Pourquoi la nouvelle chanson des enfoirés nous reste-t-elle sur le coeur ?
Circulez ! Il n’y a rien à voir !
Le sang du chœur des enfoirés n’a fait qu’un tour, pour prendre la défense de la chanson de Goldman, après la polémique enclenchée. Ainsi, Catherine Lara, membre des enfoirés, explique : "Comme dit Jean-Jacques (Goldman), ce n'est qu'une chanson. Depuis que le monde est monde, il y a des conflits de génération, moi je trouve que c'est pas mal d'en parler. Je suis atterrée. Je suis très en colère et je suis surtout très triste parce que pour toucher aux Enfoirés, il faut vraiment n'avoir rien d'autre à foutre".
Jamel Debbouze qui avait déjà pris la défense du camarade Depardieu, en d’autres temps d’exil Belge, est monté au front de nouveau. D’autres ont suivi ! Il fallait à tout prix arrêter le coup de vent avant qu’il ne se transforme en ouragan. Et sauver le soldat Goldman et tout ce qui va avec : Les enfoirés d’appellation protégée, les restos, la galette promotionnelle, leur image même.
« Les gens qui s’en prennent au restos du cœur, nous dit-il, sont des inconscients. «
C’est à peu près le même couplet d’indignation vertueuse, et quelque peu surjouée, d’un protagoniste à l’autre : « Il y a toujours des cons, ne les appelons même pas des cons, qui prennent mal les choses, nous dit ainsi Mauranne. La polémique est au goût du jour. Vous n’avez qu’à voir sur les réseaux sociaux, sur Twitter. Tout est prétexte aux insultes. Les gens sont vachement lâches derrière leurs petits écran ! »
Michèle Laroque, elle, qu’on peut entendre dans l’interview ci-dessus, fait l’étonnée. Elle le répète plusieurs fois ; elle cherche à comprendre. Sans doute comme, quand, domiciliée à Las Vegas et son régime de faveur prodigieux, elle ne payait pas ses impôts en France. Mais tout cela, c’est vrai, a été régularisé depuis longtemps, sens politique oblige.
Tout cela c’est vrai, est si compliqué, d’un pays et d’une administration fiscale à l’autre. Des soucis que ne partagent par chance, pas tous les gens… On remarquera néanmoins que le nomadisme fiscal des gens fortunés est à l’origine de l’affaiblissement d’un pays, et forcément de la paupérisation insidieuse, les restos du cœur étant la voiture balai.
Bigre ! La charge est donnée ! Sus aux beaufs, aux rampants, à cette France mauvaise et détestable qui se gargarise de la médisance, et ne cherche qu’un prétexte pour tenter de déstabiliser ce bel élan de générosité, et d’enthousiasme que sont « les restos du cœur » !.
Mais c’est dit, nous défendrons nos pauvres ! La cavalerie ne fera pas de quartier !
On ne bafouera pas ainsi le nom de Coluche, derrière lequel on se planque, comme derrière une bannière de croisé.
Saint-Coluche, qui brille au firmament de la misère, de la charité, serait-il d’accord avec l’esprit de cette longue récupération, qui a fait passé le coup de colère, pour lutter contre la crise, à une institution, qui vise à rendre la crise supportable ?
Etes-vous avec nous, ou contre nous ?
« Bande d’enfoirés ! » Seraient-ils prêts à lâcher, si le titre ne risquait pas de leur revenir en pleine poire comme un boomerang !…
Gardons nous de tout amalgame. Personne ne songerait à s’attaquer à cette chaîne de solidarité, qui tient la misère à bouts de bras, avec ses bénévoles admirables, qui font un boulot dingue, et devraient être sans doute un peu mieux remercié, s'activant à lutter contre les brèches qui menacent la solidité de l'édifice.
Le malaise vient de cette chanson censée servir sa cause, et qui a tout de même provoqué un malaise certain !… Urgence de circonscrire l’incendie, quand d’autres voudraient l’étendre, dans une volonté d’amalgamer et de s’en sortir par le haut, en montant sur les cartons de boites de conserves : « Au secours, on veut faire la peau aux restos du cœur ! »
D’ailleurs, le vacarme a tout de même été assez fort, pour que Jean-Jacques Goldman, en personne, le chef d’orchestre, l’auteur de ce petit bijou d’humour involontaire, de provocation, diront d’autres, tente de désamorcer la bombe.
Cela m’a rappelé le fameux vote des français pour ratifier la constitution européenne. A l’époque, il avait fallu aussi que les gens qui savent viennent alors nous expliquer, patiemment, pour tenter de nous faire bien voter : Il n’y aurait pas de plan B !
Goldman ce n’est pas rien. Tous les sondages le disent, c’est la personnalité préférée des français. Je sais pas ce que Coluche pensait de ce genre de statue qu’on tente de hisser sur la place publique, mais je suis sûr que ça l’aurait fait bien rigoler.
Les temps ont changé sans doute. Tout se beau monde n’arrête pas de sanctifier, de se montrer ses Césars, ses lauriers, ses oscars ! On a piqué l’institution de la distribution des prix aux gosses du primaire, pour en donner la gloriole à ces petites vanités satisfaites, n’arrêtant pas de se faire la courte échelle !.
Oui, c’est vrai, la caricature est facile, et les gugus du web peuvent se déchaîner ! A preuve cette parodie caustique et hilarante, s’inspirant de « la chute », et transformant Hitler, en manager furieux de ses troupes, sur le front du resto du cœur :
« Si seulement Coluche avait vu ça…Il se retourne tellement dans sa tombe que s’en est un ventilateur. …http://bit.ly/1H9REdl
Jean-Jacques nous a donc expliqué qu’on n’avait rien compris, et qu’il fallait prendre la chose au deuxième degré….
Bon ! Reste un problème. A partir du moment qu’une chanson est créée, qu’un poème est lancé, il ne vous appartient plus vraiment. Il vole de ses propres ailes. Pour le meilleur et pour le pire. J’avais tendance à penser que les artistes, et surtout les humoristes sont préparés à ce genre de chose, et savent qu’on ne peut pas forcer à applaudir un numéro, sans risquer de se faire prendre encore plus de tomates en retour.
Car, en voyant ce clip, que les plus indulgents diront simpliste, nul besoin d’aller se faire endoctriner par « les messages haineux de twitter », pour ne pas être tenté de réagir. Beaucoup, pour ne pas avoir été averti de ce qui les attendait en sont restés bouche bée. Au moins un coup d’œil sur les réseaux, les aurait préparé au choc.
« C’est pas vrai ! Comment ont-ils pu faire ce truc ? »
L’essentiel est ailleurs, aurait-on envie de paraphraser.
C’est en effet cette déconnexion avec le réel qui pose problème. Comment se fait-il qu’aucun fusible n’a disjoncté, sur le tableau général, pour les prévenir du danger ?
Le pouvoir des enfoirés s’exerce-t-il comme une chape de plomb sur la création ? Personne pour oser dire « Hé, les copains, stop ! On va être pris pour des bouffons ! Ou pire, des aveugles ! »
Ce genre de plantage, il n’y en a pas mal dans l’histoire de France. C’est une histoire humaine, au fond, qui fait qu’à un moment, avec les années, l’embourgeoisement, vous perdez cette grâce, qui vous a si bien réussi pendant des années.
C’était votre jeunesse. Vous étiez le paratonnerre des dieux ; Les foules vous portaient et vous portiez la foule. Ils se reconnaissaient en vous, et vous étiez leur voix. Epoque bénie.
Mais déjà depuis quelques temps, de jeunes branleurs qui ne respectent plus rien parlaient de vous « comme un vieux con ! » Mais cela manquait tant d’arguments, que la charge leur revenait en pleine gueule comme un élastique qui lache !
On n’en est plus là. Vous avez donné de la voix pour rétablir la position du garde à vous, mais vous avez perdu en grâce !
Le mal est fait. C’est déjà une autre époque.
Il suffirait que la troupe adverse pousse son avantage et veuille absolument renverser les idoles.
Des révolutions ont commencé pour moins que ça. Les propos de Marie-Antoinette ont été perçus en leur temps très malhabiles, mais visaient peut-être eux aussi le second degré. Vous savez, cette histoire de « S’ils n’ont pas de pain, ils n’ont qu'à manger de la brioche ! »
D’où vient donc ce hiatus entre la certitude d’œuvrer à l’intérêt collectif, chez les artistes, et le ressenti négatif du public ?
Sans doute déjà dans le thème du clip, ses paroles, le clivage intergénérationnel qu’il tente de promouvoir pour mieux le critiquer.
Les plus vieux s’en souviennent, la lutte des générations était un marronnier des années 60. Pas une émission, un journal avec ses spécialistes attitrés pour débattre de cette question : De fait, il existait bien un clivage entre les parents et leurs gosses, mais celui-ci n’était pas économique, mais culturel. Un abîme dû à la guerre, aux changements de valeurs, à l’abandon de la religion, qui s’atténuerait lentement, au fur et à mesure que les jeunes accèderaient aux postes de responsabilités.
Le thème de Goldman était donc de rétablir ce vieux thème oublié, de l’imposer un peu aux forceps dans une caricature d’explication de la crise : Les vieux sont attaqués par les jeunes qui les accusent d’avoir eu tous les bonheurs et toutes les facilités.
Les vieux y vont donc de leur petit couplet paternaliste, tantôt ironique, tantôt encourageant : La roue tournerait, ce serait bientôt leur tour. Les jeunes possèdent d’ailleurs le bien le plus précieux, non indexé à la bourse : « Tu sais le temps n’a pas de prix… »
Extrait
Adolescents]
Vous aviez tout : paix, liberté, plein emploi
Nous c'est chômage, violence et SIDA
[La Troupe]
Tout ce qu'on a, il a fallu le gagner
À vous de jouer, mais faudrait vous bouger
[Adolescents]
Vous avez raté, dépensé, pollué
[La Troupe]
Je rêve ou tu es en train de fumer ?
La Troupe]
Aujourd'hui j'envie tellement ta jeunesse
[Adolescents]
Quel ennui, je l'échange contre ta caisse
[La Troupe]
C'est la vie,
La vie qui caresse
Et qui blesse
C'est ta vie
Vole et Vas-y ….
On comprend aisément que ce « vole et vas-y !’ », fasse détonateur, chez un jeune ayant un statut précaire. Ou même pas payé du tout, car faisant un stage de formation gratis, pour un turbin de trois semaines à vendre des fringues, comme n’importe quel employé, comme le révèle ce clip !
Ce montage prend une force incroyable, en télescopant les paroles des enfoirés sur cette terrible réalité d’une crise qui n’en est plus une, mais un nouveau modèle de société, où les exploiteurs et les patrons avides profitent à fond de l’aubaine.
Parodie smicards des enfoirés
Ce modèle de société, c’est celui d’une réalité économique scandaleuse, celle d’un monde ou un pour cent de la population possède maintenant plus que la moitié du capital national. En font partie bien sûr ces soi-disant enfoirés, hilares, compatissants, qui, nous révèlent ce clip, ont un salaire compris entre 100 et 400 smic par mois, à la louche.
Le monde est de plus en plus riche, mais les pauvres sont de plus en plus nombreux, et de plus en plus pauvres !
Le voilà donc, ce nouveau fossé, qui opposerait une troupe « d’happy few » à la cour des miracles. Car si les plus jeunes sont bien sûr les plus touchés, il est maintenant ridicule d’opposer deux tranches d’ages en guise d’explication sommaire et facile. Si on parle de l’âge du capitaine, c’est une façon de botter en touche pour éluder les vrais problèmes. Les clients des restos du cœur sont le mieux placés pour le savoir.
L’observatoire des inégalités nous confirme, chiffres à l’appui, que le scandale de la pauvreté couvre bien toutes les générations, jeunes autant que seniors.
Bien sûr, on ne peut sûrement pas attendre que Jean-Jacques Goldman, et consort, s’attaquent de leur belle voix à la bourse, aux paradis fiscaux qui laminent l’économie nationale, au dumping, aux délocalisations qui explique pourquoi ceci n’est pas une crise !
… Aussi sûrement que le tableau de Magritte avec sa pipe vous forçait à réfléchir sur la fausse représentation des choses !
Mais faudrait tout de même pas que ce beau monde fasse semblant d’être étonné !
Quand on s’amuse à jongler avec des bâtons de dynamite, en faisant semblant de manier des barres de chocolat, cela amène bien sûr des réactions. C’est un peu fort de jouer ensuite à l’ingénu quand ça explose !
Toute cette histoire est représentative d’une certaine partie du pays, aussi déconnectée de la réalité sociale que ses salaires et revenus le sont de la moyenne nationale.
Et ceci explique cela !
Ces gens là sont pour beaucoup des représentations vivantes de l’injustice de la fortune et du partage des mérites ! Une nouvelle noblesse qui transmet ses avantages à ses rejetons, à la mesure de l’ancien régime. Passe encore quand la chanson est bonne-bonne, mais quand elle déraille, alors elle entraîne tous les wagons, et libère la parole et le sens. Alors ils perdent toute légitimité, et cette chanson et ses paroles qui ne s’adressent qu’à l’ordre général semblent tout à coup une défense dérisoire de leur statut de privilégié.
Faut pas que les restos du cœur se découragent ! Mais peut être bien qu’ils devraient revoir leur politique spectacle, se demander si au fond tout ce fric et ses paillettes et ces « Vas-y baisse la tête t’auras l’air d’un coureur ! » assenés par ces happy few buvant du champagne sur le bord de la route, sont bien productifs.
Des chansons qui vous donnent du cœur, et de l'esprit, je me souviens surtout d’une, qu’un type inconnu même pas césarisé, ni oscarisé jeta sur un bout de papier, avant qu’elle ne soit repris par les copains, et déposé à la SACEM.
Et forcément donc qui lui rapportera pas un sous, le moindre million délocalisable.
Même pas 100 balles, ou alors une seule peut-être, allez savoir, qu'il reçu un peu plus tard en plein coeur.
C’était il y a 100 ans, la chanson de Craonne. Elle connaîtra le succès qu’on sait. C’est drôle d’ailleurs, comment d’une guerre à l’autre, on retrouve les mêmes colères, les même thèmes, les planqués et les sacrifiés se regardant de chaque coté de la tranchée.
On remarquera tout de même qu’aucun chœur de députés ne s'est amusé à la chanter, même pour soutenir une bonne œuvre.
« ….C´est malheureux d´voir sur les grands boul´vards
Tous ces gros qui font leur foire ;
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous c´est pas la mêm´ chose.
Au lieu de s´cacher, tous ces embusqués,
F´raient mieux d´monter aux tranchées
Pour défendr´ leurs biens, car nous n´avons rien,
Nous autr´s, les pauvr´s purotins.
Tous les camarades sont enterrés là,
Pour défendr´ les biens de ces messieurs-là…. »
« ….Ceux qu´ont l´pognon, ceux-là r´viendront,
Car c´est pour eux qu´on crève.
Mais c´est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s´ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l´plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !….
Y a pas de droits d’auteur, faut en profiter !
Presque rien à changer, juste refaire un peu les coutures aux épaules !.
Sinon elle s’ajuste au poil à la situation, comme une pièce de puzzle, à cette nouvelle guerre qui ne dit pas son nom, et qu’on voudrait nous faire prendre pour un conflit de générations.
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