Aucune personne, femme ou homme dès l’enfance, ne sera privée du droit universel à bénéficier d’une éducation plurilingue :
- pour apprendre à s’exprimer, selon ses propres volonté et capacité, dans au moins deux langues, parlées ou gestuelles, écrites et numériques, ainsi que dans les langages de la musique, des mathématiques, de l’art et de la poésie,
- pour accéder, de façon libre et gratuite, à toutes les connaissances et créations accumulées par l’humanité, héritage de chacun.
Cet appel à l’action est ici formulé en français. Il sera progressivement exprimé et lancé en différentes langues du monde par l’Observatoire linguistique [1], association consacrée à la promotion du plurilinguisme depuis 1983.
Les dix dernières années ont vu éclater une révolution des communications. Révolution qui permet aujourd’hui l’échange instantané des connaissances sur l’ensemble de la planète, entre toutes les voix personnelles et dans toutes les langues.
Nous avons aujourd’hui les moyens, et le devoir envers la jeunesse, de créer une nouvelle société humaine dans laquelle les langues et les cultures, les personnes et les communautés se relient entre elles, pour former un organisme planétaire.
Plutôt que des « autoroutes de l’information » qui tendent à favoriser la domination d’une langue unique, l’Observatoire linguistique entend soutenir la mise en réseau de « sentiers plurilingues », faits de croisements nombreux et ouverts entre toutes les langues et leurs voix personnelles.
Un exemple de sentier plurilingue : le français et l’anglais
Il n’y a pas meilleur exemple de sentiers plurilingues que dans la longue histoire de deux langues voisines, le français et l’anglais. Originaires de la périphérie de l’Eurasie, elles ont porté, ensemble au fil du temps, des idées novatrices provenant de toutes directions et d’innombrables langues et cultures. Ainsi, une phrase puissante a été formulée en Angleterre en langue française il y a huit siècles, provoquant le début de l’expression transnationale des droits humains :
« Nuls frans hom ne sera pris, ne emprisonez, ne dessaisiz, ne ullagiez, ne eissilliez, ne destruiz en aucune maniere... fors par leal jugement de ses pers, o par la lei de la terre. »
[Nul homme libre ne sera arrêté, ni emprisonné, ni exproprié, ni proscrit, ni banni, ni persécuté d’aucune manière... si ce n’est en vertu d’un jugement de ses pairs ou par la loi du pays.]
Cette phrase, longtemps proclamée dans sa version légale en latin comme élément fondamental du patrimoine anglophone, représente la continuation des traditions légales des Vikings de langue nordique, ancêtres des Normands (= « Northmen ») devenus francophones, qui les avaient promulguées en Angleterre.
Cet appel aux Droits de l’Egalité et de la Légalité a été glissé – comme clause 39 de la « Magna Carta » d’Angleterre – dans ce long document en latin scellé par le roi Jean Sans-Terre au mois de juin 1215.
Cette même phrase inspira deux déclarations historiques en 1789 - la Déclaration en français des Droits de l’Homme, et la Déclaration en anglais du “Bill of Rights” des Etats-Unis nouvellement indépendants [2] – qui ont mené à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, document plurilingue adopté par les Nations Unies en 1948.
« Dans la galaxie des langues, la voix de chaque personne est une étoile »
Cette devise fut créée pour l’Observatoire linguistique en 1990. L’UNESCO l’a reprise et adaptée en l’an 2000. Elle signale l’importance de chaque voix pour la construction d’une nouvelle société plurilingue et planétaire. Elle préfigure notre appel d’aujourd’hui : « Nulle personne ne sera privée d’une éducation plurilingue. »
Les premières années du nouveau millénaire ont profondément changé les conditions et le potentiel de la vie communautaire humaine, et de la longue marche vers une meilleure égalité entre toutes et tous. Les frontières étatiques, caractéristiques de régimes nationaux et internationaux du 20ème siècle, tendent à s’affaiblir au profit de nouveaux liens transnationaux et interpersonnels permis par la révolution des communications. La société planétaire qui arrive aura besoin de nouvelles structures, créées librement par la volonté des voix individuelles - surtout jeunes - à travers toutes les langues d’aujourd’hui, et non pas imposées par les écrits figés des générations passées.
L’Observatoire linguistique entend contribuer à une meilleure reconnaissance de la pluralité linguistique dans le monde et, à travers ses sites Pluriplanet [3], inviter à un dialogue plurilingue à l’échelle planétaire. Parmi ses actions dans les prochains mois, auxquelles vous êtes invités à participer et à apporter votre soutien, l’Observatoire linguistique peut déjà annoncer :
- La mise en ligne, en libre consultation, d’une version actualisée de son Registre Linguasphère des langues et des communautés du monde, recensées et codifiées de façon dynamique. Vous êtes invités à participer à sa vérification et à sa mise à jour.
- Le développement théorique et pratique des nouveaux concepts de « linguasphère », de « pluriplanète » et de « sentiers plurilingues » [4].
- La documentation des sentiers plurilingues liant les langues entre-elles. Une nouvelle géographie linguistique planétaire permettra d’explorer les sentiers qui relient le français et l’anglais autour du monde, comme ceux qui relient les langues persanes et turques au cœur de l’Eurasie. Ces dernières occupent une position stratégique, encadrées par l’arabe au sud, le hindi-urdu et le chinois à l’est, et le russe au nord. Les sentiers des autres langues du monde s’enchaîneront comme parties intégrantes de la linguasphère.
- L’ouverture d’un débat sur les sentiers personnels permettant à toutes et à tous d’acquérir une compétence plurilingue. Une des priorités majeures de la société humaine d’aujourd’hui est de permettre à chaque enfant, dans chaque pays, de passer de l’apprentissage de sa langue maternelle, parlée et écrite, à une éducation et une expression autonomes plurilingues.
- Un premier « Concours Pluriplanète », destiné principalement à la jeunesse, pour définir de nouvelles icônes pour chacune des langues transnationales du monde – tels l’arabe, le bengali, l’anglais, le français, l’allemand, le malais-indonésien, le portugais, le russe, l’espagnol, le swahili, le tamoul… Chaque langue appartient au patrimoine de l’humanité et ne peut pas être symbolisée par des drapeaux nationaux.
En commençant par l’anglais, le français et l’allemand, suivis d’autres langues au gré des soutiens obtenus, l’Observatoire linguistique accueillera toutes nouvelles réflexions et initiatives dans le cadre de cet appel, ainsi que toutes les offres de soutien moral ou matériel [5]. Nous cherchons particulièrement des personnes ou des institutions prêtes à transposer cet appel à l’action en d’autres langues.
Aucune langue n’est parfaite. Chaque langue a son propre génie. C’est pourquoi toute réflexion sur l’avenir de l’humanité doit pouvoir bénéficier de discussions plurilingues. Même une langue parlée dans un petit pays isolé peut apporter à la réflexion sa propre perception [6]. Les « langues qui se parlent » doivent devenir les pierres de fondation d’une nouvelle société planétaire… d’une société plurilingue, responsable du pilotage de notre planète, et réunie dans ses principes légaux et éthiques.
De la part de l’Observatoire linguistique (Linguasphere Observatory), à Paris le 30 juin 2010,
David Dalby (au Pays de Galles ; Directeur) et Pierrick Le Feuvre (en Bretagne ; Directeur Adjoint),
Soraya Atmani (à Londres), Killian Levacher (à Dublin), Laure-Emmanuelle Morfin (à Paris), membres du Conseil de la Jeunesse de l’Observatoire linguistique.
Notes
[1] L’Observatoire Linguistique, association indépendante consacrée à la promotion du bilinguisme et du plurilinguisme, est créé par David Dalby au Québec en 1983, ensuite établie en Normandie et au Pays de Galles. Son premier Président honoraire fut le poète Léopold Sédar Senghor, premier Président du Sénégal. En 1989, l’Observatoire présente son exposition bilingue Langues de la Liberté au Centre Georges Pompidou à Paris, parrainée par le Canada, la Haute Normandie et la Francophonie (puis à Liège, Londres et Camberra). En 1999-2000 il publie au Pays de Galles la première édition de son Linguasphere Register of the World’s Languages and Speech Communities, dont la deuxième sera librement consultable et ouvert aux commentaires sur son site internet pluriplanet.org (ouverture progressive à partir de juillet 2010).
[2] Voir Art.7 de la Déclaration des Droits de l’Homme : “Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans des cas déterminés par la loi…” ; et Amendement 5 du Bill of Rights des Etats-Unis : “No person shall… be deprived of life, liberty, or property, without due process of the law”.
[3] Le site http://pluriplanet.net est ouvert à partir du 30 juin 2010, comme rampe de lancement pour cet appel à l’action, initialement en français. Le site http://pluriplanet.org sera ouvert comme ressource publique dans le mois de juillet 2010, initialement en anglais et français, et sera le portail éventuel vers d’autres sites Pluriplanet, dans une variété de langues.
[4] Voir les définitions de ces concepts, formulées initialement en français, en anglais et en allemand sur les sites pluriplanet.
[5] L’Observatoire linguistique est conscient des travaux importants déjà entrepris au sujet du bilinguisme et du plurilinguisme par d’autres organismes, avec des budgets de recherche plusieurs milliers de fois plus grands, comme l’UNESCO, l’EU ou le CILT de Londres. Mais l’Observatoire espère que la participation d’une association modeste mais très active puisse stimuler des nouvelles approches à un sujet devenu si critique. Vous pouvez soutenir cet appel en participant aux travaux de l’Observatoire ou en les soutenant matériellement. Contactez nous à [email protected]
[6] Comme au cas de la langue pirahã de la haute Amazonie (parlée par moins que 400 voix), qui semble être associée à une perception particulière des réalités physiques.
L’image "Le lutin plurilingue a été créée pour l’Observatoire linguistique en 1989 par l’artiste Vittorio, affichiste italo-canadien (1932-2008), à l’occasion de l’exposition de l’Observatoire "Langues de la Liberté" (Centre Georges Pompidou, Paris).