Procès Colonna : l’échec
"Nous n’avons pas un procès équitable. Il (Yvan Colonna) a estimé qu’il n’avait pas droit à un procès équitable, il a donc décidé de ne plus participer à ce qui lui apparaît comme une justice qui n’est pas conforme, effectivement, aux principes de notre droit, aux principes internationaux."
Ce sont les mots de Patrick Maisonneuve, l’un des 5 avocats d’Yvan Colonna qui ont quitté le procès en appel en même temps que l’accusé, et qui ont refusé la commission d’office du Président malgré les risques qu’ils encourent.
Aujourd’hui, nous assistons à l’échec d’une procédure et d’un corps judiciaire qui a refusé de se remettre en question et de s’auto-corriger quand les faits le demandaient.
Certains me reprocheront un parti pris, donc pour ne pas les surprendre, je les préviens : j’ai un sacré parti pris. Qui s’est forgé tout au long de la procédure. Maintenant que c’est dit, plus la peine de revenir là-dessus.
Les témoins se sont succédés, et la thèse de l’accusation s’est effilochée jusqu’à n’être plus rien ; les témoins "à charge", qui accumulaient les bévues, l’un contredisant l’autre, se contredisant eux-mêmes ; les témoins à décharge, qui invariablement enfonçaient le clou de l’innocence de l’accusé. Et pourtant, la cour refuse d’examiner sérieusement les zones d’ombres qui surgissent inexorablement chaque jour du procès. La cour se moque de tout ce qui peut changer le scénario préétabli par l’accusation.
Lorsque les parties civiles en viennent à déclarer que cette décision de partir "ressemble à un aveu de culpabilité", certains appellent ça des effets de manche, d’autres disent que c’est de bonne guerre. Mais il n’y a pas de bonne guerre. Il y a une bonne ou une mauvaise justice. Et aujourd’hui, les parties civiles comme le parquet en sont réduits à jouer le jeu de l’interprétation outrancière parce qu’ils n’ont plus suffisamment d’éléments probants pour coller à leur scénario. Comme lorsque, face à la ténacité de l’accusé, ils s’exclament "vous voyez bien que c’est un chef !", exprimant là leur dernier argument, au comble de la déraison...
Tout aurait pu encore aller, si la cour n’avait pas fait montre de tant de négligence lorsqu’il s’agissait de traiter les éléments qui mettaient en péril la thèse de l’accusation. Rien ne sert de revenir sur les erreurs de la cour dans cet article, mais force est de constater que ces erreurs à répétition semblent être commises à dessein, tant elles étaient à sens unique.
Il y avait tant d’occasions de revenir à la raison, et d’examiner sans a priori cette affaire somme toute délicate et pleine de contradiction. Mais la cour ne sut se remettre en question. Jusqu’à la dernière erreur. Bien sûr qu’il fallait accepter la reconstitution. Un homme qui risque la prison à perpétuité et dont la culpabilité n’est pas prouvée a le droit à l’assurance des moyens de sa défense. La reconstitution est un acte parfaitement normal dans ce genre d’affaires. Et même si la cour était convaincue de sa culpabilité, alors pourquoi ont-ils peur de concéder la reconstitution ?
Mais la cour ne se remet pas en question. Errare humanum est, perseverare... Elle persévère.
Il ne suffit pas de dire qu’un homme est lâche pour qu’il le soit. Et je pense qu’Yvan Colonna est courageux. Il me semble que c’est le courage d’un homme qui montre par là qu’il ne craint pas la prison et ne transigera pas avec la vérité. Si vous le pensez coupable, soit. Mais s’il est innocent, alors vous pouvez comprendre qu’après toutes ces années en prison, il n’est pas facile pour un homme de prendre la décision qu’il a prise alors qu’il attendait ce procès en appel comme l’occasion de sortir de ce piège, de faire plaider équitablement sa cause. A aucun moment il n’a baissé les bras. A aucun moment il n’a refusé une confrontation avec aucun des protagonistes de l’affaire, témoins, coupables, policiers.
Je salue le courage et l’intégrité de ses avocats, qui n’hésitent pas à s’exposer personnellement à des poursuites au nom du droit qu’ils défendent et dont ils ont la charge.
Mais avant tout je respecte leur décision qui était certainement la meilleure. C’est celle qui met fin aux errements d’un procès par trop mensonger. Un procès qui aurait pu, qui aurait dû s’orienter vers une exploration de la vérité. Mais qui s’est drapé dans une idée de force plus que de raison. Jusqu’à la décision de poursuivre sans avocats ni accusé. "Je vous commettrai d’office !" fulmine le Président Wacogne. Mais les avocats refusent. "La cour n’accepte pas vos excuses", dit-il à Patrick Maisonneuve. Lequel répond bien justement : "Je ne vous en ai pas présenté".
Une manière de dire à la cour qu’elle s’est disqualifiée et n’a plus de sens. Une manière de dire que la raison finira par l’emporter sur la force, et de ne plus accorder de crédit à cette force sans vérité. C’est un choix difficile que de repartir en prison pour ne plus cautionner ce qui apparaît à l’accusé comme un simulacre de procès. Un choix difficile pour ses avocats de l’accepter.
Certains diront que les victimes ont aussi droit à la justice. Et je suis d’accord à cent pour cent. La justice est avant tout pour les gens honnêtes. d’abord, je considère Yvan Colonna comme un homme honnête, jusqu’à preuve du contraire (preuve, pas effet de manche). Mais je reprendrai ici les mots de Joseph Colombani qui parlait de son ami le Préfet Erignac en innocentant Yvan Colonna : "Je sais que ce que je dis est difficile à entendre par Dominique Erignac, mais j’applique la morale à laquelle tenait tant mon ami le Préfet Erignac. Je ne me laisse influencer par personne, je ne me fais acheter par personne. Je suis un homme honnête et je dis ce dont je me souviens."
Le droit à la justice, c’est le droit à la vérité, pas à la force. Lorsque la force appuie la vérité, elle est légitime. Lorsqu’elle est seule sans appui, elle n’est plus que la béquille de l’échec.
Oui, le "code" permet de continuer le procès. Mais le procès a perdu son âme.
Et à moins d’un miracle...
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