Pendant que certains s’accrochent (au pouvoir), il y a tous ceux qui décrochent
Tout a déjà été dit sur ce funeste dimanche : abstention à 57%, le Front National à 25 %, le PS, parti au gouvernement, dans les choux, l'UMP explosée par l'affaire "Big-million". Deux jours après c'est une nation à la dérive qui erre sans cap dans l'océan tumultueux de la mondialisation.
http://www.boston.com/bigpicture/2010/10/france_on_strike.html
Les paroles du capitaine et de son second se perdent dans le fracas des vagues. Face au désastre, dans les salons on se dispute la meilleure stratégie pour se préparer une sortie convenable. Préoccupé par son sort, le monde médiatico-politique en oublie ceux qui dans la soute crient leur désespérance. Pendant que certains tentent de s'accrocher au pouvoir, ou à leur petite réussite individuelle, la France des petites gens, des HLM, du périurbain, des sous-préfectures et de la campagne décroche et personne ne s'en soucie. Dans les grandes métropoles mondialisées et "béhachellisées" on s'émeut autour d'une coupe de Champagne de l'ignorance de ces gueux et de ces beaufs qui ont cru trouver en la Marine leur nouvelle Jeanne d'Arc. Ces brutes sont, pour cette élite éclairée, leur boulet qui plombe le pays et sa capacité à se réformer et à s'adapter aux exigences du "grand marché", pour permettre à tout ce monde d'initiés de pouvoir profiter en toute quiétude, des fruits d'une croissance retrouvée. Que faire pour se libérer de ce peuple ignorant, raciste et rétrograde, pour contourner discrètement ses bourdes politiques (comme en 2005 ), qui empêchent le progrès de progresser et ceux qui sont taillés pour réussir de réussir dans un monde ouvert à l'expression de leur génie ? Telle semble être la grande préoccupation du moment chez nos grands maréchaux du libéralisme réunis à Bruxelles.
LA FRANCE D'EN BAS DECROCHE.
Dans sa dernière livraison du 26 mai 2014 " l'Observatoire des inégalités" montre combien la vie des plus démunis se détériore alors que les couches favorisées continuent à profiter de revenus confortables et en hausse. Les graphiques ci-dessous révèlent les écarts dans l' évolution du niveau de vie en trois ans de 2008 à 2011 suivant les catégories de revenus et les catégories socio-professionnelles.
source : " Observatoire des inégalités"
"Les jeunes, les ouvriers et les employés, la main d’œuvre peu qualifiée travaillant dans les petites entreprises du secteur privé et les immigrés sont en première ligne. Et pourtant, on entend essentiellement le bruit des couches aisées qui continuent d’oser se plaindre d’être matraquées par les impôts. Le gouvernement, dont l’action est formatée par les sondages, a entendu le « ras-le-bol-fiscal ». Il a perdu le sens de la réalité sociale."
"Cette France qui décroche a un visage : c’est celle des employés et des ouvriers."
Cette France qui s'enfonce c'est celle aussi de tous ces jeunes, fils d'ouvriers qui ne trouvent pas leur place dans "l'école de la réussite". Dans les filières pour les élèves les plus en difficulté au collège, les Sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa), on trouve 84 % d’enfants issus des milieux populaires (ouvriers, employés, sans profession) et moins de 2 % d’enfants de cadres.
Cette France des perdants, ce sont tous ces jeunes sans diplôme que notre système scolaire ignore et qui gonflent inexorablement les chiffres du chômage au grand désespoir de notre Président qui s'accroche au retournement miraculeux de la courbe des sans emplois.
Cette France qui décroche c'est celle qui, le soir à la télé, entend le Premier Ministre dire que nous vivons au-dessus de nos moyens. Cette France qui en marre, c'est celle qui dimanche a dit non à cette Europe qui les ignore les méprise et les livre à la concurrence des plus miséreux qu'eux. Cette France qui "pète un câble", c'est aussi celle qui ce 25 mai n'a rien trouvé d'autre à faire que de voter F.N. pour crier son désarroi.
Notre pays est ainsi coupé en deux sociologiquement, entre ceux qui, diplôme en poche, occupent les postes les plus épanouissants et les plus lucratifs, portés qu'ils sont par la mondialisation et les technologies numériques de l'information, et ceux qui doivent survivre en composant en permanence entre emplois dévalorisants et précaires et aides sociales qu'un Etat endetté n'arrive plus à assumer ; il est aussi divisé entre les centres urbains cosmopolites et dynamiques et un arrière pays reclus et contenu dans une léthargie économique.
LA FRANCE DES VILLES ET LA FRANCE DES CHAMPS
Le total des voix de gauche aux européennes et le score du FN, représentés en carte anamorphosées.( source SLATE)
Cet article de Slate ( lien ) montre combien les votes "europhiles" ( socialistes, verts, centristes ) se concentrent dans les grands centres urbains, principaux bénéficiaires du Grand Marché, alors que les votes "eurosceptiques" se nichent dans la "France périphérique" dans ces territoires abandonnés par la mondialisation des échanges.
Jusqu'à quand continuera-t-on à laisser ces deux France se tourner le dos, s'ignorer voire devenir hostiles ?
Comme le propose dans cet article sarcastique pour sauver Paris de la" bête immonde" , en arrivera t-on à "construire un mur périphérique comprenant aussi Neuilly, Boulogne, le bois de Boulogne et Vincennes ainsi que deux corridors pour se rendre aux aéroports parisiens. Des checkpoints seront placés aux abords stratégiques de Paris pour alimenter les Parisiens en produit frais (caviar d’Aquitaine, champagne…)" pour permettre à la capitale de "continuer à respirer et vivre à l'heure de la mondialisation heureuse" et jouir des eaux parfumées de la piscine Molitor ?
Le problème est, que sans le travail ingrat de tous ces sans grades, la France de "ceux qui maîtrisent" et des gagnants ne pourrait pas continuer à jouir longtemps de tous ses privilèges. Pour réintégrer la grande masse de tous ces oubliés dans le débat politique, il faut contribuer à doter toutes les catégories de ces sans voix d'une réelle représentation issue de leur propre rang qui leur permettra alors de se faire entendre et respecter à tous les niveaux de la représentation populaire et dans les choix que le pays doit faire. En faisant fi de cette évidence et en refusant de partager les fruits du travail de tous avec ceux qui sont contraints à accepter ce qu'il reste pour continuer à survivre, nul doute que bientôt les frustrations et les exclusions déchaineront une énergie trop longtemps contenue, qui anéantira définitivement toutes ces lignes Maginot que le libéralisme tente d'ériger pour protéger les avoirs de ceux que la réussite individuelle comble.
EN FRANCE MARINE EXULTE, AU MEXIQUE MARCOS DISPARAIT
En ce dimanche funeste de mai, alors qu'en Europe l'extrême droite exultait, en faisant main basse sur la colère populaire, à l'autre bout du monde, à La Realidad, Chiapas au Mexique, dans cette terre où vivent d'autres oubliés du capitalisme total, Le Subcomandante Marcos tirait sa révérence et cessait d'exister.
" Nous pensons qu'il est nécessaire qu'un de nous meure pour que Galéano vive" (leader de l'EZLN assassiné par l'armée au Mexique). "C'est ainsi que nous avons décidé que Marcos doit mourir aujourd'hui" Vingt ans après une fameuse " matinée du premier janvier 1994, quand une armée de géants, c'est-à-dire, d'indigènes rebelles est descendue à la ville pour, de leur pas, secouer le monde. Seulement quelques jours après, avec le sang de nos morts encore frais dans les rues, nous nous sommes rendus compte que ceux de dehors ne nous voyaient pas, habitués qu'ils sont à nous regarder d'en haut, nous les indigènes, ils ne haussaient pas la vue pour nous regarder, habitués qu'ils étaient à nous voir humiliés, leur coeur ne comprenaient pas notre digne révolte". ( lien La Jornada 25 mai 2014 )
Comme au Mexique nos élites, nos gouvernants, sont incapables de regarder en face ces gens au regard endurci par la souffrance, les frustrations et le désarroi. Ne trouvant comme alliés que des imposteurs, des calculateurs et des traitres qui ne peuvent les conduire que dans de funestes impasses, leur digne révolte pourrait bien se transformer ici en violence aveugle et sourde, attisée par le souffle xénophobe de ces dangereux manipulateurs.
"Le fils (le néolibéralisme) dévore le père (le capital national) et, au passage, détruit les mensonges de l’idéologie capitaliste : dans le nouvel ordre mondial, il n’y a ni démocratie, ni liberté, ni égalité, ni fraternité. La scène planétaire est transformée en nouveau champ de bataille où règne le chaos." Subcomandante Marcos " La quatrième guerre mondiale a commencé" Le Monde Diplomatique Aout 1997
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