Quand les poules auront des dents, ils comprendront que pour que les grèves disparaissent il ne suffit pas de les supprimer
A chaque nouvel épisode gréveux, survient l'habituel débat : d'un côté les pro-droit de grève égoïstes pour lesquels toute souffrance des citoyens-consommateurs est justifiée par le droit ultime que nous accorde la république à dénoncer les injustices au travail ; et de l'autre, les anti-grève qui, alors, revêtent leurs plus beaux effets de pourfendeurs des gros méchants et de défenseurs du droit-des-familles-à-vivre-en-paix-et-à-prendre-leur-train-du-matin. Nous sommes contraints à chaque départ de vacances, à chaque rentrée des classes, d'assister à la même rengaine, sans relâche, car le système tourne bien, il est super-bien huilé.
Depuis 150 ans, l'an 1864 précisément, que ça dure. Est-ce que quelqu'un dans la salle pense encore sérieusement que tout cela nous mène quelque part ? Est-ce que quelqu'un pense qu'un jour la grève sera encadrée, ce qu'elle ne peut pas être par principe ? Que les syndicats taperont le carton avec le patronat ? La vérité c'est que ce que fera la droite en défaveur du droit de grève, la gauche le défera ; ce que fera la gauche en faveur du droit de grève, la droite le défera, c'est aussi simple que ça. Je vois des gens censés être intelligents d'un côté comme de l'autre, mais franchement ils n'ont rien compris. S'attaquer aux grèves ne sert à rien, c'est comme s'attaquer à un symptôme, plus nous voulons l'éliminer plus il revient pour nous montrer que quelque chose cloche.
D'abord, des syndicats moribonds, c'est mauvais pour tout le monde. Un animal malade, c'est hargneux et méchant. Franchement, les syndicats impuissants sont des vieux épouvantails aigris et grincheux qui s'égosillent à tout vent pour être reconnus. Malgré un niveau de représentativité aussi nul, et aucune légimité, ils gardent toujours une capacité élevée de nuisance. Donc, c'est dans l'intérêt de tous que les syndicats soient forts.
Mais surtout la réponse se trouve dans la co-gestion des entreprises et des administrations. Tant qu'il y aura négation de représentation des salariés dans les entreprises, de la PME au grand groupe international, il y aura du réactionnel, et le réactionnel c'est mauvais, c'est brusque, violent, injuste même. L'Allemagne, au côté des Pays-Bas et de la Suède, a organisé deux formes de participation des salariés à la gestion des entreprises : des représentants du personnel siègent au conseil de surveillance des sociétés les plus importantes et les comités d'établissement disposent de pouvoirs forts de codécision. Les grèves sont moindres, et les entreprises plus agiles, elle peuvent concentrer leur énergie ailleurs que vers des conflits intestinaux. Des salariés qui se sentent représentés trouvent du sens dans ce qu'ils font et donc le font mieux, les décisions étant pour la plupart collégiales, il n'y a pas lieu de s'y opposer.
Alors pourquoi les gouvernements ne l'ont pas déjà mis en place ? je me dis qu'en France on n'aime pas trop partager le pouvoir... quel qu'il soit. Historiquement il a toujours été absolu, dans les mains de quelques-uns, à tous les niveaux de la société.
Pour finir, un coup de gueule contre l'air du temps. Comme le disait un journaliste de la radio publique ce matin, le grève-bashing est à la mode, car l'air du temps est à l'individualisme, au droit "d'avoir la paix et de ne surtout pas être dérangé". C'est lui qui fait que lorsque quelqu'un se fait agresser dans la rue, nous tournons la tête, qui fait que la misère des clochards puants sur les quais de métro nous indispose. Qui fait que nous avons horreur que notre train du matin arrive en retard et que notre avion pour Barcelone soit annulé, tout cela pour quelques égoïstes gâtés. Cet air du temps nauséabond, c'est que nous détestons le fait que notre liberté la plus individualiste, celle de tourner la tête et d'ignorer, ou de cliquer pour zapper, cette liberté-là elle soit "prise en otage".
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