Quand les éternels gagnants veulent continuer à jouer sans changer les règles
Pour les uns, la plus grande majorité, que des cartes pourries, le chômage en hausse, des salaires anémiés, une vie faite de précarité et de frustration et pour les autres, moins nombreux, les atouts maîtres de la réussite : gains et patrimoine en hausse exponentielle, luxe et confort dans des lieux protégés. La partie, complètement faussée depuis le début, est pliée par K.O. de l'adversaire mais les vainqueurs dans leur avidité en redemandent. Pour encourager les éternels perdants à continuer de jouer et de se départir de ses derniers jetons, on promet des parties gagnantes par une politique économique de l'offre. Pour faire durer le plaisir on rajoute de nouvelles cartes dans la banque avec le "quantitative easing" de la BCE. Rien n'y fait, les règles sont faussées et le jeu ne vient pas chez tous ceux qui se sont fait dépouillés. L'amertume et la colère grondent devant une telle injustice. Le jeu est faussé, il faudrait changer les règles pour donner à tous les mêmes chances de gagner.
Aujourd'hui l'alliance du capital avec la technologie numérique d'une part et la surexploitation d'une main d'oeuvre pléthorique dans les camps-ateliers du continent asiatique, d'autre part, disqualifient dans beaucoup de secteurs le travail humain. Du même coup le capital s'accapare la plupart des richesses créées aux dépens des salariés. La grande majorité de la population active qui n'a que son salaire pour vivre doit se contenter de la portion congrue , restreindre sa consommation et...brider l'ensemble de l'économie. Améliorer la compétitivité des entreprises ou inonder les banques de liquidités sont loin de répondre au défi qui nous est posé : celui d'une meilleure répartition des richesses produites.
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Un cas exemplaire :
Apple ou le nouvel Oncle Picsou du capitalisme moderne
- Pour la fabrication de l'emblématique ardoise Ipad d'une valeur HT de 400 USD, le coût de la masse salariale est de 28USD dont 8 USD pour l’assemblage en Chine ! par des ouvriers dont les conditions de travail on été maintes fois dénoncées alors que les profits pour les actionnaires représentent 120 USD par tablette, soit plus de 4 fois la valeur de la main d'oeuvre ! (1)
- Sur un iPhone 6 Plus dont le tarif de base est de 809 euros, cela fait tout de même 200 euros de bénéfice que les clients offrent "généreusement" à Apple ( lien )
- au 4° trimestre 2014 : 18 milliards de bénéfice net pour un chiffre d'affaire de 74 milliards de dollars, record absolu toute catégorie. 40% de marge brut.
- 170 milliards de dollars c'est la cagnotte d'Apple qui dort bien au chaud dans des paradis fiscaux comme les îles Vierges, pour éviter d'être taxé aux Etats-unis à 35%.( lien ),
- Pour mettre à la disposition des actionnaires une partie des gains, Apple emprunte à des taux ridiculement bas ( Merci la FED ) pour l'achat de ses propres actions ou la distribution de dividendes en évitant ainsi de rapatrier sur le sol américain son magot.
- Le patron d'Apple a plus que doublé son salaire en 2014, selon les documents transmis au régulateur américain de la finance. L'année dernière, il aurait perçu 9,2 millions de dollars de revenus. La vice-présidente senior en charge des magasins et des ventes en ligne de la marque devenait le plus gros salaire de la firme. Angela Ahrendts a touché plus de 73 millions d'euros en 2014.( lien )
- Grâce à une efficace optimisation fiscale, le taux d'imposition sur les bénéfices n'est que de 2%.
Ainsi la très grande part de la richesse créée autour de ces objets cultes reste entre les mains des cadres supérieurs, des dirigeants et des actionnaires....la sphère publique et les ouvriers chargés de la fabrication se contentant de miettes.
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RIEN A GAGNER AVEC LA POLITIQUE DE L'OFFRE
Depuis le 1er janvier 2014 notre Président libéralo-social , en échange d'une promesse par le patron du MEDEF de création d'un million d'emplois, sacrifiait les cotisations des allocations familiales à l'autel de la compétitivité. Un an après le résultat se fait toujours attendre : 6 211 700 chômeurs officieux (toutes catégories confondues) à la fin décembre 2014, soit 312 900 chômeurs de plus sur 1 an ( voir l'article sur Agora "Vrais chiffres chômage décembre 2014" ), de la précarité en plus et des comptes sociaux en berne. Envolé le million d'emplois du MEDEF. En revanche pendant cette même année 2014 les dividendes ont atteint des records. Cherchez l'erreur.
« Hors de question de changer de politique » pour autant, estimait le Premier ministre, Manuel Valls au mois d'août dernier. Restaurer les marges des entreprises, jugées trop basses, afin de renforcer leurs capacités d’investissement, poursuivre le programme d’économies dans les dépenses publiques tel est le seul credo du gouvernement. Mais c’est désormais la déflation qui guette la France et l’Union européenne, ce cercle vicieux provoqué par un recul des prix entraînant, à terme, un report des achats et une baisse de la production avec les conséquences bien connues que sont la poursuite de la hausse du chômage, dérapage des déficits publics par rapport aux objectifs bruxellois et la baisse du pouvoir d’achat… La reprise tant espérée par le chef de l’Etat, comme un mirage dans le désert s'éloigne de plus en plus. La politique de baisse des dépenses publiques provoque un choc négatif sur la demande ce qui rend inopérante toute politique de l’offre. Les entreprises, face à un marché anémié, au lieu d'investir distribuent des dividendes pour le plus grand bonheur des actionnaires.
Les dépenses en faveur de l'emploi et du marché du travail n'ont cessé d'augmenter depuis le choc pétrolier de 1973. Aujourd'hui elles atteignent près de 5 % du PIB soit autour de 100 milliards d'euros. Si l'indemnisation des chômeurs représente 30 % du total, les allègements de cotisations sociales en faveur des bas salaires et des heures supplémentaires, les incitations financières à l’emploi tels que la prime pour l’emploi et le RSA « activité » s'élèvent à plus de 40 milliards d'euros. ( Lire l'étude de la DARES sur le côut des politiques en faveur de l'emploi ). Avec la croissance inéluctable du taux de chômage on est en droit de douter de l'efficacité d'une telle politique qui dilapide les deniers publiques au nom de la promesse illusoire de la création d'emplois par la conquête de nouveaux marchés grâce à la seule amélioration de la compétitivité des entreprises.
En ultime recours, contre la déflation, la B.C.E. se résout à utiliser l'arme de la création monétaire.
LES DERNIERES CARTES DE LA B.C.E.
Jeudi dernier, 22 janvier, Mario Draghi a sorti le grand jeu. Création ex-nihilo de 1100 milliards d'euros à raison de 60 milliards par mois sur 18 mois pour racheter aux banques des emprunts. Son objectif est d’obtenir que les établissements financiers, dont les titres obligataires vont être achetés par les banques centrales nationales, utilisent le produit de leurs ventes pour développer le crédit aux entreprises et aux particuliers, afin d'enclencher la fameuse dynamique de la création d'emplois. Mais comme toujours les banques vont devoir arbitrer. Soit, comme le souhaiterait la BCE, développer le crédit et contribuer à la relance, mais aussi faire face à des risques de défaut étant donné l’état anémié de l’économie, soit spéculer sur les marchés financiers pour reconstituer leur marge opérationnelle atteinte par le niveau général des taux et les mesures de régulation. Il ne fait aucun doute que face à la stagnation de l'économie, cette montagne d'euros se retrouvera dans la valeur des actions et d'autres actifs financiers. Un autre résultat est attendu de ce programme de la BCE, c'est la poursuite de la dépréciation de l’euro. Mais avec le recul de la croissance mondiale et la part importante du commerce intracommunautaire l'effet sur la croissance du chiffre d'affaire de l'industrie européenne risque d'être bien faible surtout si pendant que Draghi essaie de doper l'économie, les politiques gouvernementales poursuivent des politiques d'austérité.L'expérience de la FED aurait dû être prise en compte. Après une série de plan de création monétaire, l'américain moyen n'a rien vu venir. L'inflation des actifs financiers, de l'immobilier et des produits de luxe n'a pas créé pour la plupart des américains un "effet de richesse" tant souhaité par B. Bernanke. La bonne vieille théorie du ruissellement a encore une fois montré ses limites.
Ainsi tant l'allégement des charges pour les entreprises que l' argent donné aux banques par les banques centrales ne tiennent pas leurs promesses dans la relance de l'économie et la création d'emplois en nombre. Ces mesures ne contribuent qu'à accroître encore plus les inégalités. Si aux Etats-unis depuis 2008 la croissance du PIB est de l'ordre de 10 %, cette croissance c'est faite sans création d'emplois. Pire depuis les années 1970 Dans le même ordre d'idée l'augmentation de la productivité ne s'accompagne plus d'une augmentation du revenu médian, le surcroit de richesse ne profitant qu'aux 1 % de la population.
Le graphique ci-dessous qui compare l'évolution de la productivité horaire et le revenu médian d'une famille est éloquent.
Mais que ce passe-t-il, depuis des décennies, que nos élites politiques ne semblent pas prêtes à intégrer ? Avec les progrès en cours dans la robotisation des tâches manuelles et la numérisation et la programmation algorithmique des tâches intellectuelles comment ne pas voir que l'emploi est une espèce en voie de disparition. Continuer à se faire élire sur la promesse impossible à tenir de la création d'une multitude de postes de travail qui permettront comme dans le bon vieux temps de redistribuer un peu de la richesse créée et d'équilibrer les budgets des organismes publiques est totalement irresponsable.
Déjà Günther Anders dans le Tome II de " l'Obsolescence de l'homme" "sur" la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle" écrivait en 1977 : " Quand certains politiciens de la Mitteleuropa prétendent vouloir élever le niveau technologique de leur pays afin de garantir le plein emploi, de deux choses l'une : soit ils sont incapables de réfléchir, soit ils trompent leur peuple " (2)
En revanche, la question du partage du travail et des emplois est celle de la distribution de la richesse créée par les machines est bien le problème que la société a à résoudre. Et c'est bien dans le retard pris dans cette réflexion que réside la cause profonde de la crise d'un système où une partie de plus en plus importante de l'humanité est exclue de la production et part la force des choses de la consommation des biens produits. Pourtant en 1930 John Maynard Keynes, dans Les alternatives économiques de nos petits-enfants, nous lançait un avertissement solennel : "Nous souffrons d’une nouvelle maladie dont certains de mes lecteurs n’auront pas même encore entendu mentionner le nom, mais dont ils entendront abondamment parler dans les années qui viennent – à savoir le chômage technologique. Ce qui veut dire le chômage dû au fait que nous découvrons des moyens d’économiser l’utilisation du travail à un rythme plus rapide que celui auquel nous parvenons à trouver au travail de nouveaux débouchés."
LE TRAVAIL DISPARAIT. NE DEVRAIT-ON PAS S'EN REJOUIR ?
Dans un article du Monde , Paul Jorion écrit : "En septembre 2013, deux chercheurs de l’université d’Oxford, Carl Frey et Michael Osborne estimaient dans « L’avenir de l’emploi. Dans quelle mesure les emplois sont-ils exposés à l’« ordinisation » » que 47% de la force de travail occupe un emploi qui sera remplacé à terme par un ordinateur."
En France on estime que la multiplication des automates pourrait supprimer 3 millions d'emplois dans les 10 prochaines années ( lien )
Le remplacement de l'homme par la machine devrait nous réjouir tant elle libère celui-ci de tâches pénibles. Les richesses créées par les robots et les ordinateurs devraient suffire pour satisfaire les besoins de tous si ceux-ci n'étaient pas accaparés par une petite minorité.
Mais aujourd'hui la disparition du travail humain dans le processus de production se traduit purement et simplement par une destruction des emplois et donc par la destruction de canaux de distribution d'une partie de la richesse créée dans la production, par le salariat, ce qui conduit à la mise à l'écart, par la paupérisation, de pans entiers de la société. En outre la mise en concurrence des travailleurs avec l'existence d' une armée de réserve de plus en plus pléthorique de chômeurs et l'ouverture du marché du travail au monde entier ne font qu'aggraver la situation. L'alliance de la technique numérique et du capital dans l'appareil de production en détruisant des postes de travail augmente la productivité et les bénéfices que se partagent une minorité hautement qualifiée, les dirigeants d'entreprise, les banquiers et les actionnaires, creusant inéluctablement le fossé des inégalités entre les 1% et l'ensemble de la population.
Simonde de Sismondi (1773-1842) proposait déjà que le travailleur remplacé par la machine obtienne une rente perçue sur la richesse que celle-ci créerait ensuite. La forme moderne que prendrait une telle mesure serait outre la poursuite de la diminution du temps de travail ,de transférer une partie des cotisations sociales sur la rémunération du capital, et de distribuer à tous un véritable dividende universel qui viendrait compléter les revenus directs que procure un emploi.
Aujourd'hui le problème n'est plus comment produire toute sorte de biens en utilisant le moins possible de ressources terrestres ou humaines, nous savons le faire. Il reste à trouver les règles pour que chacun puisse trouver sa place dans la société, d'avoir les moyens d'exprimer sa créativité et de jouir des biens dont il a besoin alors que son implication dans la fabrication de ces mêmes biens diminue. Quelles sont les limites dans l'automatisation de la marche du monde et comment distribuer la richesse produite par les automates et l'intelligence artificielle, telles sont aussi les questions à mettre d'urgence à l'ordre du jour de l'agenda politique.
Sinon, tant que la rationalisation de l'outil de production et la substitution de l'homme par la machine sont dictées par la seule augmentation du profit de quelques-uns, il est à craindre que la prophétie de Stephen Hawking se révèle exacte : « La mise au point d’une intelligence artificielle avancée pourrait signifier la fin du genre humain ».
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(1) Distribution de la valeur pour un Ipad Apple
(2) Günther Anders " L'obsolescence de l'homme " Tome II - éditions FARIO
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