Pour qui le SMS prêté au président Sarkozy sonne-t-il comme un SOS ?
Humiliés comme ils l’ont été au cours de la conférence de presse présidentielle du 8 janvier dernier, des journalistes auraient-ils décidé de regimber ? On se souvient que le président Sarkozy leur avait publiquement déclaré en substance : quand vous êtes à mes basques, c’est que je vous ai sifflés, sinon, vous ne pouvez pas m’approcher : en somme, vous êtes mes VRP. Ça s’est vérifié pour son mariage dans la plus stricte intimité, loin de la nuée de journalistes lors du voyage d’Égypte.
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Le journalisme d’accréditation et « l’information donnée »
Le journalisme d’accréditation échappe difficilement à cette accusation. De toutes les manifestations organisées par le pouvoir, parce qu’il en a reçu l’agrément, il n’a pour toute fonction que de servir de relais à l’information officielle du pouvoir. « L’information donnée » est sa marque de fabrique. C’est l’information livrée volontairement par l’émetteur - ici le pouvoir - pour servir au mieux ses intérêts. Pas question d’émettre à son sujet le moindre doute ! Le journaliste qui s’y risquerait se verrait congédier sur l’heure. En somme, journaliste accrédité et publicitaire servent la même « information donnée ».
Le journalisme d’investigation et « l’information extorquée »
Est-ce l’humiliation d’être ainsi tous confondus dans cette catégorie de journalisme servile qui aurait poussé des journalistes du Nouvel Observateur à prouver qu’ils s’en distinguent ?
La publication d’un SMS, prêté au président Sarkozy par le site internet du magazine, le 6 février 2008, paraît, en effet, appartenir à la variété contraire à « l’information donnée », « l’information extorquée ». Il s’agirait d’un SOS lancé à son ex-épouse huit jours avant son troisième mariage : « Si tu reviens, disait-il, j’annule tout ». À la différence de « l’information donnée », on le voit, « l’information extorquée » est obtenue à l’insu et contre le gré de l’émetteur. En échappant ainsi à son tamis qui retient toute information jugée par lui nuisible, « l’information extorquée » gagne en fiabilité pour cette seule raison, sans toutefois pouvoir atteindre cette fiabilité en plénitude.
S’il est avéré, le SMS incriminé recèle un évident potentiel de nuisance pour le président : sa nouvelle relation conjugale peut en être fragilisée au vu et au su de tout le monde. En outre, la divulgation de cette conduite laisse soupçonner un déséquilibre psychologique chez celui qui est en charge des affaires de l’État, avec la défiance que cette carence est à même d’engendrer dans l’opinion. On comprend que le président, percevant le danger, ait réagi aussitôt judiciairement en niant l’existence de ce SMS et en poursuivant le magazine pour faux et usages de faux.
« Une information donnée » déguisée en « information extorquée »
Seulement, alors qu’ils voulaient redorer le blason de leur profession, les journalistes qui ont choisi de publier cette apparente « information extorquée », n’ont-ils pas au contraire aggravé leur cas ? « L’information extorquée » est sans doute le domaine exclusif d’un autre type de journalisme, le journalisme d’investigation. Mais quelle investigation a nécessité l’accès à ce SMS ?
Sauf interception par un système d’écoutes, comme il s’en est trouvé de performants si on se souvient de « l’affaire des écoutes téléphoniques de l’Élysée », sous le président Mitterrand, ce SMS n’a pu être que « donné » à l’origine par son destinataire. Et, dans ce cas, en publiant cette « information donnée », les journalistes ne l’ont pas plus transformée en « information extorquée » qu’on ne change la boue en or. Ils sont devenus les relais accrédités momentanément d’une source qui a eu intérêt à couvrir le président de honte.
« Une information extorquée » déguisée en « information donnée »
En outre, cette information si intime qu’elle est protégée par le droit au respect de la vie privée comme par le secret de la correspondance, méritait-elle d’être portée à la connaissance des citoyens ? L’avenir du pays en dépendait-il au point de faire litière des droits de la personne ?
N’est-ce pas encore, en agissant ainsi, faire diversion et masquer des choix politiques effarants que leurs auteurs hésitent de moins en moins à afficher au grand jour. Ainsi, selon J.-L. Porquet dans Le Canard enchaîné du 6 février 2008, deux figures du patronat, Denis Kessler et Charles Beigbeder ont-ils annoncé, l’un en octobre 2007, l’autre en janvier 2008, leur volonté « d’en finir » avec « le programme du Conseil national de la Résistance » qui a assuré la cohésion sociale depuis 1946 : fini « la garantie d’un niveau de salaire (assurant) sécurité et dignité », « un plan complet de sécurité sociale » prémunissant « tous les citoyens » contre les risques du travail et de la vie, « l’instruction » et « la culture » pour les enfants indépendamment des ressources de leurs parents, « la liberté de la presse, (indépendante) à l’égard de l’État et des puissances d’argent » et enfin « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ».
On attendrait de journalistes qui veulent restaurer leur image, qu’ils recherchent des informations à ce sujet puisque c’est un véritable chambardement social que des proches du pouvoir préconisent ouvertement : il s’agit ni plus ni moins que de balayer les protections politiques et sociales élevées après l’aventure tragique d’un régime pétainiste d’extrême droite dévoyé dans la Collaboration.
Et puisque ces gens font ce qu’ils disent et ne s’en cachent même pas, il devient paradoxal d’aller chercher midi à 14 heures. Pourquoi courir après « une information extorquée » frivole quand s’offre « une information donnée », aussi fiable par son caractère sulfureux qu’ « une information extorquée » dès lors qu’elle est livrée par les ultras d’un libéralisme échevelé que ni crainte ni décence ne retiennent même plus désormais ? Ne pas relayer leur projet ne revient-il pas à le cacher ? Et le président Sarkozy n’est-il pas, là encore, en train de mener ces journalistes dits d’investigation par le bout du nez ?
Paul Villach
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