Quatre événéments insignifiants ou quatre symptômes d’un mal qui ronge la société française ?
Sans doute faut-il être prudent et veiller à ne pas déduire hâtivement d’un fait particulier une règle générale. Il reste que quatre événements récents paraissent devoir être rapprochés, si différents qu’ils puissent paraître. Si deux d’entre eux peuvent être jugés anecdotiques, les deux autres ne le sont pas.
Mais ils paraissent tous les quatre puiser à la même source empoisonnée et révéler un certain état d’esprit qui caractériserait la société française d’aujourd’hui. Ils mettent en cause en tout cas quatre institutions différentes qui la constituent : la militaire, la judiciaire, l’associative et la familiale.
Quatre événements successifs
Le dernier événement qui vient de se produire est le seul à avoir connu un dénouement heureux. C’est l’invraisemblable disparition, jeudi 7 août 2008, d’un enfant de 2 ans et demi qui a pu échapper à la surveillance de ses parents sans qu’ils s’en aperçoivent : il jouait, a-t-on dit, avec son frère dans la cour de la maison louée pour les vacances, quand soudain on ne l’a plus vu. Les parents l’ont cherché une heure durant avant d’alerter les forces de l’ordre. Plus de 150 pompiers et gendarmes ont fouillé les alentours pour finir par le découvrir endormi, 24 heures plus tard, à 800 mètres de la maison.
Les autres événements ont eu, eux, une issue tragique. Dans la nuit du 6 au 7 août 2008, deux adolescentes d’un camp de vacances ont été tuées par une branche qui s’est écrasée sur leur tente, pendant un violent orage. Météo-France avait pourtant publié un « bulletin d’alerte orange » pour la région.
Auparavant, le 18 juillet 2008, le Conseil supérieur de la magistrature avait rendu son avis dans la procédure engagée contre le procureur Lesigne. Il avait, dans l’affaire d’Outreau, requis la détention provisoire envers quatorze personnes qui avaient fini par être innocentées après avoir passé jusqu’à trois années en prison et vu leur vie personnelle et familiale dévastée. Aucune sanction n’avait été demandée à la garde des Sceaux envers ce consciencieux procureur qui partage, il est vrai, avec soixante autres magistrats la responsabilité de ce naufrage judiciaire. La ministre a, de son côté, seulement souhaité qu’il quitte les lieux. C’était bien le moins. Il garde son grade et il lui est donné de présenter des vœux pour sa prochaine affectation.
Enfin, le 29 juin 2008, on s’en souvient, lors d’une journée portes ouvertes dans une caserne de Carcassonne, au cours d’une simulation de libération d’otages, un soldat a tiré à balles réelles sur la foule de spectateurs, blessant plus ou moins grièvement dix-sept d’entre eux. Une mère et son enfant sont toujours hospitalisés.
On laissera de côté le sujet de Français donné dans les jours précédents, au Diplôme national du Brevet, et qui invitait les élèves à faire l’éloge du caïdat. On en a déjà parlé dans un article publié sur Agoravox (1).
Des comportements encourant le même grief
Quel rapport entre ces quatre événements qui n’ont rien à voir entre eux ? Ne s’agit-il pas de malheureuses circonstances dues à la malchance ou à la fatalité ? Justement, pour rendre celles-ci inexorables, certains acteurs n’ont-ils pas apporté leur concours avec zèle ?
Comment ainsi imaginer qu’un enfant de 2 ans et demi puisse disparaître et qu’avant que les parents ne s’en aperçoivent il se soit écoulé un laps de temps tel que la recherche soit restée vaine et qu’il ait fallu alerter les secours publics ? Quelle conception ces parents se font-ils donc de leur rôle ?
Pareillement, l’orage qui a tué les adolescentes restées sous leur tente, n’avait-il pas été annoncé comme dangereux par Météo-France ? Comment les organisateurs de ce camp de vacances n’ont-ils pas pris toutes dispositions avant qu’il n’éclate, pour mettre les enfants à l’abri ?
Est-il davantage concevable qu’un soldat ait pu garder sur lui des balles réelles, au risque de faire une confusion mortelle dans le feu de l’action, alors qu’il avait à participer à une démonstration de libération d’otages devant des spectateurs ? Se prépare-t-on à pareille exhibition sans prendre toutes les précautions qui s’imposent ?
Quant à la mansuétude du Conseil supérieur de la magistrature envers le procureur Lesigne qui a eu en charge le dossier d’Outreau, et à celle de la ministre, peut-on comprendre que l’un des magistrats responsable du malheur infligé à quatorze innocents puisse échapper à toute sanction ? N’est-on pas « responsable, selon l’article 1383 du Code civil, du dommage causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence » ?
Une même irresponsabilité
En somme, ce qui réunit ces quatre événements, c’est une même irresponsabilité. Ici, des parents sont assez inconscients pour laisser sans surveillance un gamin de 2 ans et demi. Et il faut les secours publics pour sinon réparer leur faute du moins remédier à leurs insuffisances. Là, ce sont des organisateurs de camp qui font courir des risques insensés à des enfants, alors qu’ils ont été prévenus de la violence des orages futurs sur la région. Ou encore voici un soldat et sa hiérarchie qui font preuve d’une impéritie criminelle avant une exhibition devant des spectateurs. Enfin, l’exemple venant d’en haut, on découvre que l’organe régulateur de l’institution judiciaire est le premier à exonérer de toute responsabilité un procureur qui a plongé dans le malheur quatorze innocents. Le chef d’état-major de l’armée de terre avait eu, lui au moins, le courage et la décence de démissionner.
Car peut-il y avoir de société démocratique autrement que fondée sur la responsabilité de ses citoyens ? Ces dernières semaines, coup sur coup, ce sont quatre institutions qui ont été prises en flagrant délit de défaillances graves. Or celle qui est chargée de les sanctionner, l’institution judiciaire, est la première à donner le mauvais exemple. Quel avenir démocratique promettre à une société qui le tolère ? Paul Villach
(1) Paul Villach, « Une incroyable promotion du "caïdat" au Diplôme national du Brevet », Agoravox, 28 juin 2008.
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