Pourquoi Jacques Attali et Jean-Luc Mélenchon se trompent dans leur analyse sur la dette publique ? La face cachée de la crise pétrolière
- Une formidable monétisation des déficits américains depuis 2001
D’emblée doit-on dire, que la crise pétrolière est une affaire économique et financière. Il y a cette pensée stratégique quelque part dans le monde : « on veut un pétrole bon marché » comme « on a voulu un pétrole cher les années passées », avant la mi-juillet 2014. Après cette date, c’est le contraire qui a prévalu. Forcément il y a des raisons impérieuses. Et le problème est que ces raisons impérieuses ne s’embarrassent des conséquences qui peuvent suivre, qui peuvent être graves. Mais bon, passons. Tout d’abord qu’en est-il de la période qui a suivi janvier 2001 où les États-Unis sont entrés en récession et que les attentats du 11 septembre sont venus corser la situation économique de la superpuissance déjà affaiblie.
On a bien vu qu’entre 2001 et 2008 ou entre 2008 et 2014, le processus a été le même. Déverser des milliards de dollars pour la première période pour soutenir l’économie américaine et l’effort de guerre, la crise arrivée, de nouveau déverser des milliards de dollars pour la sauver cette fois l’économie américaine de la crise des « subprimes ». Deux phases historiques qui ont évolué de manière absolument corollaire, « mathématique » pour ainsi dire, et en maintenant le même état d’esprit que le fut la première. « On guérissait le mal par le mal », l’excès d’argent qui a causé la crise spéculative par encore de l’excès d’argent. C’était finalement ce processus ou le chaos. Il n’y avait pas d’alternative, la Banque centrale américaine n’y pouvait rien, elle devait corriger le tir, elle devait corriger ce qu’elle a crée en laissant faire les banques. Et utiliser le même antidote qui a crée la crise. L’économie américaine est repartie, c’est une vérité, mais « sur fond d’endettement ».
« Le problème pour les Américains est qu’ils doivent rembourser. » Ils n’ont pas le choix. Ils ont consommé plus qu’ils n’en ont droit. Beaucoup croient que la dette américaine n’est pas remboursable. Ils se trompent, les Américains doivent rembourser leurs dettes au reste du monde, et ils le font sauf que le remboursement se fait selon leurs règles, et économiquement il est légal même s’il s’accompagne de crise. Les États-Unis n’obligent pas le reste du monde à investir dans leur économie, ou à leur acheter ses titres de Trésor américain.
Cependant, aujourd’hui il y a un mais. Le monde n’est plus aux années 1980 lorsque Paul Volcker a relevé le taux d’intérêt directeur de la Réserve fédérale américaine (Fed) de 10% à 20%. Et brusquement le monde s’est trouvé comme par magie endetté. Nous connaissons la suite et les conséquences qui ont suivi, un endettement mondial qui a mis à genou les économies des pays en développement. Même l’Union soviétique endettée a été effacée de l’histoire. Et sa périphérie européenne est allée renforcer l’Europe de l’Ouest au point qu’aujourd’hui il n’y a plus d’Europe de l’Ouest mais d’Europe tout court et qui cherche même à s’agrandir de l’autre Europe voire même de la Russie (sait-on jamais ?).
Aussi donnons quelques chiffres pour connaître la situation financière de la première puissance économique du monde. Scindons la période 2001-2014 en trois phases pour comprendre le déroulement des événements. Comme on l’a dit, l’entrée en guerre des États-Unis, après le 11 septembre 2001, a été particulièrement nourrie par les liquidités monétaires déversées par la Fed. C’est ainsi que les déficits courants américains ont explosé. Ils passent de -395 milliards de dollars en 2001 à -687 milliards de dollars en 2008. Le pic a été atteint en 2006, avec un total de -807 milliards de dollars – au plus fort de la guerre en Irak, les tensions étaient extrêmes et les États-Unis menaçaient d’étendre la guerre à l’Iran. Ce n’est qu’à partir de 2007 lorsque la crise immobilière a fait son apparition aux États-Unis que le déficit de la balance des paiements courants a commencé à diminuer. -719 milliards de dollars en 2007, -687 M$ en 2008, avec 1 M$ = un milliard de dollars. (1)
Le déficit public américain, annulé en 1999, puis positif en 2000 à +0,8% du PIB américain (sous la présidence Clinton) a de nouveau augmenté. Il passe en 2001, à -1,4% du PIB, en 2002 à -4,8% du PIB, en 2003 à -5,9% du PIB… pour atteindre en 2008, -7,2% du PIB (-1042,416 M$).
Quant à la dette publique américaine, sous la présidence de Bill Clinton, elle passe de 70,6% du PIB en 1993 à 48,1% du PIB (4646,941 M$) en 2000. Sous la présidence Bush, la dette publique passe de 50,7% du PIB (5214,495 M$) en 2001 à 78,1% du PIB (11307,318 M$) en 2008. (1) Ces chiffres donnent une idée de l’évolution de la dette publique américaine. Sous Bill Clinton, elle a baissé, sous Bush fils, elle s’est envolée.
Après l’éclatement de la crise immobilière et financière en 2007-2008, commence le deuxième programme des quantitative easing. Mis en œuvre durant la crise (QE1), d’autres programmes de quantitative easing vont suivre après 2008. Le dernier programme (QE3) se termine en octobre 2014. Le déficit courant américain baisse fortement avec la récession en 2009 et passe à -381 milliards de dollars. Il atteint en 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, respectivement -444 M$, -459 M$, -461 M$, -400 M$, -411 M$, Pour 2015, le déficit courant prévu est donné à -410 M$. Si les déficits courants diminuent, les déficits publics en revanche explosent.
En 2009, le déficit public américain est à -12,8% du PIB, soit 1884,032 milliards de dollars. Bien qu’il baisse en 2010, 2011, et 2012, il reste néanmoins élevé, et se compte respectivement à -12,2% du PIB, -10,7% du PIB, -9,0% du PIB. Ce n’est qu’en 2013 qu’il descend à -5,7% du PIB, soit -921,291M$. En 2014, le déficit public s’élève à -5% du PIB. En 2015, il est prévu un déficit public de -4% du PIB, soit -696,76 M$.
Quant à la dette publique, elle augmente mécaniquement. De 78,1% du PIB (11307,318 milliards de dollars) en 2008 à 92,5% du PIB (13615,075 M$) en 2009. En 2010, 2011, 2012, la dette publique américaine augmente encore et s’établit respectivement à 101,8%, 107,7% et 110,5% du PIB. En 2014, la dette publique s’établit à 110,1% du PIB, soit 18461,568 M$. La dette publique en 2015, selon les prévisions américaines, atteindra 111,4% du PIB, soit 19404,766 M$. (1)
Que constatons-nous pour les deux périodes, c’est-à-dire celle des « subprimes » et celle des « quantitative easing » (QE1, 2, 3) qui ont suivi ? Que sous la présidence Bush et Obama, la dette américaine a plus que doublé en une décennie et demie. On est loin de la situation financière laissée par le président Clinton. Au vu de cette dégradation économique, force de dire que l’économie américaine a vécu une situation d’extrême faiblesse qui a nécessité une formidable monétisation des déficits courants et publics pour s’inscrire dans la croissance. Une question cependant : « Qui a profité aussi de ses déficits jumeaux ? »
- Les déficits courants et publics américains, une « manne financière miraculeuse » pour les pays hors-Occident
Les déficits de la balance courante et publics américains ont été colossaux, et se sont traduits par des pertes financières tout aussi colossales. Et donc un endettement extérieur américain colossal. La Chine en premier a profité de la guerre menée par les États-Unis au Moyen-Orient et son corollaire, son endettement qui a accompagné les dépenses militaires et la forte consommation intérieure.
En 2000, les réserves de changes de la Chine s’établissaient à 165,574 M$. En 2005, ses réserves de change quintuplent pour atteindre 818, 872 M$. En 2008, ses réserves de change ont été multipliées par 12 pour atteindre 1 966,200 M$. (1)
Précisément, après la crise financière, les États-Unis entrent dans les fameux programmes de « quantitative easing ». Cette politique monétaire américaine non conventionnelle fait gagner la Chine près de 500 M$ d’excédents commerciaux, en 2009, alors que l’Occident est en récession. Certes, le taux de croissance de la Chine qui était de 14,2% en 2007, s’est abaissé en 2008 et 2009, mais il est resté toujours élevé, respectivement 9,6% et 9,2% du PIB. En 2010, de nouveau la Chine engrange près de 500 M$, ses réserves passent à 2914,154 M$. Ce n’est qu’en 2012, que le taux de croissance a chuté, il est à 7,8% du PIB (pratiquement de moitié du record qu’elle a battu en 2007). (2) Ses réserves de change continuent d’augmenter, et en 2014, elles s’établissent à 3 952,130 M$. (1)
La Russie, pays exportateur de pétrole et de gaz, a aussi vu ses réserves passer de quelques dizaines de milliards de dollars en 2000 à 124,541 M$, en 2004. A la fin de la première période, les réserves de changes de la Russie ont presque quadruplé, elles s’établissent à 427,080 M$. Lors de la deuxième phase, elles culminent, en 2012, à 537,618 M$.
L’Arabie Saoudite, premier producteur et premier exportateur des pays de l’OPEP, a vu ses réserves de change s’accroître. Elles s’établissent à 743 M$ en 2014. Les autres pétromonarchies arabes ont tous vu leurs réserves de change augmenter.
L’Algérie, disposant de réserves de change minimes, et de surcroît endettée, redoutait même en 1998-1999 un nouveau programme d’ajustement structurel (PAS). Elle a déjà subi un PAS en 1994 et qui a mis 3 ou 400 000 travailleurs au chômage. Un nouveau PAS serait une véritable tragédie pour l’économie algérienne. Le baril de pétrole en 1998, il faut rappeler, est tombé très bas, à 10 dollars. Un minikrach pétrolier à l’époque, suite aux crises en cascades entre 1997 et 1998 (crise asiatique en 1997, crise brésilienne et russe en 1998).
La première phase a été miraculeuse pour son économie. Ses réserves de change ont atteint 77,781 M$ en 2006. L’année suivante, elles passaient à 110,180 M$. Quant à la dette extérieure, elle a été en grande partie remboursée. De 58,3% en 1999, elle passait à 34,2% en 2003. Elle ne représentait plus que 3,6% du PIB en 2007. (3) Un record grâce à la hausse des cours pétroliers.
Les réserves de change augmentaient encore en 2008, et à la fin de l’année, atteignaient 143,102 M$. Fin décembre 2009, elles augmentaient et passaient à 148,95 M$. A la fin de la deuxième phase, c’est-à-dire fin juin 2014, l’encours des réserves de change de l’Algérie s’élevait à 193,269 milliards de dollars, et la dette extérieure très basse à 3,719 milliards de dollars. (3)
Les réserves de change des pays émergents et des pays exportateurs de pétrole ont fortement augmenté durant les deux phases historiques en ce début de XXIème siècle, et similairement les dettes publiques et les déficits courants et publics aux États-Unis et en Europe ont fortement augmenté. Ce qui nous fait dire par conséquent que le reste du monde par les réserves de change qu’il détient, détient la dette sur l’Occident. Toutes ces réserves de change sont donc de la dette extérieure américaine et européenne. Dès lors que le reste du monde place ses réserves de change aux États-Unis et pour des raisons de diversification en Europe, il rend les États-Unis et l’Europe débiteurs. Et le reste du monde devient de facto son créditeur, son bailleur de fonds. Le reste du monde peut aussi prélever des richesses de l’Occident en contrepartie de ses réserves de change. Et le plus paradoxal de ses placements ou des prélèvements de richesses, ses réserves de change sont libellées dans la monnaie des pays débiteurs.
Mais cette dette que détient le reste du monde sur les États-Unis et l’Europe est considérable, la question qui se pose : « ces deux grands pôles économiques du monde pourront-ils payer, pourront-ils rembourser leurs dettes au reste du monde ? » C’est là la problématique. Il ne s’agit pas de dettes publiques ou privées intérieures, mais de la dette extérieure ou position extérieure nette. On sait très bien qu’un Etat endetté sur le plan intérieur ne fait jamais faillite. Il a les pouvoirs financiers et monétaires, et malgré son endettement, il peut toujours faire reculer la dette en émettant d’autres emprunts – l’emprunt rembourse l’emprunt et l’inflation. Le Japon a une dette publique qui dépasse les 200%, dont 90% de la dette est détenue par les citoyens du Japon. La dette extérieure est très faible, et il est le deuxième détenteur de réserves de changes du monde après la Chine.
Mais concernant la dette extérieure, tout Etat devient un obligé, il doit rembourser la dette car il y va de sa crédibilité, et il doit donc rembourser ce qu’il doit. Un Etat en développement ou un Etat émergent ne poserait pas de problèmes pour le remboursement de la dette extérieure. S’il ne remboursait pas, il serait rapidement confronté à une situation extrêmement grave, qui deviendrait intenable. Son « isolement » – le pays refuse de payer – par les marchés financiers internationaux le mettrait dans l’alternative soit de payer, soit (s’il n’a pas les moyens) de « rééchelonner sa dette » et l’octroi d’un prêt financier en échange de conditionnalités (ouverture de son économie, privatisation, etc. qui constituent de véritables oukases, l’économie est dirigée de l’extérieur comme la Grèce aujourd’hui), soit s’il refuse de payer, le pays est poussé dans le chaos (sans argent, le pays s’installerait dans une guerre civile).
La Malaisie lors de la crise asiatique en 1997 a pu se passer du FMI. Elle a procédé elle-même à des réformes sans l’appui du FMI, sans aide financière, mais sa dette vis-à-vis de l’extérieur a été honorée. Il ne pouvait être autrement sinon les marchés financiers se fermeraient.
- Débat entre Jacques Attali et Jean-Luc Mélenchon sur la dette de la France et, par extension, la dette américaine
Pour un pays détenteur de monnaie internationale comme les États-Unis, l’Europe, le Royaume-Uni et le Japon, leurs dettes extérieures libellées en leurs monnaies ne les exemptent pas de rembourser. Sinon le système monétaire international bâti sur leurs monnaies perdrait de sens.
Dans une émission-débat (4) « Des paroles et des Actes entre Jean-Luc Mélenchon et Jacques Attali », les deux participants débattaient de la dette de la France.
Attali : « Si nous menaçons de cesser de payer notre dette, d’abord il faut se souvenir que à peu près la moitié de la dette de l’Etat français est détenue par des Français, donc on devra menacer aussi les épargnants français. (…) La moitié de la dette appartient à des Français, l’autre moitié appartient à des Européens et à des non-Européens. Voilà (…) Si nous décidions de cela. Pour qu’une menace de ne pas payer, il faut qu’elle soit crédible. (…) Si la France menace de ne pas payer, il faut que la France soit crédible. (…) parce que ce n’est pas crédible, Mr Mélenchon. Une menace qui ne peut pas être exécutée n’est pas crédible. Pourquoi elle ne peut pas être exécutée ? Parce que qu’elle est la première victime ? Parce que si on le fait, la première victime immédiatement c’est la France. Bien avant les autres. Bien avant les autres. (2 fois répétées) Mélenchon : « Pourquoi ? » Attali : « Parce que les taux d’intérêt augmenteront et on sera mort. »
Mélenchon : « Cette dette (de la France) ne sera jamais remboursée, Mr Attali. Osez dire le contraire devant les spectateurs. (…) A aucun moment jamais dans l’histoire, des dettes de cette ampleur n’ont été payées. De la même manière que jamais les États-Unis d’Amérique ne solderont la masse de dollars qu’ils ont mis en circulation et qui ne correspondent à aucune valeur matérielle. Par conséquent, le monde entier est menacé par ce fait là. » Attali : « Absolument » Mélenchon : « A l’intérieur duquel se penche la politique des Français et la politique de l’Europe. Cette dette ne sera jamais payée, Mr ! Plus on essaie de payer cette date et moins on y arrivera. (…) Attali : « Ce qui veut dire que vous allez ruiner ceux qui ont prêté à l’Etat, y compris la moitié des Français. » Mélenchon : « De quelle manière peut-on solder une dette de cette importance ? Attali : « Par la croissance, par la guerre, par l’inflation. Voilà les trois façons. » Mélenchon : « Et vous oubliez un cas, c’est curieux vous ne l’avez pas prévu. Remboursez en faisant une politique d’austérité. C’est ce qu’il faut ». (…) Mélenchon : « Si la crise dure, c’est parce que nous refusons d’admettre cette évidence. Et vous Jacques Attali, vous le savez comme moi. Il y a donc quatre manières d’en sortir. Une qui est la mauvaise, c’est celle qu’on applique (l’austérité). Qu’est-ce qui reste ? La guerre ni vous ni moi ne la souhaitons. Qu’est-ce qui nous reste ? » Attali : « L’inflation ». Mélenchon : « C’est l’inflation qui m’intéresse. » Attali : « Alors, voyons, l’inflation, très bien, c’est une solution. » Mélenchon : « Vous préférez l’inflation ou la mort ? Je préfère l’inflation. » Attali : « Parfait » Mélenchon : « Chiffrez cette inflation. Menez le total des dettes européennes, monétisez par la Banque centrale européenne, combien d’inflation ? Quatre à cinq points. Et bien vive les quatre à cinq points et rendez-nous notre boulot, permettez-nous de vivre. Arrêtez nous de faire payer une dette que personne ne remboursera jamais. » David Pujadas : « Possible ou impossible, Jacques Attali » Attali : « J’ai beaucoup écrit sur cette question… » Mélenchon : « J’ai raison ou j’ai tort ? » Attali : « Vous avez raison à l’échelle européenne pas à l’échelle nationale… si vous faîtes ça en France (monétisation de la dette), vous condamnez la France à sortir de l’euro, ça ne marchera pas… Moi aussi, je suis favorable à un peu plus d’inflation mais faut avoir conscience de ce que ça signifie…. L’inflation, c’est un impôt sur les pauvres, sur les retraites des pauvres. Je dis que ça serait pire. C’est pour ça que l’inflation est bonne pour les jeunes et mauvaise pour les personnes de 40 ans parce qu’eux ont une épargne. Dès que vous avez une épargne, l’inflation est mauvaise. C’est pour ça qu’aujourd’hui dans la société occidentale en général, qui est une société qui a vieilli, le pouvoir a été pris par les seignors de plus de 40 ans. Et c’est pour ça que l’inflation est impossible aujourd’hui. » Mélenchon : « allemand » Attali : « pas seulement allemand, mondialement, et au Japon en particulier. » Pujadas : « Jacques Attali, impossible mais souhaitable d’après vous cette politique de l’inflation ? » Attali : « A l’échelle européenne, c’est une politique tout à fait possible » Attali : « L’inflation est jouable qu’à l’échelle européenne. » Mélenchon : « Nous somme d’accord. Alors comment on peut s’y prendre ? » (…) Pujadas (au terme du débat) : « Jacques Attali, est-ce qu’on peut connaître votre méthode à vous si vous en avez une pour tenter d’y arriver. Puisque vous avez des objectifs communs. » Attali : « Je pense qu’il faut discuter très sévèrement avec les Allemands et proposer aux Allemands un plan très cohérent qui soit, un : se doter au niveau de l’Eurozone d’un pouvoir fédéral ayant les moyens d’emprunter et on peut emprunter 1500 milliards pour investir demain matin. Cà on peut le proposer. Je pense que ça n’a pas de sens si on ne fait pas en même temps une avancée politique et pour ça, je propose de séparer le parlement en deux, un parlement à 27, il est à Bruxelles, il doit y avoir un parlement à 17. » Mélenchon : « Cà ne m’a pas l’air plus rapide que ma méthode votre affaire. On peut emprunter 14 000 milliards d’euros parce que c’est le PIB annuel de l’Europe » Attali : « Mais ça c’est ce qu’on emprunte déjà par les nations, on ne peut pas le compter deux fois. » Mélenchon : « Les États-Unis d’Amérique, combien de fois ont-ils gagé leurs PIB, Mr Attali ? » Attali : « Exactement une fois puisque la dette publique américaine est 100%, (Attali corrige) 110%, donc une seule fois. » Mélenchon : « C’est bien ce que je vous dis. » Attali : « Oui, mais nous, on l’a déjà fait au niveau des États. » Mélenchon : « Mais non, vous n’y êtes pas. L’organisme qui s’appelle l’Union européenne doit zéro euro. Donc vous transportez l’emprunt par l’Union européenne. Pour l’argent, il me suffit d’aller prendre n’importe laquelle des banques françaises et lui faire un emprunt forcé parce qu’elle emprunte un emprunt à zéro pour cent à la Banque centrale européenne. (…) Parce que sinon on pourrait emprunter autant que l’on voulait, et à 1%, et il ne l’a pas fait. » Pujadas : « Un dernier mot, Jacques Attali. » Attali : « je voudrais seulement préciser que pour moi tout ce qui a été dit est inapplicable si ce n’est pas au moins à l’échelle européenne. Mais j’espère qu’on le fera à l’échelle européenne, mais à l’échelle nationale, ça nous conduira à la Corée du Nord. »
- Le raisonnement de Jacques Attali et Jean-Luc Mélenchon sur la dette publique ne tient pas la route
Que peut-on dire de ce débat entre Jacques Attali et Jean-Luc Mélenchon ? Si on les écoute, puisque ce n’est pas possible à l’échelle nationale, mais possible à l’échelle européenne, et les deux participants sont d’accord, Jean-Luc Mélenchon propose de transporter l’emprunt à l’Union européenne, quelles conséquences vont-ils surgir ?
En supposant même comme le dit Attali, que « l’Eurozone se dote d’un pouvoir fédéral ayant les moyens d’emprunter et on peut emprunter 1500 milliards pour investir demain matin », ou comme le dit aussi Mélenchon, « l’Union européenne pris dans son ensemble est une entité supranationale qui n’est pas endettée », ce qui est pratiquement le même raisonnement sauf qu’il est énoncé autrement, les conséquences seraient terribles pour l’Europe, pour les États-Unis, et pour l’Occident tout entier.
Que se passerait-il passé sur le plan mondial, si ce raisonnement était appliqué par la Banque centrale européenne (BCE) ? Et donc des liquidités en euros massivement injectées dans l’économie de la zone euro. Une monétisation en quelque sorte progressive des dettes publiques des pays membres de la zone euro en fonction des besoins de leurs économies. Il est évident que si l’Europe émettait 1500 milliards d’euros du jour au lendemain ou même échelonné dans le temps, le premier couac : « la monnaie européenne va fortement se déprécier sur les marchés financiers ». Que vont faire les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon lorsqu’ils verront leurs monnaies (dollar, livre sterling, yen) s’apprécier, entraînant de facto une perte de compétitivité dans les échanges commerciaux internationaux ? La riposte est fatale. Ils injecteront massivement des liquidités pour dégonfler cette appréciation monétaire qui les désavantage dans le commerce mondial. La Chine dont le yuan est ancré au dollar, agirait de même. Elle injecterait plus de yuans.
Au bout du compte, cette masse de liquidités injectées par les grandes Banques centrales occidentales amènerait, et c’est ce qu’il faut souligner, « les excédents des pays émergents et des pays exportateurs de pétrole à exploser ». Nous aurons alors la Chine qui va voir ses excédents commerciaux annuels bondir non pas à 500 milliards de dollars, mais peut-être à 800 milliards de dollars, ou plus en toutes monnaies internationales confondues. Emettre donc demain 1500 milliards d’euros qui seraient fatalement suivis par de fortes émissions monétaire américaine, britannique et japonaise, ne fera qu’augmenter les réserves de changes des pays émergents et exportateurs de pétrole.
Proposer un parlement de la zone euro ou créer un pouvoir fédéral en zone euro ne changerait rien à la donne sur le plan monétaire. Tout ce qu’il pourrait apporter une meilleure maîtrise budgétaire entre les pays membres de la zone euro, ce qui influerait positivement sur les déficits publics, et partiellement en politique monétaire. Et encore faudrait-il que ces pays membres aient à peu près la même compétitivité que l’Allemagne. Ou du moins se rapprochent. Le solde des dépenses et recettes publiques n’étant pas les mêmes.
Donc, dans le fond, créer de l’argent à partir de rien, « sans valeur matérielle », aiderait certes l’Europe mais n’apporterait pas de compétitivité face aux pays émergents qui ont un formidable réservoir de main-d’œuvre à faible coût. Et surtout « il augmenterait les déséquilibres extérieurs qui seraient redoutables pour la zone euro par la suite ». Pour preuve, les États-Unis qui ont un pouvoir fédéral, et de plus bénéficient du dollar qui est la monnaie de facturation du pétrole des pays d’OPEP et pour la plupart des matières premières, que n’ont ni la zone euro, ni le Royaume-Uni ni le Japon, « ont des difficultés aujourd’hui avec leur principal créancier, la Chine ».
Dotés d’un « droit seigneurial » écrasant et unique au monde, les États-Unis n’arrivent pas, malgré la reprise économique et la baisse du taux de chômage (divisé par deux entre 2010 et aujourd’hui, passant de 10% à 5,1%), à se libérer de l’emprise de la Chine. Malgré le pouvoir seigneurial américain, la Chine a accumulé près de 4000 milliards de dollars en 2014. Si l’Europe serait doté d’un pouvoir fédéral et créerait 1500 milliards d’euros et qu’il faut multiplier au moins par deux puisque les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon feront de même, la Chine en 2017 aurait engrangé 6000 milliards de dollars voire plus. L’Arabie saoudite 1200 milliards et plus, la Russie 700 milliards de dollars et plus, l’Algérie 250 milliards de dollars et plus. Et il y a un risque aussi que l’inflation bondisse, le monde retomberait-il dans l’inflation mondiale (à deux chiffres) dans les années 1970 ?
Le prix de pétrole exploserait, peut-être à 200 dollars le baril et plus. Les prix des matières premières suivraient. S’ensuivrait alors une formidable crise alimentaire dans le monde due à la hausse des prix de l’énergie et agricoles de base.
Si, comme le dit Attali, « l’inflation n’est jouable qu’à l’échelle européenne », Mario Draghi comme Angela Merckel auraient été les premiers à la mettre en œuvre. Et on croit beaucoup que l’Allemagne cherche à défendre ses intérêts et qu’elle impose l’austérité aux autres membres de la zone euro, y compris en Allemagne où la pauvreté gagne un pays pourtant riche. Certes il est vrai qu’elle cherche son intérêt, mais il y a aussi d’autres raisons, d’autres enjeux majeurs qui commandent l’austérité en Europe
Il faut aussi dire que si la monnaie unique a été créée par la force des conjonctures, un pouvoir fédéral sera de même crée par la force des conjonctures. Ceci simplement pour montrer que toute organisation nouvelle naît des forces que font naître les conjonctures internationales. Et c’est la raison pour laquelle l’Europe n’est pas encore mûr pour un pouvoir fédéral Et qu’elle se doit sur les quatre cas pour s’en sortir énumérés par Jacques Attali et Jean-Luc Mélenchon, c’est-à-dire « Par la guerre, par l’inflation, par rembourser en faisant une politique d’austérité, par la croissance », d’appliquer les deux derniers : REMBOURSER EN FAISANT UNE POLITIQUE D’AUSTERITE ET S’EFFORCER A LA CROISSANCE.
Les deux approches donc de Jacques Attali comme de Jean-Luc Mélenchon ne tiennent pas la route sur l’inflation à l’échelle européenne, ça ne marchera absolument pas et hypothèquera l’avenir de la zone euro et de l’Occident tout entier. On comprend dès lors que Jacques Attali comme Jean-Luc Mélenchon raisonnent essentiellement « Occident », comme s’il n’existait que l’Occident dans le monde. Et c’est là où se situe l’erreur dans leur raisonnement.
D’autre part, il n’y a pas de solution ni pour l’Europe ni pour les États-Unis ni pour l’Occident tout entier. Il faut se dire que les injections massives de liquidités en dollars par la Fed et qui ont duré plusieurs années depuis 2008 ont été un mal nécessaire. Il était urgent pour les États-Unis de « réamorcer la pompe », et la reprise s’est faite sur fond d’endettement. Cependant l’Amérique ne pouvait créer « indéfiniment » des liquidités, car ses dettes, « l’Amérique doit les rembourser à ses créanciers ».
Le plafond de la dette publique aux États-Unis est toujours relevé année après année par le Congrès pour répondre aux déficits publics. Et si, sur le plan intérieur, la dette publique américaine peut toujours être augmenté sans poser de problèmes majeurs, c’est parce que les titres d’Etat américains sont recherchés du fait de leur sécurité et leur très grande liquidité. Ce sont les titres les plus prisés par les Banques centrales du monde. Il reste cependant que l’Amérique, première puissance économique du monde, a un talon d’Achille : la « dette extérieure ». Si cette dette grandit, qu’elle devienne difficilement soutenable, c’est-à-dire que le poids du service de la dette augmenterait, les États-Unis se retrouveraient à transférer une partie de leurs richesses aux pays du reste du monde. En d’autres termes, dépendre voir vendre progressivement une partie de leur patrimoine aux pays du reste du monde, avec les dollars qu’ils auront créés, ce qui mettra la superpuissance en danger.
Si les États-Unis refuseraient d’honorer leur dette extérieure, ils perdraient la confiance du monde et la fin du dollar d’où l’Amérique tire sa puissance. Les autres grandes puissances monétaires, en l’occurrence la zone euro, « s’ils en usaient sans frein de la planche à billet » se trouveraient dans la même situation. Le processus s’inverserait, et ce qui s’est passé pour le tiers monde dans les années 1980 avec l’endettement – se rappeler la débâcle de l’Afrique, de l’Amérique du Sud, du bloc Est et de l’Union soviétique – s’appliquerait à l’Amérique…
- Ce que Jean-Luc Mélenchon et Jacques Attali n’ont pas comptabilisé : la dette extérieure nette des États-Unis et de l’Europe
Regardons la position extérieure nette des États-Unis (PEN), c’est-à-dire sa dette extérieure nette vis-à-vis du reste du monde. En 1994, la PEN est pratiquement nulle, les actifs que les États-Unis possèdent sur le reste du monde s’équilibrent avec les engagements que l’Amérique a pris auprès du reste du monde. A partir de cette date, la PEN ne va pas cesser de se dégrader hormis en 1997 avec la crise asiatique où elle enregistre un bref rebond. En 1999, le PIB américain est de 9 661 M$. (1) La PEN passe à environ -10% du PIB, soit -966 M$. (5)
A partir de 2001, la PEN va plonger et atteindre en 2002 environ -23% du PIB, soit -2524 M$. Le PIB en 2002 est de 10 978 M$. On remarque durant cette période que la dette extérieure nette a augmenté fortement suite à la politique expansive de la Fed à partir de janvier 2001 et les attentats du 11 septembre 2001.
A partir de 2003, la PEN s’améliore et atteint fin 2006 environ -9% du PIB, soit -1247 M$. Le PIB étant de 13 856 M$. La baisse de la dette extérieure nette se comprend du fait que la Fed a entamé la phase baissière du cycle (politique restrictive dès la mi-2004).
En 2008, avec l’éclatement de la crise financière en 2008, la PEN plonge et passe brusquement de -9% à -28%, soit -4100 M$. Le PIB en 2008 étant de 14 719 M$. La forte hausse de la dette extérieure nette des États-Unis s’explique du fait des fortes liquidités injectées dans le cadre des plans de sauvetage du système bancaire et de relance de l’économie américaine (QE1).
A partir de 2009, la PEN se redresse et passe à -17% fin 2010. La dette extérieure nette plonge de nouveau et passe à -28% du PIB, soit -4400 M$ fin 2011. Le PIB américain est de 15 518 M$ en 2011. La forte hausse de la dette extérieure nette est due essentiellement au nouveau programme « quantitative easing » (QE2) lancé par la Fed américaine fin 2010. Un programme de rachats de dettes d’environ 800 à 900 M$ pour empêcher un choc haussier des taux longs et aussi pour soutenir l’activité économique.
Après une courte stabilisation de la dette autour de -27% du PIB, la PEN de nouveau repart en hausse. De -27% environ fin 2012, elle passe à -35% du PIB en 2014. Elle se compte à environ -6100 M$, pour un PIB de 17 348 M$ en 2014. La dette extérieure nette représente le tiers du PIB américain. L’explication de la hausse de la dette extérieure nette américaine se trouve dans le nouveau programme « quantitative easing » (QE3) lancé par la Fed américaine fin 2012, que d’aucuns n’ont pas hésité à l’appeler de « début d’apocalypse financière ».
Ces QE américains dénommés « apocalypses financières » étaient nécessaires puisque ce sont eux et le programme twist (une opération stérilisée) qui ont permis l’économie de sortir de la crise financière de 2008. Que l’on soit d’accord avec ces QE ou non, les faits sont là, la crise a duré dans le temps, et il n’empêche que la reprise économique est une réalité, ce qui a redonné plus de crédibilité à la Banque centrale américaine.
Cependant, ce qui ne pouvait manquer, c’est qu’en dopant l’économie américaine, la Fed se transformant (ou plutôt l’a toujours été) en « Banque centrale du monde » dopait, par ricochet, aussi les pays du reste du monde. D’abord les pays émergents et les pays exportateurs de pétrole « en leur permettant d’enregistrer des excédents commerciaux faramineux » et, par conséquent, « accumuler sans cesse des réserves de change ». Un processus tout compte fait naturel. Et même l’Europe et le Japon ont retiré profit puisqu’ils ont aussi mené des programmes de rachats de dettes pour soutenir leurs économies. Processus qui a permis d’« équilibrer les formidables émissions monétaires américaines sur les marchés internationaux par les émissions monétaires de la zone euro, du Royaume-Uni et du Japon afin d’éviter que le dollar s’effondre suite aux fortes liquidités en dollars injectées sur les marchés ». Et c’est ce pouvoir de duplication qui a permis la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF), puis son remplacement par le Mécanisme européen de stabilité (MES) et récemment, en mars 2015, le lancement d’un QE en zone euro, comme ce fut aussi pour le Japon (abénomics) et le Royaume-Uni.
La zone euro est cependant moins endettée que les États-Unis. De nulle en 1998, la PEN de la zone euro a augmenté pour atteindre -5% du PIB en 2001, environ 350 milliards d’euros (M€). La dette extérieure nette augmente ensuite pour atteindre -17% du PIB en 2009, environ 1400 M€. (5) L’augmentation de la dette extérieure nette de la zone euro est due à la forte hausse des cours des prix de pétrole durant les années 2000 et aussi aux placements effectués par les pays exportateurs de pétrole et la chine qui ont cherché à diversifier leurs excédents commerciaux. Ce qui a fait que les non-résidents détenaient plus de titres en zone euro que les résidents euro à l’extérieur. D’autre part, la crise de 2008 a mis la BCE dans l’obligation de soutenir, par plusieurs programmes de rachats de dettes souveraines, l’activité économique en zone euro.
La mi-2009 avec la baisse des cours pétroliers, la PEN de la zone euro, après un rebond positif de 3 points du PIB, se stabilise à environ -13% du PIB jusqu’à la mi-2012. La dette se détériore ensuite d’un point et demi du PIB, suite à la forte hausse des cours pétroliers, aux placements des non-résidents et aux plans de soutien de la BCE à la zone euro. Au milieu de l’année 2014, la dette extérieure nette se chiffre à -14,5%. (5)
Fin 2014, c’est le « tournant ». La dette extérieure se redresse nettement, grâce à la forte baisse des prix du pétrole au deuxième semestre de 2014 – le prix du baril de pétrole a baissé de moitié en décembre 2014. La dette extérieure nette de la zone euro remonte à -10% du PIB, elle se compte pour environ -1000 M€. Le PIB de la zone euro, à cette date, est de 10 111 M$.
Que peut-on dire de l’évolution des dettes extérieures nettes des États-Unis et de la zone euro ? Il est évident que si les États-Unis avaient continué ces « apocalypses financières », c’est-à-dire « opérer un QE4, la dette extérieure nette américaine serait augmentée encore de -10 points de PIB, elle passerait à -45%, ce qui équivaudrait pour un PIB prévisionnel de 17968 M$, un montant de dette extérieure nette de -8000 M$. Un QE5 en 2017, par exemple, aurait entraîné probablement la même hausse, à 55% du PIB. La dette extérieure nette des États-Unis ne serait alors plus soutenable. La charge de la dette serait telle que les QE n’auront plus de sens, ils les entraîneront dans la faillite. »
On ne peut confondre les dangers que recèle la dette extérieure nette de la partie de la dette publique américaine détenue par les résidents américains. Une dette publique détenue majoritairement par les résidents et très peu détenue par les non-résidents ne poserait pas de grands problèmes. Parce qu’elle est entre les mains des nationaux. Par exemple, le Japon, en 2014, avait une dette publique de 226% du PIB (1), mais elle est détenue à 90% par des Japonais. De plus, il est le deuxième détenteur de réserves de changes du monde. Et c’est là le paradoxe, combien même les États-Unis détiennent le « droit de seigneuriage » unique au monde, ils doivent rembourser leurs dettes envers les pays du reste du monde, sinon ils perdent toute crédibilité et en même temps le « droit de seigneuriage ». D’autant plus que continuer à injecter des liquidités dans le cadre des QE contribuerait à nourrir les excédents commerciaux de la Chine, des exportateurs de pétrole et du reste du monde exportateurs de matières premières, ce qui équivaut à accroître la dette extérieure américaine.
Le problème de la dette extérieure concerne aussi la zone euro. S’il n’y avait pas eu la chute des cours des prix du pétrole, la dette extérieure nette de la zone euro qui était d’environ -14,5% du PIB en mi-2014 n’aurait certainement pas diminué à -10% du PIB, mais se serait encore détériorée eu égard à la forte hausse des prix du pétrole qui oscillait entre 100 et 115 dollars le baril. Ce serait encore une dette qui baisserait de -1,5 ou -2 points du PIB, soit une PEN de -17% du PIB pour la zone euro. Et si les QE auraient été prolongés et le cours du prix du baril de pétrole maintenu artificiellement à des niveaux élevés, la situation de la dette extérieure nette de la zone euro aurait empiré, comme pour les États-Unis
Ce qui nous fait dire que Jacques Attali comme Jean-Luc Mélenchon n’ont pas pris en compte les conséquences des émissions monétaires des Banques centrales américaine et de la zone euro sur les marchés internationaux. Concentrer environ 90% de réserves de changes dans le monde ne signifie pas que les États-Unis et la Zone euro sont absous de règles prudentielles dans leurs politiques monétaires. Bien, au contraire, il y a une extrême prudence à appliquer dans les politiques monétaires. Et c’est ce qui explique les atermoiements aujourd’hui, depuis plusieurs mois, du FOMC et de Janet Yellen, la gouverneure de la Fed, dans la décision de relever le taux d’intérêt américain proche de zéro depuis sept ans.
- La face cachée de la « crise pétrolière » 2014-2015. Un « subterfuge » pour désendetter l’Occident
Et dans la crise pétrolière qui a commencé dès l’été 2014, nous entrons dans la « deuxième partie du programme » qui devrait être déclenchée en parfaite coordination avec l’extinction en cours du QE3. Les États-Unis n’ont pas le choix. Ils doivent coûte que coûte dégonfler la dette extérieure nette. Et la chute des cours pétroliers et des matières premières étaient nécessaire. Elle devait contribuer à mettre fin aux « déséquilibres mondiaux », c’est-à-dire diminuer les excédents commerciaux enregistrés par les pays exportateurs de pétrole et de matières premières. Ces pays bénéficiaient d’un transfert de richesses net de l’Occident et du reste du monde (surtout pour les pays pétroliers). Et la forte baisse des cours des prix de pétrole les amènerait à enregistrer des déficits commerciaux, ce qui les obligerait à puiser dans leurs réserves de changes qui sont placées en bons de Trésor américains et européens. Et c’est ce qui s’est produit et se produit encore aujourd’hui.
D’autre part, les déficits des balances des paiements ne se limitent pas aux seuls pays en développement, elles touchent aussi les pays émergents. La Russie et le Brésil, pays du BRICS, sont déjà en récession, en 2015. La Russie, bien avant, a subi, en plus de la baisse des prix de pétrole, des attaques spéculatives d’envergure qui lui ont coûté, au deuxième semestre 2014, plus de 100 milliards de dollars pour soutenir sa monnaie, le rouble. En outre, la Banque centrale de Russie, au plus fort de la crise, a augmenté le taux d’intérêt directeur à 17% pour stopper la fuite des capitaux hors de Russie, ce qui a pénalisé son économie. Quant à la Chine, elle a subi en 2015 des krachs boursiers en cascades, qui lui ont couté aussi des montants faramineux en réserves de change qui dépassent de beaucoup les pertes financières de la Russie.
La conséquence majeure à souligner est que cette crise pétrolière et des matières premières a et aura encore un impact considérable sur la demande mondiale. Le monde n’en est qu’au début de la « crise de la demande mondiale ».Tous les pays en développement et les pays émergents comme déjà la Russie et le Brésil en récession vont forcément rationner leurs réserves de change, et donc diminuer leurs plans d’investissements (projets d’infrastructure, importations de biens et services, etc.) et leurs consommations. Ce qui va toucher immanquablement les grands pays dont les économies sont basées sur le tout exportation, comme la Chine, l’Allemagne, le Japon, Taïwan, la Corée du Sud et les autres grands pays exportateurs de biens et services. La Chine, en tant deuxième puissance économique du monde, premier exportateur de biens et service du monde et premier importateur d’énergie et de matières premières, sera fortement touchée et son ralentissement aura à peser sur l’ensemble des économies du monde.
Les États-Unis et la zone euro, vu la faible demande mondiale, leurs économies resteront en stagnation. Disposant des deux principales monnaies mondiales, ils ont toujours en dernier recours l’arme monétaire et budgétaire au fur et à mesure que les déséquilibres extérieurs mondiaux entre l’Occident et le reste du monde s’atténuent. Et celui-ci est directement lié à l’évolution du niveau des réserves de change détenues par les pays du reste du monde, et donc du temps mis dans la contraction des réserves de change. « Plus vite elles se réduisent à un niveau acceptable, plus vite il y a une lueur de sortie de crise. »
Dans une analyse qui en fait état, on lit : « Du jamais-vu depuis la fin des années 1970. Entre juillet 2014 et juillet 2015, les Banques centrales étrangères, Chine en tête, ont vendu beaucoup plus d’emprunts d’Etat américains qu’elles n’en ont achetés, dans des proportions inédites. Les ventes nettes de « treasuries » sur 12 mois glissants ont atteint 123 milliards de dollars. Certes, cela pourrait paraître peu au regard des 12.800 milliards de dollars que représente ce marché. Mais selon Deutsche Bank, qui a publié ces chiffres, il s’agit de la plus mauvaise performance enregistrée depuis qu’elle a initié son étude, en 1978 ! Un revirement brutal. (…) Rien qu’au mois d’août, la Chine aurait dépensé entre 120 et 130 milliards de dollars dans cette optique, en achetant des yuans et en vendant des dollars. A commencer par ses principaux actifs dans la devise américaine : les treasuries. Cherchant eux aussi à protéger leurs monnaies, la Russie, le Brésil et Taiwan auraient également vendu beaucoup de titres. »
Si on fait le décompte des pertes uniquement pour la Russie, la Chine, les pays du Golfe et l’Algérie, on obtiendrait les chiffres suivants. Pour la Russie, les réserves de change détenues sont passées de 509,595 milliards de dollars fin 2013 à 385,460 milliards de dollars fin 2014. (1) Au 15 mai 2015, ses réserves se chiffrent à 362,3 milliards de dollars. (6)
La Chine avec le ralentissement économique et ses krachs boursiers en 2015, malgré les avantages tirés d’un bas prix du pétrole, a vu ses réserves de change fondre et passer de 3952,130 milliards de dollars à 3557,381 milliards de dollars en août 2015 (7). Une perte qui se chiffre à 394,749 milliards de dollars.
Les pays du Golfe devraient perdre 300 milliards de dollars, titre une analyse occidentale. (8) L'Arabie saoudite qui disposait des réserves évaluées à quelque 750 milliards de dollars n’en possède aujourd’hui que 666,66 milliards de dollars. Une perte financière qui s’établit à environ 84 milliards de dollars. (7)
L’Algérie a enregistré des pertes de réserve de change depuis 2014. Ses réserves de change sont passées de 193,269 milliards de dollars fin juin 2014 à 159,027 milliards de dollars fin juin 2015, une baisse de 34,233 milliards de dollars. (3),
En additionnant toutes ces pertes de change, on arrive pour ces seuls pays, à environ 900 milliards de dollars en juin 2015. Un montant qui constitue pour les États-Unis et l’Europe une amélioration nette de leur dette extérieure puisque ces 900 milliards sont le produit de la vente de titres américains et européens sur les marchés internationaux, ce qui se traduit par moins d’engagements pour les États-Unis et la zone euro envers l’extérieur. Et si on prend en compte l’ensemble des ventes de titres occidentaux par les pays du reste du monde, ce montant est certainement dépassé.
On constate dès lors, au vu de ce « processus inaccoutumé mais légal » – comme on l’a dit supra « selon leurs règles » –, que les États-Unis remboursent effectivement une partie de leurs dettes contractées auprès du reste du monde. Et de ce remboursement, ils évitent un péril auquel ils peuvent être confrontés au cas où spirale de la dette extérieure se serait prolongée. Et qui n’est bon ni pour la zone euro – la spirale l’aurait touchée – ni pour le reste du monde qui se trouverait exposé dans la pire des crises. La crise pétrolière apparaît donc comme un subterfuge « pour pousser les pays du reste du monde à désendetter l’Occident ».
- Vers une « stagdéflation » mondiale
Que peut-on dire du retournement de situation pour les pays émergents et les pays en développement ? Il est évident que l’on a beau dire que cela relève de la stratégie de la Fed américaine, il reste que cela va au-delà des stratégies des uns et des autres, que tout revient d’abord et avant tout « aux conjonctures économiques et financières mondiales », et celles-ci ont permis d’arriver à cette montée en puissance de la Chine en pratiquement une décennie, que l’Occident n’a pas vu venir, comme pour les pays arabes exportateurs de pétrole qui se sont trouvés projetés dans l’illusion d’un prix de pétrole fort alors qu’ils n’ont rien fait pour profiter rationnellement de cette manne miraculeuse.
La Chine qui dispose encore d’environ 3500 milliards de dollars de réserve de change va inévitablement se tourner vers son marché extérieur. Et combien même son président Xi Jumping l’a affirmé, lors d’une conférence de presse commune avec son homologue, Barack Obama, à la Maison Blanche, à Washington. « La Chine est sous la pression croissante d'un ralentissement économique et de certaines fluctuations boursières. Les défis et les difficultés se sont évidemment accrus mais nous avons une politique budgétaire proactive et une politique monétaire prudente » (…) Maintenant, a souligné le président chinois, l'économie chinoise est passée d'un taux de croissance rapide à un taux de croissance plus lent et nous passons d'une économie tirée par les exportations à une économie tirée par la consommation et la demande intérieure (…) Nous appelons cela la nouvelle normalité de l'économie chinoise », a expliqué M. Xi. (9) La normalité en vérité, c’est la « nouvelle conjoncture économique qui le commande ». Les hommes ne sont, si on peut dire ainsi, que des suiveurs de la normalité du mouvement historique du monde. Comme ce qui a commandé la Fed à mettre fin à son QE3 en 2014.
Et combien même la Fed américaine passe à une vitesse supérieure en augmentant le taux directeur fin 2015 ou début 2016, et ce sera la « troisième partie du programme », ce qui certainement va accélérer la crise des pays émergents et des pays exportateurs de pétrole, elle devra cependant rester vigilante à ce mouvement historique. Car rien ne prédit qu’elle ne provoquera pas une crise au sein même de l’économie américaine. Car, en tirant trop sur la corde monétaire, elle risque de revenir précipitamment à la case départ comme le craint et a maintes fois mis en garde la directrice du FMI, Christine Lagarde. Ce qui ne fera qu’augmenter la méfiance des pays du reste du monde, et pousser encore plus au « rationnement de l’utilisation des réserves de change » par la Chine, les pays émergents et les pays en développement. Le monde alors se dirigera vers une « stagdéflation ».
Aussi pouvons-nous dire la décélération économique mondiale ne va pas durer « deux à trois années » comme certaines voix au plus haut de la hiérarchie mondiale l’annonce, elles apparaîtront trop courtes en regard des 3500 milliards de dollars environ que détient la Chine en bons du Trésor américain, européens… Il semble plus juste de raisonner sur cinq, six années voire plus. D’autre part la stature de la Chine avec ses parts de marché en Afrique, en Amérique latine et en Asie, et son yuan même internationalisé mais administré restera toujours un « obstacle » pour un accord avec les États-Unis. Le monde sans consensus et engagé dans une longue guerre monétaire aura à connaître de nouveaux rebondissements qui changeront progressivement l’équilibre géostratégique et géoéconomique du monde.
Et pour terminer cette analyse, il faut dire que l’essentiel est que s’atténuent ces déséquilibres extérieurs mondiaux qui ne sont pas soutenables à terme, leur réduction apportera certainement un meilleur équilibre mais aussi un nouveau souffle aux nations. Quant aux pays exportateurs de pétrole dont l’horizon reste toujours bloqué sur le cours du baril, sans perspective d’avenir, ils restent en décalage avec la réalité d’un monde désormais mondialisé, dont le credo est l’industrialisation et la compétitivité. L’existence de ces pays ne peut se mesurer qu’à cette épreuve sinon ils resteront condamnés à une existence aléatoire et dangereuse.
Notes :
1. États-Unis, Chine, Russie, Japon. Balance des paiements courants-Déficit/surplus public-Dette publique-taux de chômage-Réserves de change-Taux de chômage-PIB en milliards de dollars
http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/etats-unis/balance-des-paiements-courants.html
http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/etats-unis/deficitsurplus-public.html
http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/etats-unis/dette-publique.html
http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/chine/reserves-de-change.html
http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/russie/reserves-de-change.html
http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/etats-unis/taux-de-chomage.html
http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/etats-unis/pib.html
http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/japon/dette-publique.html
2. La croissance chinoise au plus bas depuis 13 ans. 18 janvier 2013 http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/01/18/20002-20130118ARTFIG00299-la-croissance-chinoise-au-plus-bas-depuis-13-ans.php
3. Tendances monétaires et financières au second semestre 2007-au second semestre 2008- au second semestre de 2009-au premier semestre 2014-au premier semestre 2015
http://www.bank-of-algeria.dz/html/notes7.htm
http://www.bank-of-algeria.dz/html/notes5.htm
http://www.bank-of-algeria.dz/html/notes1.htm
http://www.bank-of-algeria.dz/pdf/notedeconjoncture_n45.pdf
http://www.bank-of-algeria.dz/pdf/nc49.pdf
4. Jean-Luc Mélenchon assène la vérité à Jacques Attali – « La dette ne sera jamais remboursée ! » 20 août 2013
http://youtube-downloader-mp3.com/watch-jean-luc-mlenchon-assne-la-vrit—jacques-attali-quot-la-dette-ne-sera-jamais-rembourse-quot-id-KN5hNoUeYGY.html
5. Flash Marchés – Natixis. RECHERCHE ÉCONOMIQUE. 24 février 2015 – N° 164. (Voir États-Unis : graphique 4b de la page 3 et Zone euro : graphique 6b de la page 5)
cib.natixis.com/flushdoc.aspx ?id=82843
6. Les réserves de la Russie ont augmenté de 5 milliards de dollars pour la semaine. Mai 2015
http://latestnewsresource.com/fr/news/rezervy-rossii-vyrosli-na-5-milliardov-dollarov-za-nedelju
7. Arabie Saoudite – Réserve de Change, Chine – Réserve de change
http://fr.tradingeconomics.com/saudi-arabia/foreign-exchange-reserves
http://fr.tradingeconomics.com/china/foreign-exchange-reserves
8. Pétrole : Les pays du Golfe devraient perdre 300 milliards de dollars. Le Figaro, 23 janvier 2015
9. Economie chinoise : Xi « confiant » dans la poursuite d’une croissance saine. 25 septembre 2015
http://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/economie-chinoise-xi-confiant-dans-la-poursuite-d-une-croissance-saine_1719724.html
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