Pourquoi les baisses d’impôt tuent l’impôt
Le sujet. Le débat sur l’impôt sur la fortune est au centre de l’élection présidentielle, mais la baisse de cet impôt ne va-t-elle pas tuer l’impôt ?
Carte blanche.
Le débat sur l’impôt est au centre de la campagne présidentielle. Il oppose clairement la gauche et son impôt emblématique sur la fortune et la droite qui reprend l’idée clairement définie par l’essayiste américain A. Laffer qui énonce que l’impôt tue l’impôt. Le rapport récent du sénateur Marini montrent, à l’appui de cette thèse, que l’impôt sur la fortune ferait fuir 2 français par jour et coûterait 16 millions d’euros par an à l’Etat en terme d’ISF[1]. Ce débat a clairement le mérite de poser la question de l’efficacité des baisses d’impôts sur les particuliers. Pour la plupart des commentateurs médiatiques, il semble évident que les baisses d’impôts contribuent à la croissance et favorisent à terme l’impôt. Une telle idée n’a pourtant jamais été confirmée par les économistes ni du point de vue des faits ni du point de vue de la théorie économique. Aucun économiste n’a jamais prouvé cette assertion, bien au contraire, les baisses d’impôt tuent l’impôt.
Revenons aux faits, la question de l’efficacité des baisses d’impôts a été posée au cours de la présidence Reagan qui s’était appuyée sur la courbe de Laffer pour justifier les baisses d’impôts sur les catégories les plus favorisées. Cette période de l’histoire des Etats-Unis nous fournit une expérience incomparable. Les études économiques menées par James Poterba du MIT sur la période Reagan montrent que, non seulement durant cette période que la consommation (et la croissance) a été faiblement impactée par les baisses d’impôts, mais que la dette a cru fortement et le déficit budgétaire de même. De la même façon, le mandat de Georges Bush coïncide avec d’importantes baisses d’impôts et un accroissement spectaculaire des déficits américains. La seule période qui fait coïncider croissance et réduction des déficits est la période du mandat démocrate de Clinton. De nombreux économistes se sont intéressés à cette question et que montrent-ils ? Les baisses d’impôts des Républicains dépriment la croissance alors que les politiques démocrates favorisent la croissance et donc la collecte d’impôts. Dans une remarquable étude « Macro-économics and politics », l’économiste américain Alberto Alesina montre que, quelque soit l’époque historique, la croissance est plus forte en moyenne lorsque les Démocrates sont au pouvoir. L’examen des taux de croissance en France de ces 20 dernières années montre que c’est sous des gouvernements de Gauche (Rocard et Jospin) que la croissance française aura été la plus forte[2]. C’est aussi sous des gouvernements de gauche que la dette a été contenue et sous des gouvernements de droite que celle-ci a explosé ! C’est même sous le gouvernement Balladur (avec son ministre du budget Nicolas Sarkosy) que celle-ci explose. La dette représentait 39,8% du PIB fin 1992 contre 55,1% fin 1995 (malgré les recettes des privatisations). Au début du gouvernement Jospin elle représentait 58,5 % du PIB et avait baissée en 2002 (58,2%).Elle bat un record en 2005 (66,6%).
Pourquoi les baisses d’impôts sur les personnes dépriment la croissance et favorisent donc l’endettement ? La première raison est liée à l’effet dépressif que ces baisses peuvent avoir sur les dépenses publiques. C’est l’argument central des keynésiens et d’une grande partie de la gauche française. Les électeurs peuvent aussi ne pas être myopes, ils peuvent anticiper que les baisses d’impôts impliqueront à terme une hausse des déficits et une hausse future des impôts. Cette explication peut être évoquée pour expliquer le faible effet sur la croissance des baisses d’impôts de Jacques Chirac, les électeurs ayant bien repéré que les baisses d’impôts sur le revenu s’accompagnaient d’une hausse des autres impôts. Admettre que les électeurs sont prévoyants et méfiants devrait rendre les hommes politiques plus prudents. Cette hypothèse d’anticipation pose un problème majeur. A quel point les baisses d’impôts affectent-elles la consommation ? Examinons ici un exemple que les étudiants en économie connaissent bien : celui de la retraite. Des études nombreuses montrent que les individus n’anticipent leur retraite qu’à partir de 40 ans. Une hausse des revenus est donc consacrée à la consommation avant 40 ans et consacrée à l’épargne après 40 ans. Ce processus est renforcé par les anticipations négatives sur le montant des retraites. Ces faits ne plaident pas du tout en faveur d’un effet des baisses d’impôts sur la consommation et la croissance puisque les baisses d’impôts sur le revenu ne touchent que marginalement les plus jeunes (qui en début de carrière sont peu imposés). Cet effet s’est particulièrement vérifié lors du dernier mandat de Jacques Chirac. Des milliards d’Euros de réduction d’impôts ont été accordés aux ménages les plus aisés, ils ont été réinvestis en épargne, ils ont favorisé la course à la défiscalisation. Nous avons assisté à un boom immobilier dans un contexte de croissance molle uniquement tirée par la consommation d’équipement pour la maison et par le secteur du bâtiment. Les rentiers âgés ont vu leur impôt sur le revenu baisser et la valeur de leur patrimoine augmenter, ils se sont précipités sur les produits d’épargne et n’ont que marginalement contribué à la croissance. A l’inverse, les gains de croissance du secteur immobilier (et de tous les acteurs spécialisés dans la défiscalisation) ne compensent pas les pertes de pouvoir d’achat des jeunes et des personnes non-propriétaires qui ont du faire face à une augmentation des frais fixes du logement. Une société patrimoniale rentière qui vieillit ne connaît pas d’autre horizon que celui de son patrimoine et de sa transmission. Prôner des baisses d’impôts favorables aux individus les plus âgés est dangereux a plus d’un titre. Cette politique, compte tenu de notre structure démographique, sera un échec car elle soutiendra une épargne largement excédentaire et tournée vers la rente en patrimoine. Elle enrichira les vieux et appauvrira les jeunes. Elle orientera la croissance vers les services financiers au dépend de l’industrie et ne fera que marginalement rentrer des impôts. La fin de facto de l’ISF par l’élargissement du bouclier fiscal, la suppression de l’impôt sur les successions, la réduction de TVA sur les travaux des logements, les défiscalisations multiples obtenues par le secteur immobilier (et bancaire) ne feront qu’in-fine que tuer l’impôt car ces mesures ne soutiendront pas la croissance.
28 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON