Paris-Match et l’Afghanistan
Assez sidéré par les réactions contre Paris-Match, on se croirait revenu quarante ans en arrière, dans l’Amérique qui découvrait quotidiennement les photos crues de la guerre du Vietnam où ses enfants mouraient. En France, en 2008, on trouve des gens pour se ridiculiser, à droite (ne parlons pas de De Villiers qui parle de “haute trahison”) comme à gauche et ailleurs (chez les Verts avec Daniel Cohn-Bendit “un côté abject dans le voyeurisme de ce magazine”). La presse doit-elle participer à l’effort de guerre comme à la belle époque, sans montrer ce que dit “l’autre côté” ?
Etonné aussi que l’armée communique (c’est brutal, mais je le pense), n’importe comment, en donnant une première version dès le début, puis en donnant une autre version un peu plus tard. Est-elle obligée de parler à Paris quand elle ne sait pas vraiment ce qui s’est passé sur le terrain, si c’était vraiment le cas, comme le dit un officier au Parisien ce week-end ? Pourquoi ne pas attendre pour donner des informations fiables ?
Les familles parlent de la jeunesse de certains défunts. Mais ils se sont engagés dans une armée de métier, ce sont des professionnels dans des régiments de combat, pas des conscrits appelés par le service militaire et envoyés au casse-pipe du jour au lendemain. En 14-18, le frère de ma grand-mère meurt au front d’une balle dans la tête le premier jour, il a 18 ans.
“Arme blanche” ou pas “arme blanche” pour être élégant dans le vocabulaire. Mourir à petit feu, de plusieurs blessures faute de soins, est-ce moins douloureux, moins horrible que d’un coup de couteau, si ce fut le cas ? Concernant, donc, la manière dont les soldats ont été tués, croit-on au ministère de la Défense que rien ne sortira ? Comment justifier ce désordre communicationnel par les demandes des familles qui de toute manière découvriront des informations qu’elles ne souhaitaient pas voir rendre publiques, dans la presse, venant d’autres familles de soldats ou de soldats eux-mêmes choqués par ce qu’ils ont vu ? Des soldats choqués, mal équipés, mal épaulés par des moyens de reconnaissance inexistants ou mal employés finissent par parler, encore plus facilement. Si ce n’est eux, ce sont leurs proches auxquels ils se sont confiés, parce qu’on les a laissé téléphoner quand ils étaient encore sous le choc.
J’ai trouvé assez étrange le propos d’un “spécialiste de la sécurité” qui publiait une tribune dans Le Figaro en commençant par écrire : “En faisant irruption sur du papier glacé dans notre quotidien, les insurgés afghans imposent de nouveau leur tempo : ils prennent au dépourvu les décideurs français et frappent de stupeur l’opinion publique.” Si les décideurs français sont “pris au dépourvu” c’est grave, comment le sait-il ? Quels décideurs ? Et cette opinion “frappée de stupeur” ? Quelle étude le dit ?
Lors de la prochaine embuscade (ou peut-être même pour celle-ci), il faut s’attendre à voir rapidement des images qui n’auront rien à voir avec ces photos posées, paisibles et “gentilles” (où l’on reconnaît une arme par-ci, un uniforme par là) parues dans Match qui n’auraient jamais dû déclencher la moindre polémique au-delà de quelques proches des défunts, égarés par une émotion compréhensible. Des images peu agréables, montrant la réalité de la guerre, en gros plan, plus ou moins sanglantes, prises par les talibans, surgiront, non pas, peut-être, dans Match (qui fixe ses propres règles), mais sur internet, comme c’est le cas en Irak. Les soldats et leurs familles doivent s’y attendre en cas de nouvelles pertes dans des conditions défavorables. Il ne faut pas le cacher ou faire semblant de le découvrir.
De la même manière, le retour des corps, s’il y en a malheureusement d’autres, doit se faire dans des conditions claires et élégantes, dignes. Les images annoncées de l’arrivée à l’aéroport, la veille de la cérémonie des Invalides, puis finalement non fournies aux médias montrent de fâcheuses hésitations. La sortie des corps d’un avion, avec des cercueils recouverts d’un drapeau, face à un peloton qui leur rend honneur n’a rien de honteux, sauf si c’est mal organisé et improvisé, contrairement à la cérémonie des Invalides.
Amusant aussi, si l’on peut dire, de lire sur le blog de Merchet (Libération) que le voyage de Sarkozy sur place fut un aveu de faiblesse. S’il n’y avait pas été, on aurait dit qu’il ne s’intéressait pas à l’armée, il y va, et ses ennemis politiques parlent de show. La cérémonie aux Invalides peut aussi être prise pour un aveu de faiblesse si on va dans ce sens, Merchet devrait être logique avec lui-même, et avec les quelques militaires qui partagent ses vues. Il fallait faire des enterrements séparés dans chaque région, comme on le fait aux Etats-Unis ? Pas d’événement aux Invalides pour éviter une cérémonie nationale qui amplifie la “stupeur de l’opinion” et montre aux talibans l’impact communicationnel (longue cérémonie en direct à la télévision) que cette embuscade a sur la France ?
Mes confrères qui vont sur place entendent-ils les soldats, ou bien sont-ils, en majorité, trop serrés de près par le service des relations publiques, et l’habitude de ce genre de voyage ? Je n’ai pas mis les pieds sur place. En effet, je parle depuis mon fauteuil, comme le disait ce militaire de haut rang, énervé par les médias, qui considérait que l’embuscade était une victoire, que les talibans avaient reçu une raclée… “Le sous-chef ’opérations’ à l’état-major des armées, le général Benoît Puga a affirmé jeudi 28 août que les talibans avaient pris une ’sacrée raclée’, après avoir tendu une embuscade meurtrière à une patrouille de reconnaissance française le 18 août“. Oublier que dix morts français dont le nom et le visage sont connus, d’un coup, ont plus d’impact, en France, que quarante ou plus, supposés, morts talibans (qui indiffèrent l’opinion française, pour ne pas parler des civils afghans victimes de bavures ou, même, de tirs alors qu’ils sont mélangés aux combattants, indissociables quand on fait un passage d’appui au sol en avion) est assez dérisoire. L’embuscade est une défaite majeure, militaire et communicationnelle, le général Benoît Puga aurait gagné en se taisant.
La véritable faiblesse, ce n’est pas le voyage d’un chef d’Etat, c’est peut-être, comme cela semble être le cas, d’envoyer des hommes, même motivés et bien entraînés, qui ne voient devant eux que ce que leurs jumelles, ou leur monoculaire de visée leur permettent de voir, au ras du sol, dans un terrain escarpé qu’ils ne connaissent pas ou peu. La véritable faiblesse, c’est (est-ce vrai ?) deux hélicoptères français en Afghanistan, en tout et pour tout ? Soit on engage des moyens adaptés à la mission décidée par le pouvoir politique, soit on n’envoie pas de forces dans des missions de ce genre, avec des engins mal blindés, des tourelles non protégées, des engins inadaptés au terrain escarpé (d’où l’un des dix morts). Tout en formant des troupes afghanes dont on espère que seulement une faible partie rejoindra les talibans pour partager avec eux l’expérience acquise. Un objectif limité, mais plus réaliste.
Désolé, je me suis permis de penser tout haut ici. Comme un blogueur, mécontent, qui a (pourtant) le verbe haut, me l’avait fait remarquer, sur un autre sujet, je me suis, aussi, permis, sur mon autre blog, d’écrire que c’est la Géorgie qui avait attaqué la première en Ossétie, fournissant à l’ogre russe, une superbe occasion de redorer son blason, de répondre à l’indépendance du Kosovo, par l’indépendance de la minuscule Ossétie, et de là, pas vraiment plus grosse, Abkhazie.
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