
Pourtant, un certain nombre d'éléments ne collent pas tout à fait dans le nouveau visage de la désormais légendaire femme de chambre, dont l'âme est entâchée d'un abcès qui gonfle et qui gonfle, purulent et démoniaque. Tenterait-on de nous faire avaler des couleuvres ?
Femme, noire, musulmane, mère célibataire, pauvre, illettrée, etc. Autant d'attributs qui faisaient de Nafissatou Diallo la victime idéale incarnant tous les axes de domination de la société. De quoi déclencher immédiatement la sympathie chez tout humaniste qui se respecte. L’affaire DSK, c’était David contre Goliath. L’accusation a bien exploité ce portrait immaculé dans sa communication, nous ne pouvons le nier. Mais depuis le 1er juillet, c’est la défense qui a pris le pouvoir sur les media. Et si on lit entre les lignes, les arguments utilisés pour composer une sorte de portrait vicié voire démoniaque sont exactement les mêmes : menteuse pathologique, trafiquante de drogues, blanchisseuse d'argent et enfin prostituée… Nafissatou Diallo cumule tous les clichés sur les femmes (toutes des manipulatrices !) mais aussi sur les Noirs en particulier - Africains de surcroît - et les immigrés en général (trafic de drogues, arrivée dans le pays plus ou moins légale, et pour couronner le tout, prostituée). Finalement, Brafman et ses collaborateurs ont réalisé un véritable coup de maître : retourner contre la plaignante les « atouts » qui la rendaient sympathique dans la souveraine opinion publique. Nafissatou Diallo terroriste islamiste ? Ça, c’est pour la saison 3, patience !
Pourtant, les éléments révélés depuis le 1er juillet sont loin d’être 100% crédibles, sans compter que les conséquences s’avèrent assez suspectes. La première chose qui devrait nous interpeller est tout de même la rapidité avec laquelle DSK a été convoqué et relâché après la parution de ce fameux article dans le New York Times. Et la promptitude des représentants socialistes, n’en pouvant plus de joie, à envisager de revoir le calendrier de leurs primaires. En effet, ce même New York Times auquel personne n’accordait trop de crédit au moment où le scandale éclatait, devient à présent une source quasi officielle. Mais la question des Présidentielles n’est pas l’objet de cet article.
En fait, il n’aura pas fallu longtemps après les premières révélations remettant en cause la « crédibilité » de la plaignante pour que l’on prononce le mot tant attendu dès lors qu’il est question de viol : P-U-T-E.
Les activités désormais associées à la femme de chambre frisent quant à elles le ridicule par leur incohérence. Femme de chambre la journée, elle se prostituait pendant ses heures de pause (qui nous en sommes sûrs étaient nombreuses) dans l’ignorance de ses collègues et de ses supérieurs alors qu’elle faisait partie d’un réseau guinéen, le tout en participant également à du trafic de drogues. Une criminelle polyvalente, en somme.
Admettons l’hypothèse voulant que la plaignante soit bel et bien une prostituée notoire engagée par un réseau. Déjà, comment se fait-il que les flics n’aient rien détecté lors des tout premiers interrogatoires ? Ne sont-ils pas formés, n’acquièrent-ils pas par l’expérience la capacité à reconnaître ce genre de profil ? Nous ne parlons pas de flics issus du fin fond du Maine, mais de policiers new-yorkais. Sachant que la police va forcément soupçonner un piège ou un faux témoignage dès lors qu’il y a une célébrité et de l’argent en jeu. Ne me dites pas qu’eux non plus ne savaient pas qui était DSK. Mais là n’est même pas le plus invraisemblable.
Ici on parle de prostituée, là de « call girl », il faudrait peut-être que les journalistes accordent leurs violons. Nous en déduisons qu’elle fréquentait une clientèle de luxe, apparemment dans le cadre d’un réseau guinéen, donc. Si beaucoup de gens voyaient en elle "une forte source de revenu" (dixit 20minutes), le réseau l’aurait-il vraiment laissée s’évader 8 ou 10 heures par jour pour faire un travail légal à côté ? Peu vraisemblable. Soulignons que les prostituées prises dans ces réseaux africains n'ont tout simplement plus leur passeport puisqu'ils sont confisqués par les réseaux en question.
Quant à elle, aurait-elle gardé un travail à 1200 dollars le mois alors qu'elle gagnait vraisemblablement plus avec son activité parallèle ? Un peu de sérieux.
Autre solution : elle profitait de ce travail pour se prostituer à l’occasion (même si la presse parle d’une activité « régulière ») auprès de la clientèle de luxe de l’hôtel. Que devient le réseau guinéen dont parlent les tabloïds américains ? Ça ne tient pas debout.
Autre chose : quid des blessures constatées suite à l’agression présumée ? Pour une prostituée, elle a l’air bien farouche. Enfin, DSK lui-même nie l’existence d’une relation tarifée et ça, c’est vraiment le ponpon dans l’affaire. Le ponpon car même si lui-même le nie, le simple fait d’avoir semé dans les esprits l’idée que cette femme puisse être une prostituée suffit à la décrédibiliser. La défense a été maligne : elle n'a abattu cette carte qu'après avoir parlé de mensonge à l’immigration, de blanchiment d’argent et de trafic de drogues.
Une chose est sûre, ceux qui s’imaginent que le métier de femme de chambre était une sorte de couverture voient vraiment trop de films hollywoodiens. Et ils confondent un tout petit peu les intrigues de mœurs avec celles des films et séries d’espionnage ! Nous ne sommes pas dans Alias, que diable.
Rappelons également que dans la première version de sa biographie, Blake Diallo, le fameux « frère » qui n’en était pas un (dans certains pays, on parle de « frère » ou de « sœur » pour désigner un ami et compatriotes) mais qui n’était autre que son patron jusqu’à 2008, confiait qu’il l’employait le soir dans son restaurant alors qu’elle avait déjà un travail de jour dans une herboristerie. Se prostituait-elle déjà à l’époque ? Quelle énergie d’arriver à trouver autant de couvertures et en plus de cela de s’acquitter des contrats impliqués par tous ces boulots, tout en ayant plusieurs activités régulières en parallèle ! Possédait-elle le « retourneur de temps » d’Hermione Granger*** ?
Au passage, il y a tout de même de quoi être outré que des journalistes aient osé souligner que cette femme ait connu des hommes et fait la fête depuis son arrivée aux USA : à quelle époque vit-on ? C’est ça la société moderne qui donne des leçons sur les Droits de l’Homme et accessoirement de la Femme à toute la planète ?
Revenons aux récents rebondissements dans l’affaire : la plaignante aurait soi-disant profité de l'appartement payé par le procureur (donc par le contribuable) pour se faire un peu d'argent de poche en recevant un véritable défilé de clients. Et tout cela sans que personne ne s'aperçoivent de rien, alors même que la jeune femme était placée sous haute surveillance pour sa propre sécurité. Une surveillance telle que personne n’a encore réussi à diffuser une seule photographie d’elle. Une surveillance qui se serait cependant relâchée, parait-il, comme ça au beau milieu de la tourmente médiatique… Les journalistes avaient-ils eux aussi relâché leurs recherches et leur surveillance ?
Notons que le côté « sex addict » est subtilement passé de DSK à Nafissatou Diallo dans l’opinion, et rappelons du même coup que nous parlons d’une femme excisée. Ses derniers clients, quant à eux, sont sacrément couillus de rendre visite à une prostituée notoire qui vient tout juste d'intenter une action en justice pour viol contre le patron du FMI !
On parle également d’un coup de fil au cours duquel elle aurait demandé à son petit ami quel profit elle pouvait en tirer. Qui ne se serait pas posé la même question en s’attaquant à un homme aussi puissant ? Qui n’aurait pas cherché à savoir quel profit tirer d’une situation qui allait nécessairement l’amener à se faire trainer dans la boue, ne serait-ce que pour savoir si cela en valait vraiment la peine ? En outre, quelle est la teneur réelle de la conversation ? Nous n’avons eu qu’une phrase rapportée en dehors de son contexte par un journaliste resté imprécis sur ses paroles exactes (
un autre article d’Agoravox détaille très bien le sujet).
Enfin, on parle de mensonges pour immigrer aux Etats-Unis. Mais selon les arguments de son avocat Kenneth Thompson, c'est elle-même qui aurait pris l'initiative de clarifier auprès du procureur l'histoire de son entrée dans le pays :
voir le lien. Pour le coup, elle aurait mieux faire de se taire.
Si je prends la défense de Nafissatou Diallo, ce n'est pas tant pour m’en faire l’avocate car il y a des gens payés pour cela. Ce n’est pas non plus pour prendre parti contre DSK bien que je penche clairement du côté de la plaignante. Comme l’ont dit beaucoup d’autres auparavant, laissons la justice faire son travail. Si elle le veut bien car il n’est plus du tout certain que la justice puisse même trancher sur le sujet… En fait, nous n'avons pas la vérité sur cette affaire, et compte tenu des transactions financières qui doivent avoir lieu en coulisse, nous ne la connaitrons sans doute jamais.
Cependant, il me semble qu'apporter un contrepoids au lynchage médiatique dont cette femme est à présent l'objet relève de la sagesse. Celle qui consiste tout simplement à garder son esprit critique face aux récits fluctuants de la presse, gouvernés par le sensationnalisme et le principe du téléphone arabe.
Quelque soit le camp vers lequel nous penchons, il ne faut pas oublier que NOUS n’avons pas les éléments de l’enquête, seulement l’illusion de les avoir à cause ce tourbillon médiatique qui joue aussi beaucoup sur le facteur émotion. Emotion d’abord d’imaginer une femme de chambre – pauvre, noire, illettrée, excisée, etc. – se faire violer et piétiner par un puissant. Emotion ensuite d’imaginer que celui-ci ait pu être victime d’une gigantesque machination ou piéger par une vulgaire prostituée sans morale.
Outre l’émotion, il y a aussi le voyeurisme : le cocktail sexe, mensonge et politique marche toujours. Mais au bout du compte, après avoir détaillé les ecchymoses sur le vagin, les griffures sur le torse, les frasques de DSK et les conditions de l’agression présumée, les media savaient comment garder leur audience : traiter une femme de pute demeure la meilleure recette du succès.
Toute cette mascarade est peut-être une gigantesque manipulation, en effet. Non pas de la part de l’Elysée, ni du FMI, ni de DSK ni même de la femme de chambre. Une manipulation des media qui, en pleine crise actuellement, font la course à l'audience, entre ceux qui veulent vendre du papier et ceux qui travaillent leur référencement à coup d’écriture SEO (Search Engine Optimization) - une technique en pleine expansion qui consiste à appliquer des règles d'écriture censées maximiser leurs chances d'apparaitre en premier sur les moteurs de recherche.
Et qu’est-ce qui marche le mieux selon vous ? Le sexe. Il y a un mois, les internautes tapaient sans doute en premier lieu "dsk violeur" sur Google, donc il fallait caser un maximum de fois ces deux mots dans l'article, de préférence en les rapprochant le plus possible. Aujourd'hui, c'est "nafissatou pute" qui semble être à la mode dans les requêtes google... Femme de chambre ou homme politique, il est marrant de voir sur quoi repose de nos jours la dignité d'une personne !
Morgane Lafée
*** Retourneur de temps : référence à Harry Potter. Dans le tome 3, le retourneur de temps permet à Hermione d'assister à tous les cours : ainsi quand deux cours ont lieu simultanément, elle assiste à l'un puis retourne en arrière dans le temps pour assister à l'autre. Magique, non ?