Nous avons tué Massoud
Mon opinion personnelle s’est forgée au fur et à mesure des recherches d’articles, comme les pièces d’un puzzle. Et il me semble que ce proverbe se prête bien à cet article : « On voit la paille dans l’œil de son voisin, mais pas la poutre dans le sien ». Vous ne trouverez pas les protagonistes du 11/9, rien sur G. W. Bush, pas une trace de Ben Laden. Aucun anti-américanisme primaire ni de conspirations fumeuses.
Comment le commandant Massoud a-t-il été « laissé de côté » consciemment par notre gouvernement, malgré les volontés et déterminations de beaucoup de personnes à qui je voudrais rendre hommage à travers cet article. Des gens qui n’ont pas hésité à se mettre en danger, à témoigner, à crier ce qui se tramait avant septembre 2001. Pourquoi, alors qu’au moins trois délégations françaises avaient fait le voyage en A-stan, rien n’a été fait et pourquoi les ventes de Brenco ont-elles prévalues à l’intérêt de la France et pourquoi nous avons « laissé tomber » Massoud ? Le « complexe militaro-industriel » est aussi français.
En juin 2000, une mission parlementaire franco-belge mandatée par le président du Parlement européen pour rencontrer le commandant Massoud qui ne contrôlait plus que 10 % du territoire de l’Afghanistan, mais continuait à résister aux talibans.
Dirigée par le général Morillon, député européen, cette « délégation de l’espoir », composée d’un sénateur belge, Josy Dubié et de deux parlementaires français, Jean-Michel Boucheron et Richard Cazenave, s’était rendue dans la vallée du Panshir en franchissant les lignes talibanes dans un vieil hélicoptère et passeront une semaine en partageant le quotidien du chef de la résistance. Jour après jour, le réalisateur Christophe de Ponfilly a filmé le quotidien des parlementaires entre rencontres avec les habitants de la vallée, les confrontations avec des prisonniers talibans originaires du Pakistan ou même de Chine, et les entretiens avec le commandant Massoud. Ce dernier révèle avec précision son analyse géopolitique de la région, confie son inquiétude face à la menace terroriste islamiste grandissante et évoque la nécessité de l’intervention de la communauté internationale pour mettre un terme aux ingérences du Pakistan. Ce voyage a été organisé par un ami de Christophe de Ponfilly, Bertrand Gallet et par Merabuddine Masstan de l’ambassade d’Afghanistan.
Un dialogue très intéressant nous fait prendre conscience du décalage de la réalité que vit Massoud et les idées de Jean-Michel Boucheron.
Question de Massoud : « Avec l’arrivée de Poutine au pouvoir, est-ce que les Américains ne vont pas revenir derrière le Pakistan ? » Réponse de Boucheron : « Non, non... non » !!!! Et Massoud de prendre une gorgée de thé, l’air pensif...
J.-M. Boucheron travaille dans des commissions de défense (il se rend au Pentagone trois fois par an, dixit la vidéo), mais il ne s’intéresse qu’aux pays qui ont des missiles nucléaires. Mais ne pouvait-il être au courant de ce qui se passait ? Le feignait-il devant Massoud ?
Dix mois plus tard, le commandant Massoud est reçu au Parlement européen. Comme le souligne le général Morillon, la nouvelle dimension internationale de Massoud représentait un danger pour les talibans... Mais sans grand bouleversement quant à notre changement de politique en A-stan, comme le soulignait déjà Ponfilly dans cette interview.
Pourtant, une autre délégation, non officielle celle-là, s’était rendue du 1er au 6 septembre 1999 dans la vallée du Panshir en Afghanistan. Le député Alain Madelin - ancien ministre, Brice Lalonde - ancien ministre, Victor Robert - journaliste, Laurent Hamida - journaliste, Jean-Paul Fischer - observateur, Ashmat Froz - accompagnateur.
Le témoignage qu’ils rapportent est édifiant : « Le conflit de l’Afghanistan n’est pas une guerre locale ou ethnique, mais un conflit géopolitique où une fraction d’extrémistes islamiques, aidée et armée par le Pakistan, vise à contrôler cette zone géographique. Cette fraction entretient et protège le terrorisme islamique dont Ben Laden. Elle assure parallèlement la production et le trafic de drogue qui sert à financer l’achat d’armes. Le Pakistan et d’autres pays apportent un soutien politique et matériel aux talibans. Nous avons pu interroger de multiples prisonniers d’origine pakistanaise, yéménite, birmane, chinoise. Il s’agit d’élèves des écoles coraniques, envoyés à Kaboul pour faire la guerre sainte contre les infidèles. Ils ont pour la plupart entre 18 et 25 ans et servent de "chair à canon". La présence d’encadrement militaire des Pakistanais est effective, un major instructeur pakistanais est détenu à la prison de Bazarak. D’autre part, des responsables humanitaires affirment que l’aviation pakistanaise et notamment des F 16 apportent leur soutien à l’offensive talibane ». Max-Henri Boulois en parlera dans son livre sortit en 2002.
Dans ce livre, on peut lire : "Tu vois là-bas, c’est Kaboul... Je peux prendre la ville en deux semaines et, en deux mois, nous aurons chassé les talibans d’Afghanistan... Le mollah Omar et ses fanatiques ne sont que des tigres de papier, mais il faudra éliminer Al-Qaïda, l’armée d’étrangers extrémistes qui ont fait de notre pays la base arrière du terrorisme international. Cela devrait interpeller l’Occident qui sera inévitablement la prochaine cible de Ben Laden. Comment peut-on être aussi naïf ? Le plus dur pour nous sera Kandahar, où les fanatiques étrangers de la force 55 sont conditionnés : tuer ou mourir. Il y aura de grosses pertes, mais l’Alliance du Nord connaît le prix de la liberté. Tu peux nous aider, la France doit nous aider et entraîner les Européens !" Son interlocuteur, Alain Madelin, n’est pas là par hasard. Il était déjà dans cette vallée du Panshir, il y a plus de dix ans aux côtés de Massoud quand il guerroyait contre les Soviétiques. Une certaine pudeur fait que Madelin reste très discret quant à ses activités humanitaires. Cet aspect de son personnage est mal connu dans son pays, c’est un humaniste qui, du Cambodge au mur de Berlin, en passant par les Harkis, le Sénégal ou l’Ethiopie, a été de tous les combats pour la défense des droits de l’homme.
De plus, Brice Lalonde retourne en A-stan en avril 2001, accompagné d’Ashmat Froz de l’association Afghanistan-Bretagne et du journaliste Michel Rouger d’Ouest-France, représentant à la fois l’association Solidarité Panshir et le Conseil régional de Bretagne qui a donné 100 000 F à l’association d’Ashmat.
Le dernier a avoir rencontré Massoud, selon la presse, est Aymeri De Montesquiou qui effectua un « voyage privé » dans la vallée du Panshir à la fin du mois de juillet 2001 et qui parle dans un article de La Dépêche paru le 16 septembre 2001 : « Je me suis rendu en Afghanistan et j’ai rencontré le commandant Massoud, qui incarnait la seule résistance aux talibans. Je n’ai pas compris l’aveuglement de l’Occident face à ces menaces terroristes. Quand Hitler décrivait son projet dans Mein Kampf, personne, non plus, n’y croyait. Et pourtant... Lorsque les talibans sont entrés dans Kaboul, Madeleine Albright, l’ancienne secrétaire d’Etat américaine aux Affaires étrangères, a parlé de "progrès" ».
Alors, malgré toutes ces rencontres sur le terrain, pourquoi ne pas avoir pris plus aux sérieux le discours du commandant Massoud. Je reviens sur les questions de Ponfilly : quels liens les talibans ont-ils actuellement avec d’autres pays d’Occident ? « Il y a de plus en plus de fascination des chancelleries occidentales à l’égard des talibans. Ils acceptent de plus en plus leurs discours. On les excuse, on les reçoit. Le chargé d’affaires français à Kaboul est fasciné par eux. Les talibans ont été reçus au Quai-d’Orsay il y a quelques mois. Les journalistes les attendaient à la sortie, mais on les a fait sortir par une porte dérobée ». Mieux, Gubuldin Hekmatyar « reçoit » chez lui, en France, le mollah Abbass (ministre de la Santé !!!) dans un pavillon à Romainville.
Je me permets alors de faire un rappel parce qu’à cette période Hubert Védrine est impliqué par Jacques Attali. Souvenez-vous de l’affaire Falcone. Les fameuses ventes d’armes de Brenco ! Ceci pourrait donc expliquer que, malgré sa visite en France (reçu le 4 avril 2001 par Christian Poncelet), le commandant Massoud, chef militaire de l’opposition aux talibans afghans, lors de laquelle il avait réitéré sa demande visant à ce que "la France fasse pression sur le Pakistan pour qu’il cesse son soutien aux talibans", rien n’ait été fait.
Au contraire, comme nous l’écrit Françoise Causse : « Il était de bon ton alors, de ridiculiser les journalistes qui faisaient honnêtement leur boulot (voire quelques politiques, tels le général Morillon, Nicole Fontaine et Brice Lalonde), en les faisant passer pour des militants romantiques, béats et naïfs, et Christophe sera en première ligne... Il fallait se battre, en France, à cette époque, pour diffuser des informations sur la résistance afghane quand le Quai-d’Orsay, lui, faisait du lobbying sur la scène internationale et des pressions auprès des médias pour obtenir la reconnaissance officielle du régime obscurantiste de Kaboul ».
Et M. Madelin de dénoncer : « Mais, si Washington condamnait Ben Laden, c’était en ménageant le Pakistan, principal soutien des talibans. Londres accueillait leurs foyers de propagande. Paris se réjouissait de voir le Pakistan devenu le deuxième client de nos ventes d’armes. Le Quai-d’Orsay recevait le vice-ministre taliban des Affaires étrangères ! Et les portes de l’Elysée sont restées closes en avril dernier, lorsque j’ai demandé au président de la République de recevoir le commandant Massoud venu en France nous alerter et chercher notre soutien ».
Massoud est-il mort pour que continue notre « petit commerce entre amis du gouvernement d’ouverture » ?
En France, nous n’avons pas de pétrole, mais nous n’avons pas que des bonnes idées. J’en parle dans cet article, sans oublier de rêver à autre chose.
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