Peut-on mettre un terme à la querelle des OGM ?
Pendant que la superficie des plantations OGM continue de croître au niveau mondial, la France cultive son “exception culturale” en se faisant remarquer par une querelle particulièrement violente. Est-il possible de mettre un terme à ce débat sans fin ? La réponse revêt un enjeu stratégique pour l’agriculture de notre pays, mais également pour la démocratie. D’où la nécessité de se poser la question de la responsabilité des acteurs qui défendent cette technologie.
Pendant que la “seconde révolution verte” continue... Depuis 1986, année où les premiers essais ont eu lieu, en France, aux Etats-Unis et au Canada, cela fait vingt ans que l’on plante des OGM en plein champ. Entre ces prémisses expérimentales et les premières plantations commerciales en 1995, 3 647 essais auront été réalisés. En 2006, la superficie mondiale plantée dans 22 pays était de plus de 100 millions d’hectares. Plus de 10,3 millions d’agriculteurs dont 90 % de petits paysans, cultivent des OGM. Enfin, les plantes qui s’apprêtent à entrer sur le marché présentent des avantages environnementaux indéniables : par exemple, une expérience menée l’an passé par une équipe sino-américaine a permis à des riziculteurs chinois de réduire leur consommation de pesticide de près de 80 %. Plus rien ne semble pouvoir faire obstacle à la technologie qui s’inscrit petit à petit dans l’histoire de l’agriculture. Plus rien, sauf peut-être l’impossibilité de trouver un terrain d’entente entre les promoteurs de la technologie et ses opposants les plus actifs...
Les partisans de “l’exception culturale” résistent.
Quelles sont donc les raisons des “anti-OGM” ? Quand certains descendent dans les champs revêtus d’une combinaison anti-radiation, d’autres, vont faucher en famille et en bras de chemise... Alors que les premiers, plus sensibles aux problèmes environnementaux aiment à répéter que “les OGM sont des plantes que la nature ne produit pas elle-même”, les seconds, plus soucieux de l’avenir de l’agriculture dite “paysanne”, protestent contre la mondialisation qui s’impose avec un mode d’agriculture qui apportera des changements sociaux qu’ils n’ont pas choisis. Dans aucun de ces deux cas, il ne semble possible de réduire ces attitudes à des manifestations irrationnelles : quel que soit le degré d’animosité qu’ils dégagent, les opposants ont des raisons qui leurs sont propres. Le problème étant qu’ils pensent “avoir raison”, ce qui leur donnerait le droit d’agir en dehors de tous cadres juridiques. Or si on ne peut rejeter d’un revers de la main ces récriminations, on peut encore moins accepter que l’on supprime d’un coup de faux des années de recherche ou le droit d’un agriculteur à planter les semences qu’il souhaite.
Coupables ou victimes ?
Et pourtant, la culpabilité des faucheurs ne fait pas encore jurisprudence. D’ailleurs, à écouter leurs discours, ce sont eux les victimes et ils ne font qu’exercer leur légitime défense. Ils saccagent au nom du principe de précaution. Ils militent pour le droit de désobéissance civique. Tout cela leur donnant le droit d’être en état de “récidive légale”. Beau cas d’école, donc que ces particuliers qui prétendent agir au nom de leurs concitoyens, alors que personne ne leur a jamais rien demandé. Condamnés par un tribunal, amnistiés par un autre. Mis en garde à vue, puis relâchés aussitôt. Empêchés par un cordon de CRS dans un champ, simplement photographiés par des gendarmes dans une parcelle voisine... Coupables ou victimes ? La réponse, tout le monde la connaît : il est interdit de s’en prendre à la propriété d’autrui. Donc il est interdit de faucher les champs, que ceux-ci soient expérimentaux ou commerciaux. Alors qu’attendent vraiment les tribunaux ? Qu’attendent les politiques pour faire respecter les mesures de la directive 2001-18, étant donné que les députés ont furtivement transposé celle-ci par un décret en mars 2007, ce, pour ne plus avoir payer les 300 000 euros d’amende par semaine de retard.
La peur de l’opinion.
Les experts, c’est connu, aiment répéter que l’opinion a peur des OGM. Mais, il est une autre peur : celles que les décideurs ont de l’opinion et ce chiffre de “77 % de Français opposés aux OGM” a quelque chose de terrifiant. Difficile de se prétendre démocrate et de l’ignorer. Pourtant comment les consommateurs peuvent-ils faire pour juger de cette technologie, eux qui n’ont “jamais eu un OGM entre les mains” et qui sont à la merci aussi bien des campagnes de communication des industriels que des ONG ? Pauvre opinion publique, la voici dans la situation de devoir dire si elle veut d’une technologie dont certains lui affirment qu’elle va sauver l’humanité, alors que d’autres lui soutiennent, qu’au contraire, elle la mènera à sa perte. D’habitude, “le client est roi” et s’il ne veut pas de la toute nouvelle barre de chocolat qu’on lui propose, parce qu’il ne la trouve pas à son goût, l’industriel et le distributeur la retirent sans poser de question. Alors pourquoi pas là ? S’agit-il d’un complot pour empoisonner l’humanité ? Si c’est le cas, pourquoi n’y-a-t-il pas encore eu de victime ? Et pourtant, à défaut du consommateur, l’agriculteur, lui, sait pourquoi il veut de cette technologie et il peut juger de son efficacité. Et si les agriculteurs bénéficient de certains avantages, le consommateur en profitera également... ce qu’il pourra “matérialiser” quand les OGM de seconde génération seront sur le marché.
De l’inutilité à la responsabilité.
Oui mais voilà, diront certains, il est possible de se passer de cette technologie qui est inutile et dangereuse... Soit ! Mais que faire des chiffres rappelés au début ? Vous parlez de danger, mais pourquoi les 70 millions d’euros investis par l’Union européenne dans l’évaluation des risques n’ont pas permis de les mettre en évidence ? De nouveau, nous sommes revenus à une opposition frontale entre idéologies autour des risques et des avantages. Il semble donc qu’il faille regarder ailleurs pour justifier ou invalider la technologie. Or, c’est principalement la responsabilité du chercheur, de l’industriel et de l’agriculteur qui est remise en cause par les opposants. A la base du questionnement utilitariste se trouve un problème éthique. Et jusqu’à présent, toutes les tentatives pour résoudre ce problème en faisant appel au principe de précaution ont été vouées à l’échec.
Mais est-ce le bon outil ?
Comme nous l’avons démontré ailleurs, on peut aussi bien l’utiliser pour accompagner le développement d’une technologie que pour lui faire obstacle (les faucheurs en sont le meilleur exemple). Ce principe aurait donc tout à gagner s’il était complété par un principe plus approprié pour l’expertise tel que, par exemple, "le principe de cas par cas" (comparer des technologies entre elles, éviter les généralisations abusives, tenir compte du facteur temps...). Il existe, on le constate, toute une panoplie de principes à la disposition des acteurs de la filière OGM pour garantir le développement de la technologie en toute sécurité. Il n’y a donc aucune raison de remettre en cause leur “responsabilité” surtout qu’ils ont spontanément recours à ces outils. A contrario, nous pourrions les accuser de ne pas faire leur devoir s’ils venaient à “déserter” la scène nationale. Car en effet, il est un danger bien plus grand que celui de l’expérimentation en plein champ, c’est celui qui consisterait à ne disposer d’aucun expert de niveau international en France. En effet, comment ferions-nous alors pour évaluer les risques que nous prétendons dénoncer ? De ce point de vue, il est impératif que nos chercheurs puissent continuer leurs travaux en laboratoire, mais aussi en plein champ. Il est un autre danger également, c’est celui qui déléguerait aux autres pays le soin de développer la technologie et nous rendrait dépendant de leurs innovations et de leurs productions. Aurions-nous fini par inventer le TGV si l’on avait écouté les prophètes de malheur qui, à la fin du XIXe siècle, clamaient le danger de la vitesse des trains ? Certes non ! D’autres s’en seraient chargé à notre place et nous aurions dû leur acheter la technologie... En conclusion, il apparaît clairement que le devoir de recherche et développement sont des impératifs pour une nation telle que la France, mais que ceux-ci ne pourront jamais être tenus sans une part d’audace. Or il en va ici de notre liberté. Faire le choix de décrocher en se cachant derrière le principe de précaution, c’est risquer de perdre cette liberté, celle qui garantit notre savoir et notre pouvoir. Faire le choix de se maintenir au niveau du trend mondial, c’est rester maître de son destin. Ainsi, on ne mettra vraiment un terme à la querelle des OGM que lorsque l’on aura une conscience claire de cette nouvelle forme de responsabilité et des enjeux qu’elle recouvre. Jean-Paul Oury, docteur en histoire des sciences et technologie, auteur de La Querelle des OGM, aux PUF (avril 2006)
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