Pourquoi Christian Vanneste a été relaxé, comment il continue d’être accusé
Pour beaucoup, la condamnation de Christian Vanneste ne devait être qu’une formalité. Le député du Nord avait en effet provoqué l’indignation en déclarant que « L’homosexualité était inférieure à l’hétérosexualité [car], si on la poussait à l’universel, ce serait dangereux pour l’humanité », et que si l’on assumait cette orientation sexuelle, ce devait être « dans la discrétion et non en s’affichant comme membres d’une communauté réclamant des droits particuliers et une reconnaissance particulière sur le plan social[1] ». Chacun se préparait donc une inauguration solennelle de la loi du 30 décembre 2004, à qui le délit d’injure publique envers un groupe de personnes à raison de leur orientation sexuelle doit sa consécration.
Cette conviction était d’autant plus grande que la justice avait confirmé, par deux fois, le verdict médiatique. La Cour d’appel de Douai, en effet, avait confirmé le jugement rendu en première instance, retenant que l’évocation de la dangerosité et de l’infériorité de l’homosexualité pour l’humanité, « même en se plaçant d’un point de vue philosophique, était de nature à inciter à la haine, à la violence ou à la discrimination ». Dans le même sens, elle reprochait à M. Vanneste « une présentation tendancieuse de l’homosexualité qui était de nature à susciter (...) des réactions de rejet ». Enfin, elle estimait qu’il avait manifesté, « de manière outrageante, son intolérance envers les personnes qui ont fait le choix d’une orientation sexuelle » en stigmatisant « le comportement homosexuel comme ne pouvant être qu’exclu ou vécu dans la clandestinité ».
Avec la relaxe de M. Vanneste, la Cour de cassation vient donc trahir beaucoup de certitudes. Sans pour autant parvenir à les ébranler. En effet, de façon générale, cette décision reste perçue comme une intolérable résistance de l’institution judiciaire à l’évolution des mœurs, lorsqu’elle n’est pas dénoncée comme un encouragement implicite à l’homophobie. Pour le Collectif contre l’homophobie, elle instaure « une hiérarchisation insupportable des discriminations[2] ».
De toute évidence, l’indignation collective reste intacte et comme renforcée par le désaveu de la Cour de Cassation, qui réconcilie malgré elle des intelligences et des sensibilités politiques que tout oppose d’ordinaire.
En témoigne la solidarité de point de vue entre Sylvie Pierre Brossolette et Laurent Joffrin. Lors de l’émission Le Duel du jour sur France Info du 14 novembre 2008, tous deux, se sont en effet accordés pour conclure au caractère « franchement réactionnaire » de la solution adoptée par la Cour de cassation.
Car pour l’un et l’autre, il ne fait aucun doute qu’un droit a été bafoué. En effet, tandis que la première soutient que la question n’est pas de savoir si les limites de la liberté d’expression ont ou non été franchies, mais de déterminer « jusqu’où on peut arguer d’un droit pour en violer un autre », le second, plus explicite encore, reproche à Christian Vanneste d’être « un élu de la République qui met en avant ses opinions religieuses pour justifier ses opinions, pour contourner la loi ou parfois la violer ».
Mais si tous deux s’entendent pour dénoncer une violation du droit, leurs discours respectifs ne permettent pas de déterminer clairement si la violation dont il est question procède de façon générale d’une atteinte à la dignité, ou plus particulièrement du fait qu’un homme politique se soit permis de mettre en avant ses opinions religieuses pour justifier ses opinions.
En d’autres termes, si la journaliste du Point et celui de Libération se rejoignent sur la fin, ils ne semblent guère s’entendre sur les moyens. Ce qui laisse entendre que leur unanimité est peut-être moins la conséquence d’un raisonnement partagé que le fruit d’un malentendu, qui s’est manifestement nourri des deux matières favorites de l’engagement citoyen : la lutte contre tous les racismes et la défense de la laïcité.
I - L’homosexualité, une « race » comme les autres ?
Sylvie Pierre Brossolette soutient, victime sans doute d’une témérité de langage, qu’il est intolérable « qu’on traite la race des homosexuels (sic) comme étant une race inférieure », alléguant d’une violation du respect de la réputation d’autrui, que garantit l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
Or, la Cour européenne des droits de l’homme elle-même a établi de façon on ne peut plus explicite que « des conclusions, des formulations qui peuvent heurter, choquer ou même inquiéter certains, (...) ne perdent pas, en tant que telles, le bénéfice de la liberté d’expression [3] ». En d’autres termes, la Cour européenne considère que le respect dû à la réputation n’a pas pour effet de subordonner la liberté d’expression à la tutelle des susceptibilités individuelles. Sans cette précaution élémentaire, on comprend aisément combien il serait facile de tourner le droit en licence, et comment le droit à la dignité deviendrait notamment l’alibi d’autant de censures qu’il existe de groupes sociaux.
Il est par conséquent important de ne pas se méprendre sur la nature et la fonction du délit d’injure : ce qu’il réprime, ce n’est pas la violence du propos en tant que telle, mais l’abus de droit que cette violence peut révéler. En matière de liberté d’expression, cet abus de droit (c’est-à-dire « le détournement d’une liberté de sa fonction sociale[4] ») peut se traduire de deux manières : soit une atteinte délibérée à la dignité d’autrui par la voie de l’injure, de la diffamation ou de l’outrage ; soit une incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination.
En accordant la relaxe à Christian Vanneste, la Cour de cassation s’est donc largement prononcée en faveur de la liberté d’expression, réfutant au passage l’idée selon laquelle la loi du 30 décembre 2004 pourrait participer de la dictature des minorités. Bien loin de vider cette loi de sa substance comme cela lui est aujourd’hui reproché, la Cour de cassation en précise donc utilement la portée, en affirmant son autonomie vis-à-vis de la législation réprimant les injures racistes ou sexistes.
Il faut en effet comprendre que la Cour de cassation, à travers la solution qu’elle a adoptée, récuse formellement l’existence d’une « race homosexuelle » - pour reprendre l’expression malheureuse mais néanmoins significative de Sylvie Pierre Brossolette - qui, en tant que telle, serait inaccessible à la critique. À ses yeux, l’orientation sexuelle ne résume pas l’individu, ou plus exactement ne constitue pas un élément intangible de sa personne.
Elle admet en conséquence que l’on puisse considérer l’homosexualité comme porteuse d’un intérêt social inférieur à celui de l’hétérosexualité sans pour autant participer de la haine des homosexuels. D’une part, parce que cette critique porte sur une question sociale et non sur la qualité intrinsèque des personnes. Et d’autre part, parce que toute objection à l’homosexualité n’est pas réductible à une incitation à la haine envers les homosexuels.
Et s’il faut absolument établir une comparaison, plutôt que de solliciter la notion raciale, il faut avancer l’idée qu’il en va de l’orientation sexuelle comme de la foi : chacune a droit au respect, toutes peuvent être critiquées.
La Cour de cassation demeure donc fidèle à l’esprit de la loi du 30 décembre 2004, que les aspirations sociales des uns et les craintes irraisonnées des autres avaient fini par altérer. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler la teneur des débats parlementaires qui précédèrent son adoption : le Garde des Sceaux de l’époque avait prévenu que « L’approbation de ce texte [n’impliquait] pas une limitation ou a fortiori une interdiction des débats sur des questions de société, des valeurs, des comportements, des modes de vie[5] ».
II - Le délit d’opinion, un progrès supérieur à la laïcité...
Laurent Joffrin, tout en soulignant leur rareté pour désamorcer d’emblée l’idée selon laquelle elle participerait d’une « dictature des minorités », défend la légitimité des exceptions légales à la liberté d’expression en rappelant qu’elles sont inextricablement liées à l’accession nouvelle de certaines minorités au bénéfice d’une égale dignité.
Et qui songerait, de ce point de vue, à contester que la création de délits d’opinion puisse être un progrès ? Puisque en définitive, « on fait [uniquement] rentrer dans l’exception à la liberté d’expression la protection d’un certain nombre de gens, de groupes sociaux qui ont été discriminés pendant des décennies, voire des siècles, et auxquels la loi accorde [désormais] sa protection ».
Pourtant, cette définition du délit d’opinion, malgré sa justesse dans l’absolu, appelle une critique importante. Elle a en effet pour tort de réduire la problématique soulevée par l’affaire Vanneste à la seule nécessité d’appliquer une interdiction nouvelle, en ignorant manifestement l’obligation qui s’impose au juge de conjuguer cet interdit avec l’exercice de droits plus anciens et plus généraux, dont la liberté d’expression.
Négliger la question fondamentale de la conciliation des droits et donner ainsi, par principe, primauté à l’interdiction particulière, c’est admettre par défaut que l’accession à l’égale dignité de certaines minorités puisse s’accompagner d’un appauvrissement de la liberté générale. En partant d’un tel postulat, il semble difficile de soutenir que la multiplication des délits d’opinion soit un réel progrès, à moins de vouloir dissimuler sous les vertus abstraites du progrès la satisfaction d’intérêts moins estimables.
Or, il est patent dans le raisonnement de Laurent Joffrin que son véritable grief à l’encontre de Christian Vanneste tient à une notion particulièrement connotée du progrès, lorsqu’il reproche au député de ne pas hésiter « à mettre en avant ses opinions religieuses pour justifier ses opinions ».
Bien que partagé par certains magistrats, ce reproche n’a pourtant pas de raison d’être dans un Etat laïque. L’avocate générale Mme Champrenault, lors de l’audience en appel, avait également attaqué le député sur ce terrain. « Nous ne sommes pas là pour discuter de la morale chrétienne, lui avait-elle dit, la philosophie ne se substitue pas à la loi qui évolue comme les moeurs. Pensez-vous que la pilule contraceptive ou l’IVG, désormais acceptées par les lois, menacent l’humanité ?[6] ».
Catéchisme juridique contre morale chrétienne... La tentative était séduisante, mais ne pouvait sérieusement emporter la conviction de la Cour de cassation. A juste titre, puisque aucune loi en France ne contraint quiconque à la reconnaissance publique des vertus sociales de la pilule contraceptive, pas plus que la légalité de l’avortement n’interdit à un évêque de désapprouver publiquement cette pratique en la qualifiant de péché, voire de crime : le respect du principe de laïcité n’exige pas de la part des croyants une capitulation publique de leurs convictions.
La Cour de cassation, en annulant la condamnation de Christian Vanneste, a simplement confirmé que la laïcité n’était pas le bras armé de l’athéisme.
*
La Cour de cassation, de toute évidence, ne se limite donc pas à un simple rappel de l’esprit de la loi du 30 décembre 2004. Elle adresse également un message d’une même teneur aux partisans d’une « laïcité radicale », aux promoteurs du communautarisme et à ceux qui souhaiteraient voir l’homosexualité demeurer un tabou.
En effet, à travers la relaxe de Christian Vanneste, la Cour de cassation rappelle implicitement que la loi de 1905 n’est pas l’institutionnalisation de l’athéisme, et que le sentiment religieux a par conséquent un droit d’existence au-delà de la sphère privée tant qu’il ne prétend pas faire la loi dans l’espace public. Et par suite, elle laisse entendre que la présence de l’homosexualité dans l’espace public n’a pas à être envisagée dans des termes différents : ce qui implique qu’elle n’a ni à être vécue dans la clandestinité, ni vocation à soumettre l’espace public à des normes qui n’ont pas encore convaincu de leur intérêt général.
[1] « Indignation et mobilisation après les propos du député UMP sur l’homosexualité. Christian Vanneste persiste et signe... », La Voix du Nord, édition du 26 janvier 2005.
[2] « La colère des associations homosexuelles suite à l’arrêt blanchissant Christian Vanneste », La Voix du Nord, édition électronique du 14 novembre 2008.
[3] Affaire GINIEWSKI contre France, CEDH, 31 janvier 2006, (Requête no64016/00) : Paul Giniewski, journaliste, sociologue et historien, avait publié un article dans lequel il entendait démontrer que certains aspects de théologie soutenus par l’Eglise catholique contenait en germe des idées qui ont « formé le terrain où ont germé l’idée et l’accomplissement d’Auschwitz ». L’AGRIF [Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l’Identité Française et chrétienne], indignée par le propos de Giniewski, avait engagé des poursuites contre M. Giniewski en alléguant d’une « diffamation raciale envers la communauté chrétienne », lesquelles aboutirent à la condamnation de l’intéressé par la Cour de cassation, et enfin à celle de la France par la CEDH pour « atteinte à la liberté d’expression non nécessaire dans une société démocratique ».
[4] Louis Josserand, De l’esprit des droits et de leur relativité, 2ème ed., Librairie Dalloz, Paris, 1939, p.218.
[5] Cf. Assemblée nationale – Compte rendu analytique officiel - Session ordinaire de 2004-2005 -3ème Séance du mardi 7 décembre 2004. (Plus précisément les discussions autour de l’article 17 bis)
[6] Cité dans l’article de Geoffroy Deffrennes, « Jugé en appel pour homophobie, le député Vanneste invoque Descartes », Le Monde , 14 décembre 2006.
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