Naturel vs Artificiel : une opposition dépassée
Photo réalisée par l'auteur
La scène se passe lorsque j'avais 12 ans, dans une salle de classe d'un petit collège du sud de la France. Notre professeur de sciences naturelles nous pose une question au demeurant anodine : qu'est-ce qui est naturel ? Qu'est-ce qui est artificiel ?
Je lève la main bien vite, plein de certitude, en évoquant le plastique, le nylon comme produits artificiels. Mais, à mon grand étonnement notre professeur rejette mes réponses et m'explique pourquoi selon lui il s'agit de produits naturels.
Conclusion de notre professeur : rien n'est artificiel. Sur le moment je restai frustré, un brin énervé par son affirmation qui allait à l'encontre de mes idées sur la question. Avec le temps j'ai compris son point de vue et je pense qu'il est aujourd'hui un éclairage nécessaire pour construire une politique d'avenir durable.
Naturel et artificiel, une frontière bien ténue.
Un premier regard sur les définitions de base des deux termes semble nettement préciser la frontière entre naturel :
« Qui est dans, appartient à la nature ; qui n'est pas le produit d'une pratique humaine »
et artificiel :
« Qui est dû à l'art, qui est fabriqué, fait de toutes pièces ; qui imite la nature, qui se substitue à elle ; qui n'est pas naturel »
(http://www.cnrtl.fr/definition/naturel, http://www.cnrtl.fr/definition/artificiel)
Le critère suivant « produit par l'activité humaine » paraît donc le critère déterminant. C'est pour moi un critère qui permettrait effectivement de séparer le naturel et l'artificiel. Or dans la pratique ce critère est rarement utilisé au sens strict. En effet, peut-on vraiment dire d'un chien qu'il n'est pas naturel ? (il est pourtant issu d'une activité de domestication et de croisement bien humaine) peut-on dire de la farine que ce n'est pas un produit naturel ? Toute forme d'agriculture, d'élevage serait dans ce cas artificielle. Toute forme de confection, cuisine, art serait artificielle. Par contre coup lorsqu'on cherche à distinguer une agriculture « naturelle » d'une agriculture « artificielle », des énergies naturelles, d'énergies artificielles, on est conduit inévitablement à effacer la frontière entre le naturel et l'artificiel que constituait ce critère.
Arrive alors parfois un critère intéressant, associé à un concept « fort » : les lois de la nature.
On aurait d'un côté les produits et processus naturels qui respecteraient ses fameuses lois et de l'autre des processus qui les transgresseraient. On pourrait dès lors se lancer dans un débat théologique tant ces lois de la nature se rapprochent bien souvent pour l'individu croyant de lois religieuses édictées par un dieu tout puissant, un ou des dieux qui malgré leur omniscience et leur omnipotence n'aurait pas vu venir la traitrise d'un homme « apprenti sorcier » qui aurait réussi à les transgresser.
Ce débat pourrait être intéressant mais ce n'est pas vraiment dieu qui est le problème. Les modifications génétiques, les réactions nucléaires ne transgressent en rien les lois de la nature puisqu'elle les respectent, en ce sens où l'homme ne parvient jamais à faire des choses impossibles, il exploite toujours des opportunités réelles. Pour faire le bien ou le mal est un autre problème que nous aborderons plus tard. On serait donc tenté de dire, puisque l'homme n'invente rien, tout est naturel au sens ou toute ses productions respectent les lois de la nature et sont faites à base d'éléments préexistants.
Mon point de vue est alors de dire que non seulement s'est tentant mais c'est aussi souhaitable, en tout cas plus souhaitable qu'un antagonisme primaire naturel/artificiel
Les dangers de l' « artificialité ».
Considérer des choses comme artificielles, c'est plus simple, c'est plus facile mais c'est dangereux dans le sens où cela peut amener à les découpler, à les désolidariser des choses considérées comme naturelles. Or, il est vital de penser que ces choses que l'on dit artificielles (un ordinateur, une voiture...) interagissent non seulement avec notre environnement, mais aussi avec notre environnement interne, c'est à dire notre pensée, notre connaissance, notre psychologie. C'est particulièrement vrai pour tous ces derniers « miracles technologiques » comme les tablettes multimedia. En ne considérant que leur artificialité, on oublie les matériaux dont elles sont composées, leur prix humain (voir à ce sujet l'excellent http://bloodinthemobile.org/ ), leur coût énergétique, leurs dangers physiologique potentiels (ondes, vue, articulations) , leur impact social et individuel à la fois au niveau de la production et de la consommation (exploitation, individualisation, surstimulation, etc.). Et nous le verrons plus loin, la publicité, le marketing cherche à effacer cette matérialité et donc cette nature du produit, pour n'atteindre qu'une finalité : vendre.
Autre chose que l'on pourrait considérer comme artificielle : se rendre à son travail. Prendre sa voiture tous les matins, parcourir X kilomètre, cela n'a rien de naturel. Cependant lorsque la neige se met à tomber vivement et que cela provoque la panique dans la région parisienne, on se rend bien compte que se rendre au travail est soumis aux aléas de la nature. Et que nos voitures ne sont pas infaillibles, nos systèmes de régulation du trafic non plus. Mais nos dirigeants persiste dans l'illusion artificielle et ses à côtés, on va remettre toute les routes au noir en déversant X tonnes de sel, même si la météo prévoit un fort redoux le lendemain.
Il y a dans le processus de conception et de modélisation de l'artefact une nécessaire abstraction mais celle-ci ne doit pas se faire sans vigilance, il ne faut jamais perdre de vue la dialectique modèle-réalité sous peine de grandes désillusions. Or opposer trop radicalement naturel et artificiel s'est renforcer l'illusion du détachement entre la chose artificielle et sa réalité naturelle.
Le naturel n'est pas que bienfait.
Un autre aspect de l'opposition naturel/artificiel est le rejet de l'innovation technologique et notamment récente et son application au vivant et à l'énergie. Des méthodes de production sont montrées du doigt parce qu'elle ne seraient pas naturelles. Dans ce débat, il me semble fondamental de distinguer les technologies et les techniques de leur mise en œuvre par telle ou telle multinationale. Je sais que c'est l'argument facile qui in fine, aboutit à ce qu'on ne voulait pas, c'est à dire à une exploitation de la technique aveuglé par la maximisation du profit financier ou militaire. La science et la technologie n'ont pas que de mauvais aspects, et en auraient encore moins si la sphère politique et les citoyens prenaient leurs responsabilités. En tout cas ce rejet est souvent conséquence d'une méconnaissance qui malheureusement arrange bien les dirigeants qui ne font que l'accentuer en détruisant le système éducatif.
De même qu'il y a les illuminés du progrès et de l'artifice il y a les farouches défenseur de « mère nature », plus gais sans doute que les premiers mais enfermés dans le même dogmatisme. Ceux qui croient que parce que quelque chose est confectionné à base de plantes c'est sans danger, que l'homme était bien plus heureux avant. Ceux qui croient que l'homme doit se montrer humble face à une nature supérieure, comme si la nature était une divinité, comme si elle était un sanctuaire que l'homme souillerait. L'homme fait partie de ce sanctuaire, et il serait bon qu'il soit le premier respecté. L'humilité dont il faut faire preuve c'est celle du chercheur, c'est celle du chef de famille, qui sait que les équilibres sont fragiles et qu'il ne maîtrisera jamais tout les paramètres mais qui essaie de faire de son mieux pour ne pas trop s'exposer aux différents dangers. On ne doit pas une soumission à la nature, on doit une prudence vis à vis d'un système complexe dont notre existence dépend.
Quand je dis que l'homme est une priorité c'est que je suis fermement convaincu que le « capitalisme vert » est une impasse. Ce n'est pas parce que des produits sont soit disant plus respectueux de l'environnement que l'on doit continuer à les surproduire, pour les surconsommer en maintenant par ce système la pauvreté et la précarité actuelle.
Penser en terme d'écart à la réalité, distinguer information et com'.
Alors pourquoi dépasser le clivage naturel/artificiel ? Et bien pour ne pas cesser d'interroger le rapport entre la réalité, « la nature » et la représentation que l'on s'en fait, les produits que l'on arrive à façonner. Cette dialectique me semble le fondement de la connaissance. Cette connaissance qui nous fait si cruellement défaut au moment où des responsables politiques, des dirigeants d'entreprises, font pour nous des choix qui influeront sur notre existence et plus important encore sur celles de nos enfants.
Et ce qui me révolte le plus à notre époque c'est la difficulté de pouvoir s'interroger, de pouvoir avoir accès à de l'information et non à de la com' . Quelles connaissances sommes nous en mesure de construire d'un monde qu'une grande majorité d'entre nous ne finit par percevoir que par le filtre d'une communication mensongère tournée vers le profit financier ou électoraliste. Une com' qui nous écarte toujours un peu plus des réalités et qui en ce sens est pleinement artificielle et orientée vers la manipulation (http://www.youtube.com/watch?v=TtpkWnswBNQ&feature=related)
Je vous invite donc en conclusion à davantage vous pencher sur la distance au réel de la représentation d'un objet, notamment par la publicité qui en est faite, ou par le discours tenu par un dirigeant à son propos que sur une nature binaire naturel ou artificiel de ce même objet.
Références :
http://www.cnrtl.fr/definition/naturel
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON