Point de Croix
Les croix furent à l'honneur ces derniers jours, à moins que ce ne fût au déshonneur, priées de disparaitre ou de se faire moins prolixes.
C'est ainsi qu'à Ploërmel la croix surplombant une statue de Jean-Paul II est priée de disparaitre, par décision du Conseil d'Etat, tandis que les croix de la Légion d'Honneur seront désormais, sur caprice du petit Prince, attribuées de façon parcimonieuse.
Certes ces deux décisions qui n'ont pas manqué d'amener moult réactions, surtout la première, n'ont aucun lien entre elle, si ce n'est qu'elles détournent notre attention de choses sans doute plus importantes tout en ne coûtant rien ou peu à la collectivité, on pourra au moins apprécier cet aspect. Mais elles sont aussi la marque d'une époque et méritent donc, peut-être, surtout quand on n'a rien d'autre de plus important à faire, d'être commentées.
Retirer sa croix à Jean-Paul II, c'est un peu comme retirer sa ventouse à un plombier, même s'il n'est pas polonais comme le pape disparu, ou ses attributs masculins à Rocco Siffredi. C'est les priver de leur outil de travail, même si dans le cas de Jean-Paul II c'est davantage symbolique que concret compte tenu de son état actuel. Même chose d'ailleurs pour Rocco qui a sans doute raccroché, au moins professionnellement et dans cette branche qui lui a valu sa notoriété. Mais c'est peut-être ça qui cloche dans cette décision du Conseil d'Etat. C'est cette volonté de dissocier, ou de priver, le pape Jean-Paul II de ce qui était finalement le sens ou la marque de sa vie et qu'on pourrait résumer par sa foi et son abandon au dieu chrétien. Qu'on y croie ou pas n'a pas d'importance, mais ça peut se respecter. Qu'ensuite on en fasse un pape obscurantiste du fait de la théologie professée ou un pape de la lutte contre l'oppression communiste n'a pas d'importance dans ce débat. Et que ceux qui le déconsidèrent pour ce qu'il fut ne se saisissent pas du prétexte de laïcité pour le rendre invisible. C'est mettre la loi au service de son hypocrisie.
Car c'est bien ce pape qui est initialement visé, sommé de s'effacer du paysage breton. Faute d'avoir réussi à l'expulser on s'en est donc pris ensuite au symbole, donc la croix, cette fois avec succès. Certes on ne pourra contester le bien-fondé juridique de la décision du Conseil d'Etat si on s'intéresse à la chronologie des faits, à savoir pour résumer une décision municipale d'installer une statue du pape défunt offerte à la commune et faisant l'objet d'une prescription quand elle fut attaquée, suivie de la mise en place d'une arche surplombée d'une croix, pièces rapportées à l'œuvre et n'ayant pas fait l'objet d'une décision publiée et donc de ce fait attaquable sans limite de temps. Ce n'est pas donc le pape qui a été "sauvé" d'une placardisation sauvage désormais interdite, mais c'est ce qui pouvait être encore retiré qui l'a été. Du coup on se saura jamais avec certitude si le Conseil d'Etat aurait foutu la paix au pape ou s'il aurait suivi la décision rendue en première instance par le tribunal administratif de faire place nette, avant que la cour d'appel administrative ne s'avise que la décision était tombée sous le coup de la prescription. Mais on s'en doute. A moins d'habiller Jean-Paul II en costume-cravate et d'apposer une plaque en la mémoire de Karol Wojtyła, chef d'Etat du Vatican de 1978 à 2005, son sort aurait été vite réglé s'il n'y avait pas eu un retard à l'allumage, abus de chouchen peut-être, de la part de ceux qui voulaient faire disparaitre sa statue. C'est donc, faute de mieux, en final une décision qui ressemble beaucoup à un jugement à la Salomon dont on peut se demander s'il ne mérite pas que soit dressée face à la statue une fresque allégorique le représentant, laquelle pourrait faire l'objet d'une plainte pour atteinte à la laïcité à son tour. C'est donc un jugement qui ne satisfait personne, pas davantage ceux que la vue d'une statue du prélat révulse et qui doivent bien souffrir en vivant dans une région où il n'est guère possible de faire 200 mètres sans tomber sur un calvaire ou un autre signe de la bigoterie bretonne, que ceux qui voient dans le retrait de la croix, soit une attaque contre leur foi, soit l'expression d'une injonction à renoncer à ses racines chrétiennes tandis que d'autres sont encouragés à promouvoir les leurs, venues d'ailleurs et qui ne le sont pas, ou du moins n'en sont guère empêchés même quand la loi le leur interdit.
Et c'est sans doute ce dernier point qui est essentiel, ou du moins la cause essentielle de ces réactions hostiles à la décision du Conseil d'Etat. Certains voulant justifier le jugement l'ont bien compris, déclarant que si on veut pouvoir être intransigeant avec l'islam, ou du moins le faire entrer dans le cadre de la loi de 1905, votée quand il n'était qu'à l'état résiduel dans notre pays, il faut l'être évidemment avec le catholicisme. Si donc on vire la croix de la place de Ploërmel, on renforce la légitimité vis-à-vis des contrevenants des policiers qui iront verbaliser les femmes en burqa et autres accoutrements interdits par la loi, et mettre des coups de pied au cul à ceux qui confondent la rue, donc l'espace public, avec un lieu de prière. On peut toujours rêver ! Et surtout ne pas croire une seconde que ça se passera comme cela. Chacun le sait d'ailleurs. Chacun sait ce qu'il en est de l'application de la loi en France, ceux qui savent qu'ils sont contraints de la respecter et ceux qui savent qu'ils ne seront jamais inquiétés, ceux que la justice peut accabler de sa toute puissance, ceux vis-à-vis desquels elle sait faire preuve de la plus grande mansuétude, appelons ça comme ça. Non à la croix de Ploërmel, non aux crèches de Noël dans les mairies ou autres lieux publics, oui au burkini et (ça vient de tomber) à la réintégration de l'employée municipale de La Courneuve qui a, dans un tweet, qualifié de martyr l'assassin islamiste de Marseille. Du coup on peut comprendre que la décision du Conseil d'Etat, même si elle est fondée en droit, puisse énerver une large catégorie de personnes pas forcément membres de Sens Commun et pas même cathos ou croyants.
Et voilà comment une petite histoire sans importance, une histoire de cornecul pourrait-on même dire, sert de révélateur de l'état d'un pays qui se fracture de plus en plus aidé en cela par les institutions soi-disant garantes de l'ordre public.
Nous passerons donc pour détendre l'atmosphère à un sujet plus léger dont on se demande par quel hasard il s'est imposé à un moment où les campagnes contre le harcèlement et plus encore tombaient à point pour nous faire oublier les ordonnances, mais il semblerait que l'oubli soit déjà de rigueur en ce qui les concerne, la nouvelle loi antiterroriste, encore une qui permet de ne pas traiter le problème sur le fond (on se réfèrera utilement aux propos terminaux sur la croix de Ploërmel) , la CSG ou les chantiers en cours et qui vont faire mal. Car évidemment la réduction du nombre de croix de la Légion d'Honneur a à côté de tout cela une importance minime, si ce n'est aucune. Mais ce pouvoir a aussi compris que désigner des boucs-émissaires, ou du moins des catalyseurs d'une colère contre ce qui est considéré, à tort ou à raison, comme l'expression forcément inégalitaire d'un régime de privilèges peut avoir son utilité. Donc haro sur le "légionnaire" couvert d'honneurs usurpés.
Reste que pour qui prend le temps de se renseigner, et toutes les informations sont très facilement accessibles, il apparait clairement qu'on entre ici dans le domaine du non-sujet. Et que plutôt que d'alimenter les fantasmes qui se répètent à chaque fournée de personnes nommées (3 chaque année à titre civil et 1 à titre militaire), il serait plus judicieux d'informer sur ce qu'est la Légion d'Honneur ou du moins les privilèges qui l'accompagnent puisque c'est évidemment cela qui semble susciter des jalousies.
Commençons par le nombre. Il y a actuellement, si on en croit la grande chancellerie de la LH, 92 000 titulaires vivants de la distinction laquelle se compose de 5 grades constituant, et c'est assez rare pour qu'on le précise, une vraie pyramide à la base très large puisqu'il y a plus de 80% de chevaliers, grade le plus bas. Alors 92 000, ça représente en gros 0,13% de la population française. Ça fait peu tout ce nombre, mais nul doute que si on passait à moins de 1 pour 1000, le pays s'en porterait mieux et la justice sociale commencerait à devenir quelque chose paraissant accessible. Et on se doute que ça ferait plus que compenser la suppression de l'ISF. Parce qu'avec tous les avantages dont disposent les légionnaires, c'est vrai quoi ! Il faut quand même se rendre compte que la rente à vie (!) d'un chevalier, rente par ailleurs servie uniquement à ceux qui reçoivent la médaille à titre militaire, s'élève quand même à 6,10 (six virgule dix) euros par an. Même si la plupart refusent de la percevoir, c'est quand même quelque chose. Même si par ailleurs, ils doivent régler auprès du Trésor Public, toujours à l'affut, des droits de chancellerie s'élevant à quelques dizaines d'euros pour avoir le droit d'être décorés et donc reçus dans l'Ordre et payer leur médaille de leur poche (au passage refuser la Légion d'Honneur est juste une expression vaniteuse, une autopromotion, puisque pour ne pas être reçu dans l'ordre il suffit simplement de ne pas se faire décorer). Sans parler du pot qui suit la remise de décoration. Reste qu'il faut lutter contre de tels privilèges inimaginables à notre époque ou l'égalité doit régner. A part ça, ça ne sert même pas de coupe-file dans les administrations, et c'est heureux ! Car ces 92 000 nantis nous coutent déjà assez cher. On notera tout de même qu'il y en avait plus de 300 000 au début des années 1960, 20 années de guerre obligeant, et que de Gaulle avait d'une part instauré l'Ordre National du Mérite, avec grades équivalents, pour décharger l'Ordre de la Légion d'Honneur, et fixé par décret le nombre maximal de membres de cet ordre à 125 000. Mais Macron c'est de Gaulle puissance deux, et donc c'est encore beaucoup trop pour lui qui pourtant quand il fut ministre de l'économie ne lésina pas sur le nombre de médaille attribuées au titre de son ministère. Sans doute un investissement sur l'avenir. Une réduction de 50% d'attributions à titre civil et de 10% à titre militaire si on en croit les chiffres de la Grande Chancellerie devrait grosso modo porter le quota à 50 000 décorés vivants. Sans doute encore trop. Car dans le tas, combien n'auront pas vraiment mérité le ruban ou la rosette ? Peut-être qu'une commission de révision, maintenant que le doute sur la qualité des "légionnaires" a été soulevé au plus haut sommet de l'Etat, devrait-elle être mise en place. Déjà ça permettrait de caser quelques potes et en plus ça offrirait du spectacle de voir ces vieux ronchons, et moins vieux aussi, restituer la tête basse cette médaille volée qu'ils ont payée de leur poche. Même si d'ailleurs, ils ne l'ont pas demandée puisqu'on ne demande pas la Légion d'Honneur. Quoiqu'on puisse parfois avoir des doutes à ce sujet, je le concède volontiers, ainsi que sur les capacités de discernement, parfois, de ceux qui sont habilités à proposer des noms. C'est d'ailleurs remarquable qu'à chaque promotion, on ne connaisse par les médias, certes le JO pourrait pourvoir à cette lacune, qu'un petit nombre de promus, déjà tous connus, faisant partie du sérail politique, du monde des "arts" ou showbiz(!), et du monde des affaires, des gens au sujet desquels en fonction de ses opinions ou ses gouts on ne peut avoir évidemment que des soupçons. Tous les autres, ceux qui ne méritent pas d'être mis en lumière, eux on ne sait pas, et on s'en fout. C'est pourtant à ceux-là, les plus nombreux, qu'il faudrait s'intéresser pour se faire une petite idée de la valeur de cette distinction.
Et c'est d'ailleurs ça, puisqu'il faut quand même s'exprimer sur le fond, qu'on peut reprocher à Macron. Surfer sur une vague de rejet, fondée sur si peu d'éléments, tandis que soi-même on n'a guère été irréprochable, est tellement facile et susceptible de rallier des masses avides de trouver des coupables à leurs "malheurs" et parfois leur insignifiance.
C'est un premier point. Le second c'est cette arrogance, cette fatuité dont est accablé notre président qui doit sans doute regretter de n'avoir pas été sacré à Reims pour que chacun de ses sujets sache qu'il a reçu l'onction des dieux, et qui donc peut souverainement décider ou juger du mérite de milliers de gens qu'il ne connait pas. A moins qu'il ne se fie qu'à sa seule expérience quand lui-même en tant que ministre distribuait les rubans. A moins que ce ne soit la nomination par lui-même, en tant que président de Cazeneuve, directement au grade de commandeur, sans passer par les cases chevalier et officier donc un truc qu'on donne à des gens pour service hors du commun (la première en ayant bénéficié ayant été Simone Veil), lors de la dernière promotion du 14 juillet qui lui rappelle que vraiment quand on est un puissant on peut faire n'importe quoi et même décorer quelqu'un dont le bilan à l'Intérieur est particulièrement lamentable.
Et comment quelqu'un qui formé à l'ENA abandonna très vite le service public pour gagner du pognon dans la banque pourrait être en mesure d'apprécier le niveau d'engagement au service de la France de ceux supposément récompensés pour le leur ?
Il ne nous reste donc plus qu'à attendre la promotion du 1er Janvier 2018 pour savoir ce qu'est le mérite selon Macron. Et je suis d'ores et déjà prêt à parier qu'on vérifiera une nouvelle fois qu'une baisse de quantité ne sera pas synonyme d'une hausse de qualité.
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