Pourquoi l’hyperinflation de 1923 en Allemagne et l’avènement d’Hitler dans la crise qui allait devenir mondiale en 1929 ?
- Spengler a-t-il péché pas par « pessimisme » dans son essai « Le déclin de l’Occident » paru entre 1921 et 1922 ?
Au-delà de l’image des faits historiques, de l’image du monde humain, il faut se poser la question : « Qu’est-ce que l’histoire ? » Oswald Spengler, dans son essai « Le déclin de l’Occident », a écrit : « La nouvelle image historique nous oblige à admettre l’existence de faits de premier ordre, qui se succèdent en grandes séries, et dont nous ne saurons jamais rien au sens scientifique du mot. Il nous faut apprendre à compter sans limite avec l’inconnu. En second lieu, l’existence des vérités est pour l’esprit, les faits n’existent que par rapport à la vie. L’histoire scientifique, ou selon ma terminologie, le tact physionomique, c’est le décret du sang, la connaissance des hommes, élargie et étendue au passé et à l’avenir, le coup d’œil inné, pour les personnes et les situations, pour ce qui était événement réel, pour ce qui était nécessaire, pour ce qui a dû exister, et non la simple critique scientifique et la connaissance des dates. […] Parce que la puissance de l’être faustien a développé aujourd’hui une foule d’expériences intérieures, qu’aucun autre homme d’aucun autre temps n’a jamais pu acquérir ; parce que nous attachons, dans une mesure toujours croissante, aux événements les plus lointains un sens et un rapport qu’ils ne pouvaient pas avoir pour tous, ni même pour ceux qui les ont subis : voilà précisément pourquoi aujourd’hui, pour nous, beaucoup de choses sont historiques, c’est-à-dire vie en harmonie avec notre vie, qui ne l’étaient pas encore il y a un siècle. »
Ces mots ont paru en 1922, et que dirons-nous des sombres moments de l’histoire qui ensuite se sont succédés, après la parution de son livre ? Aujourd’hui pratiquement un siècle nous sépare de ses idées « méditées » et dans un certain sens « prophétique ».
Spengler ne reprend-il pas seulement les grandes idées que l’homme a sur les civilisations passées. Grandeur et décadence qui ont longtemps marqué l’Histoire de l’Humanité. Grandeur et décadence de l’Egypte pharaonique, de la Perse antique, de Rome, de Byzance, de la civilisation islamique, chinoise…
Mais comment ne pas ressentir ces images sinistres de l’époque, du Premier conflit mondial avec son cortège de destructions et de morts dans tous les pays d’Europe et outre-mer. Des horreurs inimaginables que les Européens auxquels se sont joints les Américains ont connues durant la Grande Guerre. Y compris des indigènes et arabes d’Afrique. Comment ne pas ressentir ce doute quand l’auteur constate ce qu’il en a résulté du Premier conflit mondial de la civilisation européenne ? Ne sont-elles pas très humaines ces méditations sur l’histoire de la civilisation européenne ? Et jusqu’où va cette vérité de déclin pensée par Spengler ? Est-elle vraie cette idée de déclin ? Et encore aujourd’hui on parle de déclin de l’Occident. Et peut-on parler de déclin dans le sens de décadence de l’Occident, si on ne s’interroge sur l’ « essence » même de l’histoire de l’humanité, a fortiori aujourd’hui qu’un siècle est passé. Et que les esprits, nonobstant les accidents de l’histoire, normalement sont apaisés sur l’histoire et le devenir du monde.
Que ce qu’on dit de la « vieille Europe » n’est pas du tout ce que l’on croit, que ses avancées scientistes et démocratiques restent toujours un phare pour les pays en développement comme pour les pays émergents. Y compris pour les « Nouveaux mondes avancés » - le Canada, l’Australie, les États-Unis… - qui doivent à l’Europe leur existence. Y compris pour le monde de l’Islam dont les peuples ont les yeux rivés sur l’Occident. Les peuples musulmans y voient les droits de l’homme dans ces pays avancés qu’ils ne voient pas ou faiblement chez eux. Y compris en Chine et ailleurs.
Pour comprendre cela, il faut connaître l’histoire et l’histoire reste toujours à « con-naître ». Elle est sans fin à méditer.
- L’incroyable aveuglement des Alliés. Une « finalité » des finalités de puissance des puissances
Le Premier Conflit mondial a vu des pays et des économies d’Europe en ruine où tout n’était pas réglé pour reconstruire. Pourquoi la « Grande Guerre » ? Nous n’entrerons pas dans le sujet, l’explication pourra d’une certaine façon être déduite par les relations de causes à effets entre ce qui a été et ce qui suivi à la fin de la guerre.
En 1918, après l’armistice, l’Allemagne devait payer les Réparations de guerres (traité de Versailles, juin 1919) aux vainqueurs comme la France a payé les siennes après le conflit armé de 1870. Ce qui en apparence n’est qu’une équité puisqu’un précédent a existé. Mais à travers la victoire des Alliés, et la France victorieuse, le « jacobin » Clemenceau n’a pas compris ce qu’il ne pouvait comprendre que l’histoire était en marche. Que la situation en 1870 et 1918 n’était pas la même. D’abord la guerre en 1870 n’était qu’entre la France et l’Allemagne, alors que la Première Guerre mondiale était internationale. L’Allemagne n’a été vaincue que parce que les États-Unis étaient entrés dans le conflit en 1917, au côté des Alliés. Sans les États-Unis, il était probable que la situation aurait évolué autrement. Donc l’appui des États-Unis d’Amérique a été décisif, ce qui sauva la France et l’Angleterre au moment de la débâcle russe où le régime tsariste affaibli par la guerre et emporté par la révolution bolchevique russe libéra le front Est, ce qui permit aux Allemands de porter toutes leurs forces vers le front occidental. Le sort balançait donc du côté des « centraux ».
Etrangeté de l’histoire, l’implication des États-Unis en Europe survint l’année même où la révolution bolchevique va avoir un double impact sur l’humanité. D’abord signifier un « péril rouge » pour les puissances coloniales occidentales et de l’autre, offrir une « lucarne », un « phare pour la liberté » pour les peuples occidentaux transformés en chair à canon et les centaines de millions d’êtres humains sans droits, colonisés ou sous protectorat, d’Afrique et d’Asie. Ainsi, l’« Essence » de l’Histoire a parlé en ce tournant de la guerre, année 1917 qui va voir deux « entités » voire influer sur l’histoire avant même leur couronnement en 1945.
Si Clemenceau réussit à imposer l’unité de commandement par un maréchal français, en l’occurrence le maréchal Foch, et à récupérer l’Alsace Lorraine, son slogan « l'Allemagne doit payer, réparer, restituer » aura-t-il été une erreur ? On sait très bien que l’Allemagne n’a pas été vaincue par la France mais par une coalition de puissances, ce qui est différent. D’autre part, la situation économique et politique de l’Allemagne était tout aussi désastreuse que la France. Une économie en grande partie tournée pour la guerre, et avec la défaite, les « réparations » allemandes apparaissaient de plus en plus illusoires. Pour payer, l’Allemagne devait posséder un excédent exportable. Ce qui n’était pas le cas, puisque l’Allemagne au même titre que la France avait besoin de capitaux pour se reconstruire et relancer son économie longtemps affectée à la guerre.
La Première guerre mondiale n’a rien à voir avec la guerre de 1870 qui n’a duré que quelques trois mois et la France a payé rubis sur l’ongle ses réparations. Qui plus est la France était très riche par ses excédents commerciaux et ses richesses issues des formidables possessions outre-mer, en Afrique et en Asie et dans les îles du Pacifique. Alors que l’Allemagne, une économie en déroute, des possessions coloniales confisquées, l’Alsace-Lorraine retournée et le bassin de la Sarre occupé, pour quinze ans. Libéré de l’Allemagne, la France put occuper la Syrie, et l’Angleterre la Palestine et la Mésopotamie.
Mais l’écueil que fut l’Allemagne a-t-il été annihilé pour autant. Les coudées franches obtenues par la France et l’Angleterre sur les pays du reste du monde sont-elles acquises ? Ont-ils façonné l’Europe pour « une paix juste et durable » ? N’ont-ils pas donné non seulement à l’Allemagne de légitimes motifs de mécontentement mais avec la crise politique, économique et sociale, la défaite et l’incroyable aveuglement des Alliés dans l’acceptation des clauses du traité de Versailles surtout des réparations mais amener le pays le plus puissant d’Europ e à tanguer entre le « social-communisme » (spartakisme et communisme) et le « national-socialisme » (nazisme). Deux mouvements qui ne sont que la réponse de l’aveuglement de puissance dans leurs ambitions de domination. Mais là force de dire que rien ne vient sans cause. Ni le spartakisme ni le communisme ni le national-socialisme n’était une fatalité ni pour le peuple allemand ni pour les peuples d’Europe ? En réalité, ils étaient une « finalité » des finalités de puissances des puissances.
- L’Allemagne comme la France ne sont-elles pas toutes deux victimes de leur histoire, de leurs puissances ?
Mais comment comprendre ce champ illusoire des réalités pour la France comme pour l’Allemagne ? Il était évident que le traité de Versailles manquait d’équité envers la puissance vaincue. Mais la France était confrontée à une grave crise financière. Clemenceau qui cherchait à laver l’affront de 1870, et en homme intransigeant comme il était décrit, voulut faire payer l’Allemagne. Les États-Unis et l’Angleterre avaient dès 1919 suspendu leur aide de guerre à la France qui était terriblement endettée envers l’Amérique pour ses emprunts de guerre. La France n’avait pas d’alternatives que « exécuter à la lettre le traité de Versailles ».
Mais comment pourrait rembourser une Allemagne acculée et déjà en faillite. L’Occupation de la Ruhr, pour non paiement, en janvier 1923, sous Poincaré, allait-elle régler les choses ? N’allait-elle pas précipiter les événements ? Si cette décision isola la France sur le plan international, en Allemagne la situation va revêtir une allure catastrophique. Quelle sera la réponse du gouvernement allemand ? L’Allemagne avait déjà connu, durant le premier conflit mondial, une forte hausse des prix liée à l’excès d’émission monétaire, aux pénuries, etc. Ce qui était valable pour tous les autres pays d’Europe en guerre. Et même après la fin de la guerre, vu la grave crise politique, économique et sociale, l’inflation s’est accentuée.
Après l’occupation de la Ruhr, la riposte allemande ne se fait pas attendre, elle prend la forme d’une grève générale soutenue par le patronat et l’Etat. Mais c’est surtout la riposte monétaire de la jeune république de Weimar qui va mettre le feu aux poudres, elle n’aura pas de solution de sortie que le recours aux émissions monétaires pour financer les réparations et l’économie allemande. Ce recours monétaire se traduisit en une formidable « hyperinflation ». Les prix des denrées ont augmenté de façon incroyable, l’indice des prix était multiplié par plus d’un milliard. Le dollar qui s’échangeait contre 7 200 marks en janvier 1923 valait 130 milliards en novembre. Les États-Unis et la Grande Bretagne, devant cette situation, étaient « sommés » de prendre toutes les mesures économiques et financières urgentes pour sauver l’Allemagne de ce péril qui était bien plus grand que ne le seraient les réparations de guerre envers la France. L’Allemagne présentait tous les risques avec la montée en puissance du parti communiste K.P.D. de passer sous régime communiste. On comprend avec une Allemagne communiste et une Russie qui l’est déjà, le « feu communiste » va prendre sur toute l’Europe. Que seront alors la Grande Bretagne et l’Amérique ?
En octobre 1923, une monnaie provisoire, le Rentenmark, garantie par une hypothèque générale sur l’agriculture, l’industrie et le commerce allemand, fut créée. Et un plan américain Dawes fut adopté en 1924 et qui a permis à l’Allemagne de lancer des emprunts sur les marchés internationaux – qui étaient, en réalité pour, l’essentiel américain et anglais –, et créer une nouvelle devise, le Reichsmark (RM), sur ka base de 4,20 RM pour un dollar. Une partie de cette aide à l’Allemagne a permis de payer une partie des montants de réparations de guerre à la France.
Que peut-on dire de cette séquence de l’histoire entre 1923 et 1924 ? Certes la France et ses gouvernants, confrontés aux problèmes économiques et sociaux de leur population, ne pouvaient faire autrement que d’exiger le remboursement intégral des réparations à l’Allemagne. Si la France se donnait le rôle de victime, de juge et de gendarme, que dirait-on de l’Allemagne ? N’est-elle pas aussi victime de son élite qui l’a mené sans clairvoyance des conséquences qui ont résulté de la guerre ? Une guerre extrêmement destructrice et meurtrière non seulement durant la guerre mais après la guerre, quand on constate que la jeune république de Weimar vivait pratiquement une situation insurrectionnelle qui ne dit pas son nom. Tout le monde était armé en Allemagne. Partout des milices se sont constituées avec la défaite allemande.
L’Allemagne comme la France ne sont-elles pas toutes deux victimes de leur histoire, de leurs puissances. Il faut le dire : « quel intérêt est d’être une puissance si cette puissance est destinée à succomber par la puissance ? ». Une vraie question de fond. Où est l’honneur patriotique, l’honneur national ? Si le peuple doit se défendre contre soi-même, contre ses élites qui, en manque d’ambition, cherchent leur « ambition virtuelle » (qui n’existe pas) puisqu’elle est autodestructrice en envahissant d’autres Etats pour le seul objectif de dominer l’autre. Pour le seul objectif d’asseoir sa race, ou son ethnie, parce que les pays européens sont différents de langues et un tant soit peu en religion. N’est-ce pas incompréhensible telles visions à l’époque surtout entre des puissances européennes dites « avancées ». Et leurs peuples pris en otage, sommés de faire la guerre, devenus simples matières à faire la guerre, simple « chair à canon » pour les « politiques européens éclairés ».
- Comment comprendre l’arrivée d’un inconnu, Hitler, venu bouleverser « peuples et éclairés » ?
On a tant écrit sur Hitler, sur la crise de 1929, sur la guerre 1939-1945, et certainement on continuera d’écrire car ce sont des événements qui ont été charnière de l’histoire de l’humanité. Ils ont été vécus comme de véritables cataclysmes pour l’humanité. Mais force de dire par leur avènement, qu’ils s’inscrivent dans les « Lois de l’Histoire ». Et qu’est-ce que sont les « Lois de l’histoire » dont on sait peu de choses sinon qu’elles accompagnent l’humain. Hegel aurait dit qu’il y a un « Esprit du monde » dans l’Histoire, et celle-ci n’est que le « Tribunal de la Raison » qui règne dans l’Histoire de l’humanité. Alors comment comprendre qu’un homme inconnu sur la scène de l’histoire, Hitler, venu même en retard de l’histoire, allait changer le cours de l’histoire.
Sa trajectoire n’a pas d’équivalent ni dans l’histoire allemande ni dans l’histoire de l’humanité. Comment un homme dont on dit un raté scolaire allait changer le monde ? Les convictions désormais n’étaient-ils pas déjà entamées après le sortir du Premier Conflit mondial. Comment un simple soldat dont le courage lui vaut la croix de fer de première classe et qui ne dépasse pas le grade de caporal à la fin de la guerre, cherchera, cinq ans plus tard, à renverser le gouvernement bavarois, le 8 novembre 1923. Un prodige ? Cela nous fait rappeler les putschs dans les républiques bananières en Afrique ou en Amérique du Sud où un sergent prend le pouvoir.
Est-ce seulement imaginable, possible dans un pays aussi puissant que fut l’Allemagne ? Un pays avancé sur tous les plans ? Culturellement (Goethe, Wagner, Kant, Hegel, Schiller..), scientifiquement (Planck, Bore, Clausius, Heisenberg, Schrödinger…), technologiquement (voir seulement la réalisation de son industrie, une des plus puissantes du monde). Cela va contre la raison même, et Hitler a existé. Comment ce monde allemand est tombé sous l’envoutement et avec une facilité inouïe sous l’empire d’un homme qui eut pour en tout et pour tout qu’une voix métallique capable de subjuguer les foules, qu’une conviction tout autant métallique – il parle comme s’il détenait, comme s’il était inspiré de la « vérité du monde » –, qu’une volonté d’acier pour arriver à ses fins ? Peut-on croire que ce sont ces qualités qui lui ont fait gravir en quelques années les échelons pour qu’il soit appelé par Hindenburg à devenir « chancelier du Reich », le 30 janvier 1933. Et juste après le « führer » de l’Allemagne, et adoré par toute l’Allemagne. Est-ce possible ce « prodige » et ce qu’il allait advenir ensuite pour l’humanité ?
Il est évident qu’il y a des forces à la fois politiques, humaines, souterraines et surtout métaphysiques qui ont permis l’ascension d’un homme qui va changer le cours de l’histoire de l’humanité. Sans ces forces qui étaient déjà en marche à la veille même du Premier Conflit mondial, Hitler n’aurait pas existé.
Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
Note :
Cet article est la partie IX des articles qui ont paru antérieurement : « Les 144 années qui ont changé la face du monde ? », par Medjdoub Hamed. www.agoravox.fr
Parties parues : I, II, III, IV, V, VI, VII, VII, VIII, par Medjdoub Hamed. www.agoravox.fr
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