Nicolas Sarkozy au Medef : un discours pour rien qui en dit beaucoup
Nicolas Sarkozy a donc prononcé le jeudi 30 août à 15 heures un discours sur « la deuxième phase des réformes économiques » devant l’université d’été du Medef, qui se tenait sur le campus HEC de Jouy-en-Josas (Yvelines) sur le thème « Jouer le jeu ». Analysons.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH300/N._Sarkozy_et_L._Parisot-1913c.jpg)
Sur la forme :
Notons tout d’abord la présence inédite d’un chef de l’État dans ce cénacle...
Comme le rappelle un confrère (Josh Lyman) sur Betapolitique, certes, rien dans nos textes ou notre tradition juridique ne le lui interdit : le Medef n’est pas le Parlement et ne met pas en jeu la séparation des pouvoirs. Certes encore, ses prédécesseurs n’ont pas manqué de visiter des "partenaires sociaux", tel François Mitterrand au congrès de la Mutualité française ou Jacques Chirac devant le mouvement familial.
Mais, à y bien regarder, ces organisations ne relèvent, ni en droit ni en fait, de la sphère syndicale au sens strict. Pour le président de la République, cette présence au Medef ne peut être comparée qu’avec ce que serait sa participation à des événements majeurs organisés par la CGT, la CFDT ou FO, par exemple. Une semblable initiative, à n’en pas douter, provoquerait une certaine polémique dans la classe politique et au sein du monde des affaires...
Certes, Nicolas Sarkozy est idéologiquement "en famille", quand il se rend (comme d’ailleurs en 2006) à Jouy-en-Josas...
Mais, consacrer ainsi au sommet de l’Etat des positions aussi peu "arbitrales" que possible, quand on examine les revendications du Medef, au moment même où s’engagent tous les vastes chantiers du dialogue social, est assez osé. S’il s’agissait de mettre sur pied une grande discussion nationale sur la laïcité, la priorité serait-elle aussi d’aller d’emblée s’exprimer devant l’Episcopat ou, à l’inverse, le Grand Orient ?
Sur le fond :
- Le chef de l’État a déclaré que son discours devant le Medef lui donnait "l’occasion de (s)’exprimer sur la situation économique de notre pays et sur la manière dont (il) entend y faire face alors que les turbulences financières menacent la croissance mondiale"...
Voici déjà une manière pour notre président de se dédouaner, alors même que dans la même situation internationale, l’Allemagne s’en sort bien mieux et connaît une véritable embellie... D’ailleurs, l’exemple de l’Allemagne peut être une bonne illustration : économie de la plus value, de l’excellence, etc. Nous devons sans doute avoir une vision globale et structurelle des problèmes. Au-delà de nombreux éléments précis, les croissances des puissances émergentes entraînent automatiquement une augmentation des prix. Nous sommes très mal préparés à cela et ce n’est pas en adoptant (ou presque) les thèses développées par le Medef que nous allons changer le cours des événements. Le niveau de vie des Français est de plus en plus atteint et nous proposons une simple politique de l’offre...
Au final, Nicolas Sarkozy adopte (en moins bien) la politique économique américaine qui est justement en crise et désavouée outre-Atlantique...
- "En répondant à votre invitation, j’ai voulu exprimer mon souhait que toute la Nation soit rassemblée derrière ses entreprises." (...) "Le travail de tous fait la richesse de chacun", "tout se tient", a-t-il commencé.
C’est étrange, mais on a déjà entendu cette expression : et oui ! Nicolas Sarkozy reprend régulièrement les justes propos de Ségolène Royal, celle qu’il qualifie pourtant si souvent (et avec beaucoup de tact...) de "nulle".
- "Je ne suis pas venu commenter la conjoncture, faire des prévisions", mais au contraire dire qu’il faut en faire davantage. "La croissance, il faut aller la chercher." "Le plus risqué, c’est de ne rien faire."
C’est-à-dire, exactement son choix : aucune proposition concrète n’a été énoncée durant ce discours.
- Nicolas Sarkozy a expliqué n’avoir pas renoncé à son objectif de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, alors que pour l’instant le ratio pour 2008 est de un sur trois.
Il serait intéressant qu’enfin, le président réponde à la question maintes fois posée par l’opposition : Quels postes va-t-il supprimer ? Les infirmiers et personnels d’hôpitaux ? Les policiers ? Les gendarmes ? Les pompiers ? Encore moins d’enseignants (déjà 17 000 suppressions prévues) ? Etc. Alors même que ce sont tous des domaines déjà en difficulté et qui concentrent la très large majorité de fonctionnaires.
- "Toutes les politiques publiques seront passées en revue."
Là encore, c’est amusant parce que l’évaluation des politiques publiques est une suggestion de longue date de Ségolène Royal... jamais appliquée correctement par la droite...
- Ensuite, le président a plaidé pour une accentuation de la réforme fiscale en France :
"Je veux aller plus loin dans la remise à plat de nos prélèvements obligatoires. Je veux aller plus loin dans la réforme fiscale."
"Si l’on taxe trop le travail, il se délocalise, si l’on taxe trop le capital, il s’en va. Dans le monde tel qu’il est, taxer directement les facteurs de production, taxer directement le travail et le capital c’est se condamner à moins d’emplois, à moins de production, à moins de croissance, à moins de pouvoir d’achat", a-t-il souligné.
Au final, avec M. Sarkozy, on ne taxe rien et on trouve l’argent en s’endettant et en vendant des armes à des pays plus que douteux dans une région instable (la Libye par exemple). Je caricature mais à peine.
Bref, il serait utile de faire un rappel simple de politique économique : le capital, la rente ne crée pas l’emploi. Il faut inciter à l’investissement, et donc taxer plus le capital que le travail. C’est cela la véritable revalorisation du travail.
- Puis, notre président a déclaré vouloir aller "beaucoup plus loin" dans l’assouplissement des 35 heures afin de "redonner des marges de manœuvre plus importantes à la politique salariale"...
Aah ! le fameux mythe des 35 heures ! (cela faisait longtemps...)
Ce n’est pas compliqué, lorsque l’on ne sait plus quoi faire en France, on accuse soit la Banque centrale, soit l’euro, soit les 35 heures ! Bravo le simplisme... Nous y reviendrons plus loin.
- Nicolas Sarkozy a également souhaité "la rupture avec l’idéologie de la fin du travail, avec cette idée fausse que pour donner du travail à tout le monde, il faut partager le travail, avec cette politique de dévalorisation du travail qui depuis 30 ans s’efforce par tous les moyens d’empêcher les Français de travailler, qui démoralise et qui appauvrit les travailleurs de notre pays".
Deux choses ici : il faudrait rappeler que "depuis 30 ans", la droite a été bien plus longtemps aux responsabilités que la gauche et qu’ainsi, Nicolas Sarkozy devrait s’en prendre avant tout à sa famille politique.
Ensuite, on peut constater à quel point le président détourne la notion de partage du travail à son avantage.
Or, nous n’avons pas à avoir honte d’avoir voulu créer des emplois en partageant les richesses. Bien au contraire, les Français peuvent être fiers d’être solidaires.
- "Si la France a moins de croissance que les autres, c’est qu’on travaille moins qu’ailleurs", a de nouveau affirmé le chef de l’État, dans ce discours sur la politique économique lançant la deuxième phase des réformes économiques.
J’avais oublié ce mythe-là ! C’est tout de même invraisemblable qu’il ait la vie si dure alors même que de multiples études[1] (et privées !) ont été réalisées pour prouver à quel point il est infondé.
En résumé et pour mettre fin aux clichés si répandus, ces études nous montrent que :
- la France offre les coûts d’implantation les plus faibles des principaux pays européens ;
- la France est troisième en termes d’attractivité économique après Singapour et le Canada (devant les États-Unis) ;
- la France figure parmi les pays "offrant un traitement fiscal très favorable aux entreprises de recherche et développement", derrière le Canada et le Royaume-Uni (devant les États-Unis) ;
- la
France connaît une productivité horaire très nettement supérieure à
celle que connaissent le Royaume-Uni, l’Espagne, les États-Unis, le
Japon et même l’Allemagne ;
- la durée moyenne effective en France par semaine, tous types d’emplois et toutes branches confondues, en heures, est supérieure à la moyenne de l’Union européenne (27 membres) : au moins 38 heures quand les Pays-Bas sont à peine à 31 heures par semaine...
Alors, à la question "Faut-il travailler davantage ?", la réponse est qu’il vaudrait mieux être plus nombreux à exercer un emploi.
- Par ailleurs, le président de la République a souligné l’importance du "problème du pouvoir d’achat" en France.
"Expliquer qu’il n’y a pas de problème de pouvoir d’achat en France, c’est se moquer du monde", a-t-il lancé, en s’en prenant aux indices du coût de la vie. "Cette question du pouvoir d’achat, je veux qu’on la prenne au sérieux", a-t-il ajouté. "Je ne veux plus qu’on se moque des Français avec des indices des prix qui ne veulent rien dire, qui ne mesurent pas le coût de la vie, qui n’ont aucun rapport avec la réalité vécue par les ménages", a-t-il déclaré. "C’est la crédibilité de la parole de l’État qui est en jeu", et "il ne peut pas y avoir de confiance s’il n’y a pas de vérité."
Là, on se permet de sourire. Notre président de la République reprend exactement la position de Ségolène Royal alors même qu’il s’en moquait durant la campagne présidentielle...
Or, une fois de plus, elle avait vu juste.
Comme sur l’Iran... sujet sur lequel Nicolas Sarkozy fait preuve d’une dureté un peu maladroite, lui qui ne manquait pas une occasion de faire des leçons de "real politique" à la candidate socialiste...
- Pour terminer, notons qu’aucun engagement n’a été pris ni sur les salaires, ni sur le prix du logement et des carburants (mais est-ce étonnant de la part de celui qui refuse de réglementer les ventes à la découpe, d’accroître les aides au logement ou de rétablir la TIPP flottante ?)
- Autre manque d’importance : rien pour les PME, une fois de plus laissées de côté...
[1] L’étude la plus notable et la plus importante est celle réalisée par KPMG "Choix concurrentiels", 2006.
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