Quand un proviseur prête main-forte à la diffamation d’un professeur...
La violence scolaire qu’on a en tête, c’est celle de quelques élèves qui empoisonnent la vie de tous, sans qu’administration et professeurs parviennent bizarrement à la juguler. Pour qui connaît “le dessous des cartes”, les données sont moins simplistes.
On a déjà évoqué sur AgoraVox une autre violence qui peut servir de modèle aux élèves : c’est celle dont use l’administration elle-même envers des professeurs, avec au besoin l’aide de leurs propres collègues. Un récent jugement du tribunal de grande instance de Paris du 13 juillet 2006, devenu définitif, est venu le rappeler utilement.
Des pages venimeuses et diffamatoires.
En octobre 2004, le professeur de philosophie d’un lycée de la banlieue parisienne apprend qu’un de ses collègues vient de publier sur sa « vie professionnelle » un livre dont le titre pastiche celui de l’ouvrage à succès d’une spécialiste d’art contemporain où elle étale une égale expertise en prouesses sexuelles rocambolesques. Est-ce de la part de l’auteur l’aveu involontaire d’une parenté entre deux ouvrages fondée plus sur la fantaisie que sur la réalité ? Toujours est-il que le professeur découvre que son collègue qu’il ne connaît même pas le diffame dans deux chapitres. Sans doute son nom n’apparaît-il pas, mais le contexte suffit pour qu’on puisse le reconnaître sans aucune ambiguïté. À en croire l’auteur, ce professeur serait toujours en congé de maladie, aurait été « suspendu avec traitement », et, quand par malheur il est présent, il ne ferait pas son travail, donnerait de mauvaises notes ou encore répèterait les mêmes appréciations d’un élève à l’autre pour dénoncer leurs carences en langue française, utiliserait toutes les ruses possibles « pour ne rien foutre »... En conflit ouvert avec le proviseur, il “(dégagerait) incontestablement autour de lui un parfum à la fois sulfureux et mystérieux”. Et l’auteur de “se [demander] parfois si la garantie de l’emploi est une si bonne chose dans ce boulot”.
Un professeur dont la réflexion indispose
Pourtant si ce dernier, par simple prudence et honnêteté intellectuelle, s’était informé avant d’écrire, peut-être aurait-il compris l’origine de ces ragots. Peut-être aurait-il compris qu’on se servait de lui ? C’est qu’un conflit profond oppose depuis plusieurs années ce professeur à sa hiérarchie pour plusieurs raisons.
- D’abord, il a lui-même publié en 1999 un ouvrage qui développe une critique sévère de l’École, tirée de sa propre expérience : il lui reproche tout simplement de se contenter de « gérer les stocks lycéens ».
- Le précédent proviseur et son adjoint sont ensuite allés jusqu’à le poursuivre en diffamation pour avoir diffusé, en avril 2000, deux lettres où il sommait l’administration de s’expliquer sur les conditions dans lesquelles elle avait autorisé l’organisation d’un concours boursier par une banque au sein même de l’établissement. Manque de chance ! Le 30 janvier 2002, le tribunal de grande instance de Bobigny a débouté les plaignants au motif que « les propos litigieux ne (constituaient) que l’expression de conception de leur auteur sur le fonctionnement et l’organisation de l’institution scolaire et de critiques » exposées dans les limites admissibles. Voilà qui en dit long sur l’idée de la liberté d’expression que se faisaient ces deux hiérarques ! Et pour ajouter à leur confusion, saisi dans le même temps par le professeur de philosophie, le tribunal administratif a annulé la décision du proviseur comme illégale, le 1er juillet 2004, estimant que « ce jeu qui avait clairement des objectifs publicitaires et commerciaux pour la banque organisatrice, tombait sous le coup de la prohibition des initiatives de nature publicitaire, commerciale, politique ou confessionnelle figurant au règlement intérieur de l’établissement ; qu’il contrevenait également au principe de neutralité de l’école rappelé par de nombreuses circulaires ».
Tel était le contexte ignoré apparemment de l’auteur du livre, faisant l’objet d’une dénégation persistante de la communauté pédagogique, mais que ne pouvait méconnaître l’actuel proviseur en lui apportant son soutien écrit quand le professeur de philosophie l’a poursuivi en diffamation avec son éditeur le 24 décembre 2004 devant le tribunal correctionnel de Paris. Le jugement a été rendu le 13 juillet 2006.
Deux imputations diffamatoires.
Éditeur et auteur avaient cru pouvoir opposer un argument d’irrecevabilité de la plainte sous prétexte que le professeur évoqué dans le livre n’est pas explicitement nommé. C’était ignorer qu’il suffit que la personne mise en cause puisse être reconnue par un “cercle restreint de personnes” : or, au vu du contexte, l’identification du professeur était rendue absolument “certaine”. Le tribunal a donc rejeté cet artifice de procédure et retenu deux imputations diffamatoires selon l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881.
- La première est l’accusation insinuée d’« une suspension avec traitement », avancée pour expliquer des absences du professeur. Car jamais celui-ci n’a fait l’objet d’une quelconque procédure disciplinaire qui aurait justifié une sanction. L’auteur ne peut même pas faire valoir sa bonne foi : il reconnaît n’avoir pas recherché les raisons d’une absence qui lui avait paru « exceptionnellement longue ». Quand on ne sait pas, mieux vaut se taire ou se renseigner !
- La seconde imputation diffamatoire est le reproche d’« un absentéisme abusif ou illégitime ». Là encore, l’auteur a été mal renseigné, bien qu’il ait puisé à bonne source, si l’on en croit le témoignage que lui a donné complaisamment le proviseur. Ignorait-il qu’à la suite du conflit ouvert évoqué ci-dessus qui l’avait opposé au chef d’établissement précédent, le professeur de philosophie avait bénéficié d’une mise à disposition rectorale dans un autre établissement, sans aucun caractère de sanction disciplinaire, tout en restant titulaire de son poste qu’il avait rejoint à la rentrée suivante ?
Un proviseur soutenant activement le diffamateur
La surprise tout de même vient du témoignage du proviseur qu’a versé au dossier le prévenu avec celui de quatre « chers collègues » et même de l’infirmière ! Le professeur de philosophie y est joliment « débiné » à l’aide d’informations savamment tronquées et mises hors-contexte pourtant couvertes par la confidentialité du service, tels que des remplacements dus aux absences justifiées du professeur, ou d’une dénonciation d’un parent d’élève (sans production de preuve) reprochant au professeur de faire état de ses désaccords avec l’administration devant ses élèves de Terminale. On va jusqu’à trouver, dans le témoignage du proviseur, la copie d’une affichette apposée en salle des professeurs par un collègue professeur de philosophie : celui-ci tente de faire oublier la réalité de la diffamation et ses effets, en reprochant à la victime - comparée « à Pinochet » (!) - qui ne peut pourtant demander à la justice qu’une réparation pécuniaire, de n’être intéressé que par l’argent ! Certains ont la partialité élégante ! Le Tribunal n’en a pas moins condamné, pour diffamation envers le professeur de philosophie, l’auteur de ce libelle et son éditeur à payer chacun une amende délictuelle de 1.000 euros, puis à verser, solidairement, à la victime, à titre de dommages et intérêts, 3.000 euros auxquels doivent être ajoutés 2.000 euros au titre de l’article 475-1 du nouveau code de procédure pénale comme participation aux frais de justice de la victime. Et enfin, les frais de procédure à leur charge s’élèvent à 90 euros.
La loi sur la protection statutaire violée par le recteur
Il importe de noter que - comme c’est l’usage à l’Éducation nationale, du moins pour les fonctionnaire exécutants - le recteur a d’abord refusé obstinément à la victime, avant comme après le procès, la protection statutaire qui lui aurait évité de payer de sa poche les frais de justice. Ce faisant, il lui a infligé un préjudice supplémentaire en le faisant passer aux yeux de la communauté scolaire pour coupable des faits que lui reprochait son diffamateur. Il faudra attendre le 19 mars 2007, soit huit mois après le jugement, pour que - tout à trac - le recteur consente à respecter la loi, mais seulement partiellement, puisqu’il se refuse à mettre à la charge de l’État tous les frais exposés comme la protection statutaire lui en fait un devoir. Le tribunal administratif à qui le professeur a soumis le litige,tranchera.
Cette affaire montre de façon exemplaire comment l’administration, s’estimant au-dessus des lois, peut s’acharner sur un professeur pour tenter de ruiner son crédit et organiser en toute impunité le désordre au sein de la communauté éducative. C’est sans doute ce qu’elle appelle la bonne « gestion des ressources humaines ». Pourquoi donc des élèves ne s’affranchiraient-ils pas à leur tour du respect de la loi quand ils voient une administration s’en moquer elle-même ? Pourquoi ne pas nuire à un professeur puisqu’un proviseur est le premier à le faire en toute impunité ? Un professeur, en effet, qui met le doigt sur de graves dysfonctionnements administratifs et pédagogiques, dérange le désordre organisé. Une administration-voyou ne recule alors pas devant la diffamation ou la calomnie pour écarter le gêneur, comme on l’a vu dans un article précédent sur un blâme annulé pour... absence matérielle de motifs et violation de procédure ! Ici, le livre d’un jeune professeur a paru une occasion trop belle ! Le proviseur s’est arrangé avec son devoir de réserve et de confidentialité pour puiser dans des documents confidentiels du service volontairement tronqués et soutenir, par écrit avec papier à en-tête officielle, le diffamateur cité en justice par sa victime. Peut-il l’avoir fait de son propre chef sans l’aval de ses supérieurs ? Par chance, cette fois-ci, justice a été rendue. Mais cela empêchera-t-il la rumeur de continuer à courir ? Qui a eu vent de cette condamnation ? Quels médias osent parler des violations de la loi par cette administration-voyou ?
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